Partie 2 : L’écho
Chapitre 32
Assise à mon bureau, mes yeux sont rivés sur l’écran et je me suis laissée du temps pour souffler. Face à moi, sur son poste de travail, Sylvain, lui, fait le point avec Paul. Il est un des meilleurs photographes ici et j’ai la chance que ce soit lui qui m’accompagne le plus souvent.
Paul sourit. C’est bon signe. Il est plutôt de bonne humeur. Je ne vois pas pourquoi. Les emmerdes commencent tôt le matin pour lui. Mais il a cette capacité à ne jamais rien laisser paraître. Faire face quoi qu’il arrive, voilà son credo. Pourtant, là, tout de suite, je dirais qu’il a quand même l’air soulagé que quelque chose se déroule enfin correctement au cours de sa journée de dingue.
Debout derrière mon collègue, il me lance un regard furtif puis se tourne à nouveau vers lui.
– Beau boulot.
Mes pensées s’évaporent. La vie continue. Les saisons défileront encore.
Aujourd’hui, j’ai écrit un article sur les conditions de sécurité dans le cadre du tournoi de Roland Garros. Dans le même temps, Sylvain, lui, a réalisé une série de clichés des différents matchs. Saisissant.
Aujourd’hui, il y a eu du sport. Des hommes, des femmes. Des corps qui lâchent, d’autres qui laissent éclater leur joie après une lutte de plusieurs heures. Cet après-midi, il a eu la chance de voir toutes sortes de sentiments s’étaler sous ses yeux. Des sourires se dessiner sur les visages et de la chaleur humaine réchauffer les cœurs meurtris.
J’admire cette capacité à capter l’instant idéal. Là-bas ou ailleurs, saisir le moment où son œil voit plus loin que le nôtre. Ce moment où tel homme politique aura l’air le plus ridicule, où telle situation paraîtra la plus bouleversante, où telles larmes seront les plus touchantes. J’aimerais savoir détecter, comme lui, l’harmonie ou les désaccords du quotidien. Car avec sa façon de valoriser à travers l’objectif, j’ai l’impression qu’il voit la vie en plus beau.
Il est l’heure pour nous de rentrer. Sylvain se tourne vers moi tout en enfilant sa veste.
– Je t’invite à boire un verre pour fêter ça ?
– Pas ce soir, j’ai déjà prévu quelque chose mais c’est gentil.
Nous nous faisons la bise et je lui promets de remettre ça à plus tard. Je reste seule avec Paul qui se rapproche de mon bureau.
– Je pensais dîner avec toi.
Ses cheveux aux reflets d’argent lui donnent cinq ans de plus mais Paul dégage une sympathie et un charisme indéniables. Ce n’est pas pour autant que je ne stresse pas un peu en attendant sa réponse. Il a bien compris qu’une sollicitation aussi impromptue n’était pas anodine.
– Perds pas ton temps. Qu’est-ce que tu veux ?
Ce n’est pas dans mes habitudes de lui demander quoi que ce soit. Car si je suis intime avec lui plus qu’avec qui que ce soit d’autre ici, ce n’est pas pour autant que je souhaite un traitement de faveur de sa part.
– Des vacances. À partir de ce soir.
Je suis mal à l’aise et je ne sais pas si sa grimace signifie une nouvelle interrogation ou un mécontentement.
– Oh… je reste dans le coin si besoin mais j’ai besoin d’un break.
Il a l’air intrigué. Je suis restée assez évasive avec lui sur ce qui se passe dans ma vie perso ces derniers temps. Il n’a pas besoin de ça. Pas besoin d’être impliqué malgré lui dans des événements qui le dépassent.
– Qu’est-ce que tu mijotes ?
J’avais prévu un joli voyage à Barcelone et je me retrouve à chercher la vérité sur ce qui s’est passé. C’est la seule direction vers laquelle je veux me diriger. Et je ne peux pas le faire tout en continuant de travailler ici.
– Après le succès de mes derniers articles, je pense que c’est mérité, non ?
– Ce n’est pas la question.
La police a finalement conclu à un accident et non à un suicide. Mais c’est du pareil au même. Leur enquête est close. Pas la mienne. Je veux dénicher le salaud qui a fait ça, même si je dois être la prochaine sur sa liste.
Car de cette réponse dépend tout le reste. J’ai mis ma vie en stand-by. Elle ne reprendra que lorsque je saurai. Et même s’il n’est plus là, Jimmy me donne une force que je ne soupçonnais pas. Il a rempli mon cœur d’un espoir que je croyais perdu. J’aurais pu l’aider à accéder à l’avenir dont il rêvait, si on lui en avait laissé la chance. Oui, on aurait pu devenir des gens bien. Vraiment. Et je ne laisserais rien ni personne salir ça.
Inspiration : Beautiful day, U2
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