Conte 7 : Le Retour de la Reine – 13ème partie

5 mins

Le soleil se levait à peine. Les autres étaient encore chez lui en train de se reposer. Damian, lui, était derrière le volant de sa voiture. Il roulait vers l’hôpital. Il voulait savoir. Il voulait en avoir le cœur net. Arrêter de supposer. Arrêter d’anticiper des choses qui ne seraient peut-être jamais. Arrêter de se torturer simplement. Mais, en même temps, il ne pouvait s’empêcher de se demander ce qu’il allait trouver là-bas, ce à quoi il devrait encore faire face. Encore. Sa résistance physique et psychologique avaient durement été mises à l’épreuve ces dernières années et il suffirait d’une pichenette pour qu’il bascule. Vers quoi ? Dans quoi ? Il n’en savait rien. Mais il avait l’impression d’être au bord d’un précipice, que le sol tout autour de lui s’effritait et qu’il suffirait d’un simple coup de vent pour qu’il y tombe. Les événements de ces dernières jours, de ces dernières heures, l’avaient affecté bien plus qu’il ne l’aurait voulu, bien plus que ce qu’il voulait se l’avouer. Revoir Belinda lui avait été extrêmement difficile. Et encore plus douloureux de s’imaginer, de se douter de ce qu’elle devait endurer. Il s’en voulait horriblement.

L’envie de tout laisser tomber grandissait en lui. Il avait envie de partir, de ne plus jamais revenir, de se sauver. Mais il n’en avait pas le droit, se disait-il. Il devait tenir pour Amanda avant tout, pour les autres. Maintenant pour Belinda. Il devait tenir. Ne pas renoncer. Se battre même si c’était pour perdre au final. « Ce n’est pas important de perdre ou de gagner, l’important c’est de ne pas abandonner ». Cette maxime qu’il s’était très souvent répété ne lui était d’aucune aide aujourd’hui. Il était terrorisé comme un gosse perdu au milieu d’une foule d’inconnus qui le regardaient comme des prédateurs près à lui sauter dessus au moindre de ses mouvements. Et pourtant, il continuait d’avancer cet hôpital, vers ce qui l’attendait là-bas. Il n’en avait pas le choix. Il lui fallait aller jusqu’au bout, rester ce qu’il était jusqu’au bout.

Enfin, il arriva en vue de cet hôpital sur le parking duquel il se gara. Il resta assis derrière son volant, fixa l’entrée des urgences. Quel monstre l’attendait encore là-bas ? Quel monstre viendrait encore se nourrir de lui ?

Il souffla pour se donner un peu de courage, en trouver suffisamment pour parcourir les quelques mètres qui le séparaient de cette entrée.

Dès qu’elle le vit entrer Stella vint dans sa direction. Elle le salua, remarqua bien vite l’angoisse dans son regard, ce qui la fit sourire. Après avoir échangé quelques banalités, elle l’emmena vers l’un des box où se trouvait encore Belinda.

– « …son état général, c’est une catastrophe, elle est anémiée, déshydratée, carencée ce qui, vu sa maigreur, n’est pas vraiment une surprise. Elle fait aussi une forte hypertension. Pour une femme de son âge et de sa corpulence, c’est assez inquiétant…[Damian sentit son cœur se serrer, cogner dans sa poitrine, son estomac se tordre, tout son être se glacer]…il faudra faire des examens par la suite pour voir d’où ça vient…mais…je te cacherai pas que cela m’inquiète. En même temps vu ce qu’elle a subi ça peut aussi facilement s’expliquer…elle…euh…elle a eu plusieurs fractures qui n’ont pas été soignées, pas correctement en tout cas…et…il n’y en a une surtout qui risque de poser problème. Bon pas tout de suite, hein…mais il faudra s’en occuper parce que tu vois, elle a une cote qui s’est ressoudée en formant pratiquement un angle de quarante-cinq degrés et qui risque à terme de lui endommager le poumon. Mais on s’en occupera quand elle aura suffisamment récupérer. Là, elle est trop faible pour le moment…[Damian acquiesça, plus cette Doctoresse parlait plus il s’en voulait et plus il sentait son cœur frapper dans sa poitrine]…Pour le reste, on a affaire à de la maltraitance, bête et méchante j’ai envie de dire, il ne faut pas se le cacher, hein…tout ce que tu peux imaginer elle l’a subi et vu ses lésions ça ne fait pas le moindre doute…de la violence physique bien sûr, et tout l’éventail de saloperies que…que seul un mec peut imaginer sans vouloir te…hein ! lui dit-elle en posant sa main sur son bras. Le moins grave dans tout ça et c’est paradoxal c’est la blessure par balle. C’était propre, net, on a eu qu’à recoudre. Elle aura probablement un peu de mal à se servir de son bras dans les semaines qui viennent mais ça devrait aller. Tu vois rien de tout ça n’est ingérable hein…sauf que dans son cas on est sur un organisme fatigué qui a été très, très malmené pendant très longtemps, ça laisse des traces…ce sera difficile Damian, je te le cache pas…on fera ce qu’on peut mais le plus gros du boulot ce sera à elle de le faire…et…d’après ce que on m’a dit elle n’a personne. Tu sais comme moi que c’est bien plus difficile de se battre quand on est seul…et crois-moi c’est encore plus vrai quand on est dans son cas…pour être passée par-là je le sais…donc…tu sais je suis très loin d’être stupide…avant qu’on ne la mette sous sédatif, elle n’a pas cessé de te réclamer. Rassure-toi à part moi personne ne l’a entendue. Ecoute, ce qui s’est passé entre vous ou ce qui se passe entre vous ça ne me regarde pas…mais…si tu tiens à elle alors sois là pour elle…ok ?…[Damian acquiesça]…Pour ce qui est du reste tu sais si on me demande pas les détails je m’en tiendrais aux grandes lignes, je n’aime pas les grands discours de toute façon…et puis…elle en a assez bavé comme ça…mais…seulement si on ne me demande pas de détails, ok ? 

Ok acquiesça-t-il de nouveau.

On y est…lui dit la Doctoresse en arrivant devant un box refermé par un paravent marron qui avait déjà bien trop servi, on va la monter en trauma cet après-midi, on te donnera le numéro de la chambre.

Merci, Stella.

C’est mon boulot…mais si je peux me permettre Damian, la laisse pas seule ce serait un crime » lui dit-elle posant une fois de plus sa main sur son bras avant de le laisser, seul, devant ce box.

Damian resta, là, devant ce paravent. Il mit quelques minutes à tout digérer et encore quelques secondes à trouver le courage d’entrer dans cette minuscule salle de soins. Là, il ressentit la plus violente des douleurs qui puisse exister : voir celle que l’on aime branchée à tout un tas d’appareils, des aiguilles dans les bras et des tuyaux dans le nez et la bouche.

Fébrile, il avança alors près d‘elle, lui prit la main, la serra dans la sienne. Il s’en voulait tellement de ne rien avoir fait. Tout à coup, il sentit une présence derrière lui. Il se retourna.

– « Ji souis disoulé… lui dit alors un homme à l’air perdu, ji chirche moune fils » ajouta-t-il laissant briller sa dent en or. Il jeta un rapide coup d’œil vers ce lit d’urgence. « Disoulé ». Damian le regarda sans rien dire, froid. Il s’en alla aussitôt.

Damian resta là avec elle, lui tenant la main, restant à ses côtés tandis qu’on la montait dans les étages et qu’on l’installait dans une chambre particulière à sa demande. Là, des gendarmes de l’USIGN se présentèrent aux urgences. Ils furent, aussitôt, reçus, interceptés, par Stella qui s’opposa à ce qu’ils interrogent Belinda, son état ne le leur permettant pas.

Damian fut, plus tard, rejoint par Katy et Nadya qui, avant de venir aux nouvelles, accompagnaient Amanda.

Damian et Amanda restèrent dans cette chambre jusqu’à la fin des visites. Lorsque l’infirmière vint les prévenir qu’il était temps pour eux de partir, Amanda se dirigea vers Belinda encore endormie, lui fit un câlin et enleva le pendentif qu’elle portait, cette chaine en or et ce trèfle à quatre feuilles. Elle le passa autour de celui de Belinda, l’arrangea bien, lui donna une bise et lui murmura :

– « Pardon de t’avoir tirée dessus ».

Damian serra sa main dans la sienne une dernière fois et ils s’en allèrent lui promettant de revenir aux aurores le lendemain matin.

Dans la nuit, Belinda s’éveilla. Elle fut d’abord désorientée. Où était-elle ? Que s’était-il passé ? Avait-elle rêvé ? Etait-ce la réalité ? Durant quelques minutes, elle n’aurait su le dire. Puis, lentement, elle se rappela la ferme, le feu, Damian, Amanda, tous les autres, ce qui s’y était passé, ce qu’ils avaient tous fait pour elle, ce qu’ils lui avaient dit. Elle se calma.

Tout à coup, elle sentit quelque chose de froid à son cou. Elle étreignit alors ce trèfle dans sa main. Les larmes coulèrent sur ses joues. Elle savait que ça irait maintenant. Ils étaient là. Damian, Amanda, les garçons, Katy et Nadya, ils étaient tous là. Ils ne la lâcheraient pas. Jamais. Et elle non plus. Elle se battrait et bientôt, ils se retrouveraient tous. Comme avant. Mieux qu’avant. Belinda s’en fit alors la promesse.

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