Partie 2 : L’écho
Chapitre 24
Je me sens détendue chez Jimmy. Il vient de relire une dernière fois mon article et maintenant on a besoin de décompresser, de se changer les idées.
Je lui tends le portrait que je viens de réaliser dans mon carnet. C’est le sien. Depuis que j’ai repris, ce dernier s’emplit peu à peu de toutes sortes d’inspirations au gré de mes envies et je remarque qu’avec la pratique, mon niveau s’améliore. On pourrait presque douter que ce soit la même personne qui aie griffonné les premières et les dernières pages.
Enfin, je vais peut-être arriver à laisser Arnaud derrière moi. Je pensais ne jamais y arriver mais je suis sur la bonne pente. Peu à peu, je laisse derrière moi la personne que j’étais, les non-dits qui avaient eu raison de moi s’estomper, les sentiments se libérer. J’avais fait semblant depuis une éternité alors je brisais aujourd’hui ces défenses derrière lesquelles je m’étais trop longtemps retranchée. Je m’échappe et ces ombres sur le papier font partie du processus de ma renaissance. Ce changement qui me permettrait de m’éloigner enfin de mon passé, qui me permettrait de me connaître vraiment.
– Pas mal.
– C’est tout ? T’es dur !
– C’est pour que tu restes motivée.
Moi, je le trouvais pourtant plutôt bon ce dessin, même si on peut toujours s’améliorer. Peut-être que ce soir, le trait est moins sûr, moins spontané et que ça se ressent. Il reprend mon calepin et feuillette les pages avant de m’en mettre une sous les yeux. Il y pointe Arnaud du doigt sur ce croquis que j’avais fait au jardin du Luxembourg, en me regardant malicieusement.
– Celui-là est plus réussi. Parle-moi de lui.
Revoir cette image maintenant, c’était un peu comme recevoir un coup de poignard dans le cœur. Comme se retrouver sur une page que j’avais eu du mal à tourner, relire un livre que j’avais adoré mais dont je savais déjà que j’allais pleurer à la fin. Je peinais à trouver les mots.
– Il est une de ces personnes dont on garde la tendresse, les doutes et les problèmes. Un de ceux auquel on ne devrait pas s’attacher mais sur lequel on ne peut pas tirer un trait. Une de ces amours étranges dont on ne sait pas si elles nous font trop de mal ou pas assez de bien…
Jimmy sourit.
– C’est nul, je sais. Quand je pense à Arnaud, je deviens idiote.
– Je n’ai rien dit.
– Je le vois dans tes yeux.
– Je souris parce que la description que tu me fais de cet homme m’en rappelle une autre.
Je souris à mon tour avant qu’il ne reprenne.
– Après tout ça, je t’emmènerais en vacances et tu verras, à deux, on va les oublier.
Non. Accepter l’état de faits peut-être, qu’il contribue à faire de moi la personne que je suis aujourd’hui, d’accord mais l’oublier certainement pas. Certains événements vous forgent le caractère et en faire abstraction serait me renier moi-même. Alors je garderai ces doutes et ces problèmes, ceux qu’il n’a jamais jugé bon de partager, tout comme cette pluie incessante, cette pluie qui claque sur le sol. Puis cette question qui ne me quittera pas, tel un aveu coupable : et toi, m’effaceras-tu de ta mémoire ? Je ne veux tellement pas.
– Un périple sur la terre de tes ancêtres, ça te dit ?
Je perçois l’espièglerie dans les yeux de Jimmy. Il sait très bien que je n’ai pas forcément très envie d’aller là-bas. Il sait ce qui s’y raccroche. Je le lui ai raconté. Mais il sent également qu’à lui, je ne dirai pas non. J’ai besoin de soleil maintenant. Au propre comme au figuré.
– Au bord de la mer alors.
– Et pourquoi je te prie, señorita ?
Ce « señorita » fleure bon la Méditerranée. Ses racines à lui aussi. Il me donne envie de le suivre malgré toutes mes réticences. Il aime ce pays et peut-être arrivera-t-il à le me le faire aimer à mon tour.
– Tu ne vas peut-être pas me croire mais je ne l’ai encore jamais vu, la mer. Vu de près je veux dire.
– Tu me charries là ? Même pas la mer du Nord ?
– Ma mère avait peu de congés et quand plus tard, j’en ai eu l’occasion, quelque chose m’a toujours finalement empêché de faire le déplacement.
– Donc ce sera ton premier voyage en mon agréable compagnie et ta première baignade en mer.
Il réfléchit quelques secondes avant de reprendre.
– Je connais bien Barcelone, ça te tente ?
J’acquiesce. J’ai entendu parler maintes fois du charme de cette ville sans jamais y avoir mis un pied. J’ai envie qu’il me la fasse découvrir à sa façon, envie d’unir à cette ville des souvenirs inoubliables. Au-delà des guides touristiques, y voir plus que la silhouette gothique de la Sagrada Familia se détachant sur un horizon bleuté, y sentir plus que l’ambiance colorée et bruyante du marché de la Boqueria ou y toucher plus qu’un antique passé au cœur du quartier du Barri Gotic. Voilà ce que je veux. M’y enrichir de détails qui n’appartiendront qu’à ceux qui auront pris la peine de venir les chercher.
– Enfin, pour le moment, je suis en retard. On en reparle tout à l’heure. Ça te laisse le temps d’y réfléchir.
Je l’embrasse sur la joue avant de l’abandonner lâchement. Il faut que j’aille à ce rendez-vous avant que l’article soit publié cette semaine. J’ai besoin de sources fiables et seul ce contact pourra valider mes infos.
– Bon ben, à plus tard.
– Oui, c’est ça. A plus tard.
Jimmy continue sûrement de feuilleter mon carnet que mes mots s’évanouissent déjà dans l’appartement.
Cet article, les conséquences qu’il aura sur l’avenir, c’est déjà un bon début pour passer à autre chose. Je me sens utile. Jimmy aura ce qu’il veut. Et moi aussi, peut-être.
Inspiration : Don’t you (forget about me), Simple Minds
Mes autres réseaux sociaux :
Mon blog : https://isabelledayblog.wordpress.com/
Facebook : https://www.facebook.com/isabelle.myriam.day/
Twitter : https://twitter.com/IDay1985
Instagram : https://www.instagram.com/iday1985/
Ma page Short Édition : https://short-edition.com/fr/auteur/isabelle-day
Et pour être sûr de ne rien rater et avoir accès à du contenu inédit, vous pouvez également vous abonner à la newsletter (1 mail/mois à partir d’août 2019) en m’envoyant un message à isabelle.day(at)outlook.fr (remplacer (at) par @)