La forme noire et silencieuse s’était arrêtée et figée, telle une statue de marbre, celle qui suivait, aussi noire et silencieuse, en fit de même aussitôt arrivée à sa hauteur. Elle l’observa du coin de l’œil, glissant son regard sur sa croupe musclée aux membres légèrement fléchis, prêt à bondir. Tout son dos était raide, jusqu’à son échine, les oreilles tendues vers l’avant, le regard brillant et la truffe frémissant sous le vent.
La créature à ses cotés s’accroupit, les jambes fléchies et les mains au sol. Un curieux aurait pu trouver un étrange mimétisme entre les deux, mais un curieux n’aurait pas pu débattre longtemps de la chose aussi proche des deux créatures …
Ils ne sursautèrent même pas au bruit dans le feuillage devant eux, ni lorsque l’oiseau, dérangé et apeuré, s’envola en criant. Ils le suivirent tous deux du regard, sans aucune émotion.
La créature sourit et posa une main sur la tête de la bête, approchant ses lèvres de son oreille.
– J’espère que tu peux trouver mieux mon mignon sinon nous n’allons pas beaucoup nous amuser cette nuit …
La bête émit un souffle bruyant, chassant un jet de vapeur chaude, passa une longue langue rouge sur ses babines et se remit en route sans montrer la moindre émotion. Il n’avait pas dit son dernier mot et la nuit était loin d’être finie.
La créature se remit en route derrière lui, amusée. Elle lui avait dit en partant que c’était à lui, cette fois, de leur trouver de quoi jouer et elle savait qu’il ne la décevrait pas, mais depuis le temps qu’ils venaient jouer dans ce coin de forêt, les résidents, quels qu’ils soient, devaient se méfier, ils allaient encore devoir aller voir plus loin …
Un bruit … Tous deux l’entendirent et stoppèrent net … La bête tendue à l’extrême, tendit le cou, retroussant la truffe en cherchant une odeur et montrant les dents une fois qu’il l’avait repérée. La créature en fit de même … Un simple regard entre eux, du coin de l’œil, et ils partirent en courant, non pas droit devant eux mais zigzaguant entre les arbres, sautant les buissons avec la même agilité et la même rapidité.
A un moment, ils se séparèrent, l’un sur la gauche, l’autre sur la droite et continuèrent ainsi l’un à la hauteur de l’autre, suffisamment loin que pour surprendre la proie de deux cotés mais suffisamment proche que pour ne pas se perdre du regard, fonçant tous deux vers la proie, silencieux malgré la rapidité de leur course.
Mener la chasse n’était pas pour déplaire à l’animal… Depuis qu’il vivait auprès d’elle, il s’était habitué au confort d’un toit, d’être abrité du vent , de la pluie et des autres colères climatiques. La nourriture elle même ne posait guère plus de problèmes, si il lui arrivait toujours de chasser de petits gibiers comme cet oiseau envolé plus tôt, il savait parfaitement qu’au besoin, tout lui tomberait dans la gueule… Malgré tout, il restait un loup et si son semblant de domestication ne lui posait pas vraiment de gêne, il n’en demeurait pas moins un animal sauvage…
Alors, courir ainsi dans les fourrés, ralentir, humer l’air, chercher la moindre parcelle de musc parmi les senteurs de terres et de végétaux, se tapir, écouter les moindres sons, attendre… Bref chasser, revenir à sa condition originelle de prédateur, était clairement pour lui un plaisir. Et puis, il n’était pas seul… Elle était là, cette créature si différente de lui mais si proche pourtant, car il avait parfaitement conscience qu’il ne chassait pas avec une de ses semblables, mais, pourtant, ils agissaient en parfaite harmonie, il avait appris à déchiffrer ses gestes, et elle semblait comprendre les moindres tressaillements de son pelage noir.
Ainsi, il était à présent à la recherche de cette odeur mais avait elle perçu elle aussi cet étrange mélange dans l’air, si infime? Il avait remarqué qu’en certaines circonstances, son odorat pourtant bien supérieur à celui des autres créatures de son genre, n’était pourtant pas aussi précis que le sien… Et là, bien qu’elles soient très proches, et presque indissociables, il y avait une légère variation..
Des bruits de frottements et de respirations se firent entendre, l’animal se stoppa derrière un bosquet, observant à travers son feuillage… Elle était toujours non loin de lui… Et très vite, il porta son regard vers une autre direction.
Un magnifique cerf se tenait à quelques mètres, frappant le sol de ses sabots la tête basse, arborant une magnifique arborescence de bois dressée face à un autre cerf tout aussi majestueux bien qu’orné d’une ramure moins impressionnante… A cette époque, plusieurs facteurs pouvaient expliquer cette confrontation nocturne entre mâles : suprématie ou femelles..
Toujours était il que si elle voulait des proies plus imposantes, elle était servie.. Deux cerfs en rivalités promettaient bien des efforts… Même si leur défi baissait leur garde quant aux dangers alentours, cela n’en resterait pas moins risqué….
Il huma l’air de nouveau… D’autres proies ne trouvaient non loin, différentes de celles ci…
Il jeta un œil vers elle, lui laissant le choix de passer à l’action avec les deux cerfs, ou de suivre une des autres pistes…
La vampire avait stoppé sa course en même temps que le loup et, comme lui, accroupie sur la mousse du sous-bois, elle humait l’air, repérant autant les odeurs que les auras alentours.
Les deux cerfs étaient faciles à repérer, elle sourit, comme tous les mâles de toutes les espèces, lorsqu’ils s’opposaient l’un à l’autre ils perdaient toutes notions de prudence …
Mais il n’y avait pas qu’eux, un peu à l’écart, cachés derrière le feuillage, quelques femelles et petits attendaient l’issue du combat afin sans doute de savoir auquel des deux mâles elles allaient désormais appartenir.
Un frisson lui caressa le dos, d’autres proies approchaient sur la droite, face au vent … Des chasseurs humains !
Ils étaient encore assez loin, si ce n’est cet éclaireur, ils attendaient sans doute que les deux mâles soient en plein combat pour s’attaquer aux femelles sans défense. Toute la démonstration du courage des humains !
Durant cette très longue époque où elle avait existé seule, elle avait du sa survie à son seul instinct de prédateur et de chasseur. Parfois elle avait fait usage de ses pouvoirs de femelle et de sa condition mais souvent cela s’était retourner contre elle. Ce n’était que depuis qu’elle avait choisi la sécurité auprès de son compagnon qui lui avait appris les méthodes « civilisées » de sa race, qu’elle avait changé. Mais elle restait un prédateur et adorait chasser et, c’est auprès de son loup qu’elle assouvissait ce plaisir.
Les humains restaient bien sûr un menu de choix pour elle, mais ils étaient tellement prévisibles, tellement faibles …
Les femelles n’avaient pas vraiment d’intérêt, elles se laisseraient tuer juste pour favoriser la fuite de leurs jeunes.
Restaient les deux mâles !
S’il n’y avait pas eu les humains aussi proches, elle aurait bien attendu la fin de leur combat. Bien que violents, ils étaient rarement mortels et elle aurait su qui était le plus fort, mais ici ils n’en auraient pas le temps. Dés qu’ils auraient repéré leur présence, ils feraient sans doute front tous les deux, l’un préservant le troupeau et l’autre faisant face à l’assaillant. Celui-là les entraînerait au loin, le plus loin possible …
Elle sourit, se passant la langue sur la pointe de ses canines, la chasse était prometteuse.
Elle croisa le regard du loup et su qu’il en était aussi arrivé à la même conclusion, d’un signe de tête, elle montra les cerfs et découvrit ses longues canines. Elle se tient prête à bondir, tous ses muscles bandés, et attendit le signal de son compagnon, prête à une longue course à travers la forêt …
Mais les choses tournèrent tout autrement, l’éclaireur humain commit une erreur qui allait lui coûter cher, il fit un bruit incongru qui révéla sa présence au troupeau et, ce qui devait arriver … arriva.
Le combat des chefs s’arrêta net, l’un des combattants se recula vers les femelles tandis que l’autre se dressa sur ses pattes arrières face aux humains, leur signifiant qu’il ne les laisserait jamais passer sans combattre.
La vampire et le loup se regardèrent, soufflèrent de dépit et se tournèrent alors vers l’humain dont le visage se décomposa aussitôt. Non seulement il allait faire perdre un repas de roi aux chasseurs mais ils n’allaient sans doute ne jamais rentrer au château.
Les deux prédateurs se dressèrent de chaque coté du grand cerf, celui-ci compris instantanément, grâce à la magie des mystères des habitants de la forêt, que son heure, à lui et aux siens n’avait pas sonné. Il frappa violemment le sol de terre battue de ses sabots, souffla bruyamment et fit front avec les deux créatures.
Les chasseurs arrivaient, essoufflés, ils étaient pourtant nombreux mais ils comprirent très vite l’horreur de leur situation.
Le cerf fonça le premier sur le rabatteur, l’embrocha sur ses bois puissants et le projeta dans les airs tandis que le loup et la vampire se jetaient sur les autres, l’un et l’autre enfonçant leurs crocs mortels dans la chair humaine.
Les corps gisaient au sol, brisés et ensanglantés.
Le grand cerf savait qu’il n’avait plus rien à faire ici, dans un grognement il salua de la tête, agitant ses hautes bois vers ses compagnons de combat de cette nuit et disparut entre les arbres. Il savait parfaitement qu’il avait lui-même échappé de peu aux prédateurs et que la prochaine fois qu’il recroiserait leur route le combat serait bien plus rude pour lui.
La créature de la nuit et son loup noir le savaient aussi, ce majestueux cerf serait un adversaire de choix, mais pas cette nuit, pour l’instant, ils avaient de quoi se restaurer l’un et l’autre, à leur manière.