Personne n’est parfait-chapitre 15

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Partie 2 : L’écho

Chapitre 15

Je n’ai pas toujours voulu exercer le même métier que mon père. J’entends souvent dire que c’est une vocation. Mais moi, je me suis décidé assez tard. Elizabeth, elle, savait. Pour elle et pour moi. Enfin… elle se doutait. Elle a une sorte d’instinct qui ne trompe pas. Pour les bonnes choses, comme pour les mauvaises.

D’aussi loin que je m’en souvienne, le journalisme l’a toujours passionnée. Elle s’impliquait autant qu’elle pouvait dans le trimestriel que le lycée publiait. Elle lisait beaucoup. Elle analysait, interprétait, critiquait. Avoir la revue de presse chaque matin me faisait économiser du temps. Alors j’acquiesçais à chacune de ses remarques mais ça m’est longtemps passé bien au-dessus.

C’est elle qui a décidé de s’inscrire en fac de droit. Je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. Mais moi, comme je ne savais pas trop où aller, je l’ai suivie. Et elle avait eu du nez. Ça me plaisait bien. Du coup, après notre rupture, j’ai continué jusqu’à obtenir ma licence. C’est à partir de là que nos routes ont fini par se croiser de moins en moins. L’arrivée de ta mère, Émilie puis de toi, mon Raphaël nous empêchait de nous fréquenter autant qu’avant. Et je lui avais imposé de ne jamais essayer de vous rencontrer, sous peine de quoi je refuserai de la voir à nouveau.

Par la suite, nous ne côtoyions plus que deux à trois fois par an. Et cette fois, cela faisait quatre mois que je n’avais plus de nouvelles. Je la croisais de temps en temps, sur le terrain mais elle me faisait un discret signe de la main, continuait son travail et moi aussi. Elle ne savait même pas que ta mère m’avait quitté et c’était aussi bien comme ça. La vie continuait… jusqu’à ce mois de mars 2014.

Quand nous sommes arrivés avec les collègues, tout le monde avait déjà été réquisitionné. Les pompiers, le SAMU… Dans la nuit de Paris, j’apercevais les gilets fluorescents qui s’affairaient. Peut-être plus que d’habitude. L’avant de la voiture était complètement défoncée, la portière côté conducteur arrachée et le pare-brise avait volé en éclats. Seuls quelques détails me laissaient deviner qu’il s’agissait d’une Fiat 500, blanche.

L’effervescence, j’avais l’habitude. Les camionnettes de secours s’en allaient délivrant leur invariable concert quand je me suis approché du véhicule ou plutôt de ce qu’il en restait.

Mais ce soir-là, je n’y étais pas. On m’avait tiré de mon bureau en catastrophe alors que je griffonnais de la paperasse et je m’étais dit « bordel, pourquoi moi ? ». Je pensais à toi, mon garçon qui m’attendrait demain à la sortie de l’école et moi qui ne serait pas d’attaque. Pas d’attaque parce que depuis plusieurs jours déjà, je n’arrivais pas à récupérer. Mon corps me lâchait. Plusieurs fois que mes visites étaient repoussées pour des prétextes idiots alors que moi, je crevais d’envie de te voir.

Non, ce soir-là, je ne voulais pas imaginer l’état du ou des passagers évacués. Non, ce soir-là, je ne voulais pas connaître la raison pour laquelle cette citadine était venue s’empaler dans ce tunnel. L’alcoolémie, la vitesse, la fatigue ? Le résultat était le même. Non, ce soir-là, je ne voulais plus écrire une ligne, même si le compte-rendu, en l’absence de témoin, serait vite rédigé.

Mais j’ai pensé à la famille et je me suis concentré à nouveau. C’était mon job. Je devais l’exécuter. Alors j’ai prêté attention au moindre détail qui aurait pu nous expliquer comment on en était arrivé là.

L’état des lieux semblait indiquer la présence d’un peu de verglas mais j’étais perplexe. Un de mes co-équipiers était parti se renseigner sur l’identité du ou des occupants tandis que l’autre regardait le véhicule avec circonspection, muni de l’appareil photo.

– Ces nouvelles petites bagnoles sont des cercueils ambulants… Quand je pense que ma femme a la même.

Je m’approchai des miettes afin de commencer les constatations proprement dites. Bizarrement, c’est un morceau de porte-clés tombé sur le tapis qui attira rapidement mon attention. Je le ramassai. Ce trèfle à quatre feuilles, je le reconnaissais pour le lui avoir offert il y a longtemps. Je ne bougeais plus, sous le choc. Aujourd’hui, la famille, c’est moi.

Tremblant, au bord des larmes, ma vue se brouille. Les halos de lumière me brûlent les yeux. Comme un voile autour de moi. Plus rien n’existe. Les souvenirs se bousculent. Des images me reviennent, pêle-mêle. Je ne veux pas y croire. C’est la voix de mon brigadier qui me sort de ma catharsis.

– Lieutenant ?

Il me saisit le bras ce qui finit de me ramener à la réalité.

– Eh lieutenant ! Vous allez bien ?

Inspiration : Le chant des sirènes, Fréro Delavega


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