Partie 2 : L’écho
Chapitre 17
Après son accident, en 2014, j’ai longtemps hésité avant d’aller voir Elizabeth. Et quand je l’ai vue, j’ai presque même regretté ma décision. Déjà, à la base, l’hôpital, c’est pas mon truc. Tu vas me dire, je ne crois pas que ce soit vraiment le truc de quelqu’un. Mais moi, en plus, je suis légèrement nosophobe. Donc, même en pleine santé, je craignais de repartir malade. Mais je devais au moins ça à Elizabeth alors j’ai finalement pris mon courage à deux mains.
Quand je suis entré, elle était allongée sur son lit, aussi blanche que sa chemise, le regard tourné vers la fenêtre, les yeux dans le vague. Elle était tirée d’affaire mais elle avait tous ces bidules à côté d’elle, comme si elle risquait de retomber dans le coma d’une minute à l’autre. Je ne l’ai jamais sentie aussi affaiblie. Et déprimée. Enfin, déprimée version Elizabeth. Jamais dans la demie-mesure.
Elle s’est aidée du machin qui pendouillait au-dessus de sa tête pour se relever un peu.
– Arnaud ? Qu’est-ce que tu fous là ?
Je suis rentré dans son jeu, comme d’habitude.
– Ben écoute, je savais pas quoi faire et comme j’ai vu de la lumière…
En réalité, depuis cette fameuse nuit, je n’arrêtais pas de penser à elle. À nous. J’avais fait mon maximum pour l’éloigner de moi et le destin la remettait sur ma route.
– Ça ne m’étonne pas de toi cette réflexion. Mais aujourd’hui j’ai pas envie de plaisanter.
Moi non plus. Cette odeur, ce paysage gris depuis le huitième étage, ces gens que j’avais rencontrés dans les couloirs. Personnel médical, patients, visiteurs. Les portes entrouvertes avec vue sur ces chambres formatées, avec la télévision qui surplombe et la fameuse tablette roulante. Avouons-le, j’étais arrivé à reculons.
– Je suis venu prendre quelques nouvelles, savoir un peu ce que les médecins t’ont dit.
J’avais mis de la distance entre nous mais à chacune de nos rencontres précédentes, j’avais l’impression de reprendre la discussion de la veille. Chaque fois, je me sentais à l’aise. À nous deux, on aurait pu refaire le monde. Au fond, on parlait peu de nos vies. De l’important. On parlait musique, bouquins, boulot, politique… Les éclats de rire fusaient et c’est toujours quand elle était là que je réalisais la douleur de son absence. Alors égoïstement j’avais laissé perduré cette relation bancale entre nous. Juste pour avoir ma dose. Et quand je n’en n’avais plus ressenti le besoin, j’avais laissé coulé sans penser à ce que ça pouvait lui faire. Je voulais juste qu’elle m’oublie pour de bon, « pour son bien ».
Pourtant, à présent, tout avait changé dans ma tête. Il y avait nouvelle donne et je voulais saisir cette opportunité.
– Sans déconner ? Au vu de ton attitude de ces derniers mois, j’imaginais plutôt que t’aurais été content d’être débarrassé de ta chère amie.
J’avais tous les torts. J’étais parti, j’avais eu un enfant avec une autre, et malgré moi, je l’avais peut-être repoussée plus que je n’aurais dû. Je ne pouvais pas lui reprocher sa réaction. Je ne savais pas quoi répondre alors j’ai eu cette phrase malheureuse.
– Sinon, comment tu te sens, toi ?
Elle pouffa difficilement.
– Mal, Arnaud. Mal et inutile. J’aurais du y rester, le monde aurait continué de tourner sans moi.
Hummm. L’expression « moral dans les chaussettes » serait un doux euphémisme pour exprimer ce qu’elle ressentait. J’aurais aimé trouver les mots justes pour la consoler mais ce jour-là, je n’étais visiblement pas très doué pour ça. Pourtant, je comprenais. Seul, dans ces murs aseptisés, avec l’uniformité pour horizon, je ne crois pas que j’aurais valu mieux qu’elle. Et ce n’était pas un pauvre bouquet de fleurs, mon cœur lui-même y fusse-t-il à l’intérieur, qui aurait pu sauver les apparences.
J’ai tenté :
– Ne dis plus jamais une chose pareille.
– Pourquoi ? Je ne suis pas irremplaçable. Ça aurait été plus simple. Ça aurait soulagé la Sécu, ça t’aurait peut-être même soulagé, toi. Oh, je dis pas, au début, tu aurais probablement souffert. Un minimum. Mais après…
– Ne sois pas si dure avec toi-même.
– Je suis réaliste. Avec mes conneries, j’ai perdu le peu que j’avais, ce que j’aurais pu avoir de plus précieux.
– Je te suis pas.
– Cherche pas à comprendre et laisse-moi. Je n’ai plus rien à te donner pour le moment. Plus rien, t’entends.
– J’entends.
Le long silence qui s’ensuivit me sembla peser une tonne. C’est elle qui désamorça finalement la situation.
– Je te remercie pour ta gentillesse, je te remercie d’être passé mais j’ai besoin de temps, je suis désolée.
À ce moment-là, j’aurais voulu qu’elle entende mes excuses à moi aussi. J’aurais voulu lui expliquer qu’elle ne me devait rien, qu’il fallait juste qu’elle accepte de recevoir pour une fois, une toute petite fois. Mais comme j’étais trop fier, je suis juste parti sans rien dire.
Inspiration : Chère amie, Marc Lavoine
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