Personne n’est parfait-chapitre 33

4 mins

Partie 2 : L’écho

Chapitre 33

Je me demande encore comment je me suis laissé convaincre par Elizabeth de venir. Ce type ne représente rien pour moi. C’est à croire que je ne saurai jamais lui dire non. Enfin. Le résultat est que je me retrouve ici un peu gêné par cette situation.

Engoncé dans mon costume sombre, cheveux plaqués avec du gel, une fois n’est pas coutume, je regarde autour de moi, en me concentrant pour ne pas me balancer d’un pied sur l’autre par impatience. J’avais imaginé plus de monde et ce vide à combler sur les bancs du fond augmente mon désarroi. À mes côtés, robe noire, petite pochette assortie et foulard fétiche autour du cou, Elizabeth pleure à chaudes larmes. Depuis le début de la cérémonie. Elle n’arrête pas. Comme si elle ne savait pas comment faire. Je n’ai pas l’impression qu’elle surjoue. Mais je m’interroge. Le lien qui les unissait justifie-t-il qu’elle se sente si bouleversée ? Après tout, ils ne se connaissaient que depuis quelques semaines et elle n’a jamais prétendu une quelconque relation amoureuse avec lui. J’en conclus que ces événements lui rappellent peut-être simplement de mauvais souvenirs.

Car oui, je ne l’ai pas encore mentionné mais ici, on a déjà enterré sa mère et mon grand-père. Trois enterrements et pas de mariage. Comment oublier ? Que j’ai été là pour elle et qu’elle a été là pour moi si souvent. Un lien si fort qui ne s’est pourtant jamais concrétisé par un « jusqu’à ce que la mort nous sépare ». Ma faute. J’ai toujours trouvé ça trop définitif. Toujours pensé qu’il n’y avait que Dieu pour inventer un truc pareil pendant que nous, les êtres de chair et d’os, nous lui accolions déjà le divorce. Est-ce qu’elle pense encore à cela ? À nous, parfois au cœur de sa solitude, ou lorsqu’elle me croise avec toi dans ce parc, mon Raphaël ? À ces baisers remplis de promesses, à ce qu’on aurait pu devenir, cette famille qu’on aurait pu fonder ? Moi j’y pense encore, surtout des jours comme aujourd’hui. Mais j’ai tourné la page et ce n’est plus qu’un vent de nostalgie qui souffle dans ma tête. Garder le bon, jeter le mauvais. N’avoir ni remords, ni regrets. Pour que quelque part dans mon esprit se reflète encore un joli tableau. Je crois qu’on peut aimer quelqu’un toute la vie mais que toutes sortes d’amour existent et que le nôtre aura toujours un goût particulier.

Le prêtre vient de terminer. Tout en regardant s’éloigner le cercueil, elle reste stoïque. Immobile au milieu de cette église tout en dorures, elle ferme les yeux et prend une profonde inspiration. Je ne sais pas ce que je dois faire. La laisser chercher un air nouveau ? Combien de temps ? Je me décide finalement à lui prendre la main pour l’inviter à sortir.

Elle rouvre les yeux et contre toute attente, s’effondre dans mes bras. Mais pas comme si elle réclamait encore mon amour. Non, plutôt comme si elle cherchait une branche à laquelle se raccrocher. Je réalise que cette étreinte est certainement ce qu’elle attend depuis le début, la seule raison pour laquelle je suis présent et si je n’étais pas si soulagé de l’avoir quitté, cela blesserait presque mon ego de mâle. En tout cas, elle paraît se ressaisir et le reste de la procession puis l’inhumation se passent presque sans mot dire. Je me demande à nouveau ce que je fous là.

La foule se disperse et elle reste près de la sépulture un moment, à se recueillir, semblant attendre quelque chose qui n’arrive pas. J’observe le lierre sur les remparts de ce lieu atypique. Forteresse dont les condamnés ne seront jamais libérés. Dont l’esprit habite également les rosiers qui grimpent sur les caveaux. Dont la mort ne représente pas seulement des mots. Pourtant, derrière ces murs, Paris nous tend les bras et la réalité me saisit soudain.

Un homme se présente à nous. Le costume lui va bien mieux qu’à moi et la cravate ne semble pas le gêner. Ses lunettes carrées soulignent un visage bonhomme, ses cheveux gris foncés peignés sur le côté un certain besoin d’assurance et son double menton quelques de kilos en trop. L’ensemble lui donne un air de nounours, bienveillant.

– Je suis le père de Jérémy, Louis.

– Je suis Elizabeth, une amie.

Je me présente à mon tour en lui serrant la main. Elle rajoute.

– Jimmy vous aimait beaucoup, il parlait souvent de vous. Et de sa mère. Je vous présente mes plus sincères condoléances.

L’homme face à nous répond incrédule.

– Il avait pourtant mis tellement de distance entre nous.

Je vois bien que Liz se contient. Elle voudrait lui lâcher une vérité qu’elle ne tient pas à ce que j’entende. Je tente de profiter de cette situation pour m’échapper mais elle n’est pas prête à me laisser partir. Elle fouille dans son sac et en sort une carte de visite qu’elle tend à l’homme.

– Si jamais vous vouliez discuter, plus tard, je crois que je suis la personne qui a passé le plus de temps avec lui ces dernières semaines.

Elle m’énerve. Ne peut-elle pas le laisser faire son deuil en paix ? S’il rentre en contact avec elle, que va-t-elle essayer de remuer ? Nous nous éclipsons mais nous sommes encore dans les allées de galets blanc quand je me décide enfin.

– Pourquoi tu m’as fait venir Liz ?

– Je voulais t’informer.

– M’informer ?

– Puisque la police a décidé de laisser tomber, puisqu’elle est si certaine que c’est un simple « accident »…

Alors, c’est ça. Elle ne m’a pas fait ici venir pour retrouver des sentiments perdus. Elle m’a fait venir ici pour que je comprenne une chose. Soit je suis avec elle, soit je suis contre elle.

– Je prends le relais.

– C’est quoi que tu captes pas dans accident, Elizabeth ? Ac-ci-dent, tu entends ! Ac-ci-dent !

Le mot résonne dans ma tête, je l’ai déjà entendu il n’y a pas si longtemps. 2014. La différence, c’est qu’aujourd’hui, elle ne me croit pas, elle ne me croit plus et elle m’achève d’un regard, comme une promesse douloureuse.

– Nous verrons bien Arnaud. Nous verrons bien si cette fois encore, c’était un accident.

Inspiration : Toujours un coin qui me rappelle, Eddy Mitchell


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