Conte 7 : le Retour de la Reine – 8ème partie

9 mins

Et si jamais, Amanda n’était pas rentrée chez eux parce qu’elle n’avait pas pu le faire. D’un coup, elle sentit tout son corps se raidir. Elle fut comme prise d’une sensation de vertige, comme si elle allait étouffer, comme si le sol s’ouvrait sous elle pour l’aspirer dans les profondeurs les plus obscures de la Terre.

Aussitôt, elle se mit à courir vers sa maison, aussi vite qu’elle le pouvait. Et même si ses jambes lui faisaient un mal de chien, tout son corps, même si sa respiration se faisait de plus en plus haletante, même si sa vue lui semblait devenir floue, elle courut encore et encore. Aussi vite qu’elle le pouvait malgré la douleur. Ce sentiment horrible, qui l’avait d’un coup envahie, qui vint la dévorer, lui était tellement plus douloureux. Rien d’autre ne comptait plus qu’Amanda et ce que cette pourriture lui faisait peut-être subir en ce moment même.

Lorsqu’enfin elle entra dans cette maison, son cœur frappait fort dans sa poitrine. Aussitôt, elle se mit à passer d’une pièce à une autre en hurlant son nom. Elle avait l’impression de manquer d’air, l’impression qu’à chacun de ses pas, elle allait tomber dans un gouffre et que ce monstre nommé Souffrance allait l’anéantir d’un coup. Elle avait tellement peur mais jamais elle n’aurait renoncé à la chercher. Jamais.

– « AMANDA ! » hurlait-elle, la voix enraillée par la panique.

Tout à coup, elle entendit des pas remonter de la cave, elle s’y précipita. D’un coup, la porte de lattes de bois s’ouvrit sur ce géant, que son air paniqué sembla bien amuser. Un large sourire se dessina alors sur son visage tandis qu’il refermait les boutons de son jeans.

– « Où elle est ?… lui demanda-t-elle de plus en plus agressive, où elle est ? J’t’ai demandé ! OÙ ELLE EST ? AMANDA ! ».

Elle ne lui laissa pas le temps de répondre. Elle se jeta sur lui, tenta de le pousser pour entrer dans cette cave. Mais il la retint, l’enserra dans ses bras si fort qu’elle eut l’impression d’être compressée entre deux rouleaux dont la puissance ne faisaient qu’accentuer leur pression sur chaque partie de son corps.

– « Tu le sais…tu le sais pourtant que tu n’as pas le droit d’entrer là…tu le sais. Et toujours tu dois me désobéir. Qu’est-ce qui te tourne pas rond chez toi, hein ! Ce serait tellement plus simple si…

Qu’est-ce que tu lui as fait ! Où elle est ? 

Tu par… ».

Il n’eut pas le temps d’enchainer un mot de plus qu’elle lui donna un coup de tête. La surprise, la douleur intense et brutale lui firent relâcher son emprise. Il porta alors les mains vers son nez d’où pissait le sang. Il leva alors les yeux sur elle qui se tenait devant lui. Il ne lui avait jamais vu cette rage dans le regard, sur son visage. Et que pourrait-elle bien lui faire ? Elle n’était rien. Il se mit alors à rire.

Elle se jeta alors sur lui. Il l’attrapa de nouveau, la tint par ses longs cheveux. D’un coup, sec, froid, brutal, il la plaqua contre le chambranle de cette porte. Elle sentit alors les lattes lui frapper les côtes, le ventre, lui compresser la poitrine. Puis, elle le sentit, d’un coup, se plaquer contre elle et peser sur elle de tout son poids, de toute sa force. Elle n’en arriva plus à respirer. Il enleva alors les quelques mèches de longs cheveux noirs qui lui cachaient le visage, se mit à le lui caresser. Il glissa sa bouche vers son oreille où il lui murmura :

– « Imagine une jolie jeune fille venue voir son amie. Imagine-la se promener seule, toute seule, dans les bois. Elle est tellement confiante. Elle croit tellement que rien ne peut lui arriver. Mais elle ne peut pas voir tous ces djinns tout autour d’elle qui volent et virevoltent. Et il y en a un, parmi eux, qui a senti son odeur, l’odeur alléchante de son innocence. Imagine-le, celui-là, il n’a qu’une seule envie y goûter. Goûter à sa fraicheur, sentir sa douceur sous ses doigts, huuuuum comme cela doit être délicieux…[Belinda se rebiffa, tenta de se dégager de son emprise. Mais il plaqua son avant-bras contre sa nuque pour l’empêcher de bouger]…Imagine-le la guetter, l’épier. Imagine-le l’observer chaque jour alors qu’elle vient voir son amie. Imagines-tu le désir qui grandit en lui chaque jour ? Le sens-tu toi aussi ?…[Belinda rua mais il la tenait fermement]…L’imagines-tu l’attraper alors qu’elle se sauve ? Imagines-tu sa sauvagerie, sa bestialité d’avoir tant attendu ? L’entends-tu t’appeler alors qu’il la possède encore et encore ? L’imagines-tu se rassasier de son innocence jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune parcelle de vie en elle ? L’imagines-tu détruite ? L’imagines-tu ?…[Belinda sentait la colère, la rage exploser en elle mais elle ne pouvait bouger]…L’imagines-tu ? L’imagines-tu t’appeler ? Hurler ton nom ? L’imagines-tu plongée dans l’obscurité humide et froide de la Terre ? L’imagines-tu recouverte d’insectes grouillant et dévorant sa chair ? L’imagines-tu, dis-moi ? L’entends-tu t’appeler ? Ressens-tu sa peur ? Sa souffrance ? Dis-moi ?…Maman ».

D’un coup, Belinda hurla. De toutes ses forces, elle le repoussa. Surpris, il recula. Elle se libéra de son emprise. D’un coup, elle se retourna, lui asséna un coup de poing au visage. Aussi vite, il rebiffa d’un autre. Elle tomba sur le sol, sa lèvre inférieure fendue laissant le sang ruisseler sur les dalles marron de cette cuisine. D’un coup, il la releva par ses longs cheveux. Elle hurla. Il la traina sur le sol. Elle se débattit. Il la jeta, alors, dans cette cave. Elle en dévala l’escalier, ses marches qui la frappèrent plus fort, plus dures chaque fois. D’un coup, sa tête claqua contre le béton fraichement refait du sol. Elle s’évanouit.

Damian buvait une bière assis dans son fauteuil de jardin. Sur la table basse en osier devant lui, il y avait un plateau où il avait posé une assiette contenant un sandwich et quelques crudités, protégée par un film plastique, une canette de soda et un fruit. Il attendait. Il l’attendait.

Tandis qu’il buvait cette bière, il réfléchissait. Cela lui serait tellement facile d’aller là-bas, s’il n’y avait eu que lui…

Pénétrer dans cette maison endormie serait un jeu d’enfant. Il n’aurait plus qu’à le trouver et il pourrait en finir. S’il n’y avait eu que lui, le problème aurait déjà été réglé et ils seraient déjà en route vers une nouvelle vie. Mais il n’était pas seul. Il devait, se devait de protéger Amanda, ce que tous avaient bâti. Il ne pouvait plus agir à la légère, sur un coup de tête, sur le coup de la colère, comme il l’avait déjà fait. Il n’avait plus le droit de tous les mettre en danger, juste pour une personne. Même si cette personne c’était Belinda.

Ici, de toute façon, le problème ne serait pas d’entrer, ni de le choper là où il était, d’en finir et de ressortir. Ni même de se battre avec lui, ce qui risquerait d’être compliqué vu son gabarit ou de lui trancher sa putain de gorge comme un porc ou même de lui tirer une balle dans sa putain de gueule, ce qui serait, encore, trop doux pour cette saloperie. Non. Ici Le problème était de faire passer ça pour tout autre chose que ça n’était. Mais quoi ? Une dispute qui avait mal tourné ? Un accident ? La faute à pas de chance ?

Une femme battue, cela aurait pu passer, malgré le fait que ce soit la stricte, crue et terrible vérité, à condition de tout mettre en œuvre pour que la légitime défense soit retenue. Ce qui impliquerait d’agir au moment où il la frapperait ou au plus tard un jour après qu’il l’ait fait, pour que les traces de coups soient cohérentes avec la version que servirait Belinda aux enquêteurs. Cela impliquerait obligatoirement un vrai public attentif cette fois, pas seulement des spectateurs qu’il faudrait divertir à la façon d’un magicien. Et aussi de trouver un objet avec lequel elle aurait pu se défendre. Ce ne serait pas le plus compliqué. N’importe quel objet pourrait faire l’affaire : un rouleau à pâtisserie, une casserole, une paire de ciseaux, un tournevis, même une fourchette. Tout et n’importe quoi qui aurait pu lui tomber sous la main et lui servir à se défendre.

Mais, le problème dans ce scénario était que Belinda aurait cinquante pourcents de chance de se retrouver dans le box des accusés même si c’était, elle, la seule et véritable victime. La légitime défense était un principe subjectif établi en fonction de celui ou de celle qui enquêterait se disait Damian.

Un homme battait régulièrement sa femme. La femme s’enfuirait vers sa cuisine où elle prendrait un couteau en attendant qu’il vienne jusqu’à elle et l’en frapperait. Un enquêteur un peu trop zélé, un avocat moyen, sans compter sur les ambitions à peine déguisées d’un procureur voire d’un juge, et peut-être même, qui sait, sur une opinion médiatique qui s’emballerait, et Belinda se retrouverait accusée de meurtre avec préméditation. Ici, ce serait l’intention qui compterait. Elle aurait peut-être eu l’intention de le flinguer. Elle aurait provoqué une dispute intentionnellement et en aurait profité pour le tuer en restant dans sa cuisine à l’attendre avec un couteau à la main au lieu de s’enfuir pour aller chercher de l’aide. Le doute serait permis. Et douter pour Damian était bien trop risqué.

Il fallait quelque chose qui puisse donner toute de suite la tonalité de la chose à un potentiel enquêteur chevronné, trop zélé ou même tombé dedans par inadvertance.

Un accident ça arrivait aussi. Le faire passer sous son tracteur, dans une broyeuse, ça ne serait pas le premier. Mais il faudrait agir en plein jour au beau milieu d’un champ, un espace ouvert, sans pouvoir avoir l’œil sur tout ni tout contrôler. Là aussi c’était trop hasardeux. Il suffirait d’un gosse qui promenait son chien, d’un couple qui cherchait un petit coin tranquille dans la forêt, ou d’un mec pris d’une envie pressante pour tout foutre en l’air.

Et même s’il venait à se casser la gueule, dans les escaliers, juste comme ça parce qu’il était bourré ou à moitié endormi, cela pourrait paraître suspect. Une femme battue. Un ancien amant avec lequel elle avait renoué, qui habitait à quelques kilomètres…fallait pas être Einstein pour trouver un lien, même bidon. Et il ne manquerait plus qu’un enquêteur un peu trop tatillon ou en manque de reconnaissance se mette à creuser et ils risqueraient tous de se retrouver à tenter de surnager dans un océan de merde où la moindre petite faute, le moindre mot de travers, la moindre allusion détournée les s’y noierait. Il suffirait d’un rien pour que tout ce qu’ils avaient construit, s’écroule. Et ça, Damian ne pouvait l’accepter.

Tout ça, c’était un puits de merde sans fond. Non, ça ne marcherait pas, ce ne serait pas aussi facile cette fois. Tous ces scénarii étaient voués à l’échec. Même s’ils fonctionnaient, jamais ils ne leur permettraient de se retrouver. Jamais ils ne pourraient se retrouver tous les trois, tous ensemble. Le mari était claqué comme ça par le plus grand des hasards et, deux ou trois mois après la bonne femme était déjà avec un autre mec qui habitait comme par hasard, à deux mètres d’elle, qu’elle connaissait depuis pas mal de temps, avec lequel elle avait déjà eu une relation…il n’y aurait jamais qu’un con complètement abruti de chez abruti pour croire que ce n’était qu’une banale coïncidence. Et même qu’un con de ce genre sauterait sur une occasion de ce style pour se faire mousser auprès d’autres cons comme lui. Et bien vite, il y aurait un attroupement devant chez lui, chez elle, chez eux pour leur demander des explications.

« L’Homme a besoin de spectaculaire pour sortir de son apathie, en tant qu’homme on peut me tuer on peut me détruire mais en tant que symbole je deviens incorruptible… ». Damian ne comprit alors pas pourquoi cette réplique de Christian Bale dans le film « Batman Begins » de Christopher Nolan lui revint en mémoire.

Du spectaculaire, c’était au moins ce qu’il lui faudrait cette fois. Mais il ne connaissait ni chevalier noir ni réalisateur pour entraîner le plus chevronné des enquêteurs sur une piste qui finirait par lui foutre une sacrée trouille au point qu’il renonce ou, au moins, qui finirait par le perdre en chemin.

Le genre de truc qui lui permettrait de renouer avec Belinda sans avoir à la sacrifier tout en protégeant tout ce qu’ils avaient, tous, réussi à construire ou au minimum sans mettre personne en danger. Résoudre cette équation était particulièrement difficile et, cette fois-ci, des plus périlleux.

C’était comme de vouloir le beurre, l’argent du beurre, le cul de la crémière, du crémier et de toute sa putain de famille en remontant sur trois générations au moins, sans se choper un abominable taux de cholestérol et une immonde chaude-pisse.

Cette fois, il était à un poil de cul de tout foutre en l’air. Il le voyait arriver gros comme une maison. Droit sur sa gueule ! Et tout ça pourquoi ? Pour une gamine à qui il ne supportait pas de dire « non » et une bonne femme qui lui retournait les tripes, la tête et le calcif.

– « Putain de vie de merde ! » se soupira-t-il en avalant une bonne gorgée de sa bière.

Et alors qu’il tournait ça dans tous les sens, tout à coup, il entendit de légers pas venir derrière lui.

– « T’es calmée ?…[Amanda vint le rejoindre, s’assit dans le fauteuil en face du sien, penaude]…Tu t‘es bien promenée ?…[Elle souleva les épaules osant à peine le regarder, ne voulant pas le regarder peut-être]…Je t’ai fait un sandwich si tu as faim, je me suis aussi occupé de Pâquerette et de tes autres petits copains…et…je suis allé voir Belinda…[Amanda la regarda enfin]…je lui ai donnée un téléphone portable, elle sait qu’on sera là pour elle. Pour le moment c’est tout ce que peux faire…je…je n’ai pas de solutions.

Mais tu trouveras !

Tu dois comprendre, Princesse, que cette fois, quoiqu’il arrive, ça nous mettra tous en danger…et toi aussi.

Tu vas y arriver, t’y arrives toujours ». Elle en était tellement sûre. Sûre qu’il trouverait une solution. C’était son père, elle le connaissait. Il n’abandonnait jamais. Jamais il n’abandonnerait. Pas cette fois.

Damian se leva alors de son fauteuil, se dirigea vers cette grande fille qui dévorait son sandwich à pleines dents, lui donna une bise dans les cheveux en lui murmurant :

– « Grandis pas trop vite.

J’t’promets rien ! ».

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