Partie 2 : L’écho
Chapitre 34
J’ai appelé mon indic mais pas plus d’infos pour le moment. C’est bien ma veine.
Devant moi s’étale le fruit de mon travail d’investigation. Beaucoup de zones d’ombres. J’espère étoffer le dossier au fil des prochaines heures. Même si cela fait quelques années que j’ai tourné cette page pour me concentrer sur ma mission d’enseignement et des articles de fond, je n’ai pas perdu les bons réflexes.
Je me lève pour me refaire du café. Camomille en profite pour monter sur la table et se rouler sur mes documents. La vie de chat. Seize heures de sommeil, du jeu, de la bouffe. Voilà une vie de rêve. Si je croyais en un dieu quelconque, je voudrais qu’il me réincarne en main coon, les plus beaux chats du monde. J’aurais le corps couvert de longs poils blancs tandis que ma queue touffue et ma tête seraient composés d’un mélange écaille de tortue, avec du noir du côté de mon œil bleu et du roux du côté de mon œil vert.
Mais en attendant ma mort, je me replonge dans l’enquête. Ça me fait déjà sentir un peu chat. Eh bien oui, on dit bien jouer au chat et à la souris, je ne me trompe pas ? Ainsi, malgré une certaine nonchalance, l’animal qui dort en moi en ce moment n’obéira qu’à une seule règle : découvrir ce qui s’est passé.
Traquer, se rapprocher de la vérité, se frotter tout contre elle. Je ne sais pas si j’ai peur ou si je suis excitée. J’ai pris toutes mes dispositions. Je suis seule. Contre lui ? Contre elle ? Contre eux ? Je vais me laisser porter par le courant, par mes intuitions et peut-être plus vite que je ne crois, je vais me retrouver face à cet individu ou ces individus à qui je ne compte pas laisser le dernier mot.
Le soir de la mort de Jimmy, après mon départ, quelqu’un est venu, c’est certain. Mon croquis de lui ne s’est pas retrouvé calciné dans le cendrier par magie et il n’a pas bu ce verre de whisky qui a été retrouvé sur la table. Vu que ce n’est pas moi non plus, qui ? Il était d’un naturel plutôt méfiant alors qui aurait-il pu laisser entrer ? Soit quelqu’un qu’il connaissait bien, soit un inconnu qui lui semblait inoffensif. Un voisin ?
J’avais conseillé à Nicolas de faire analyser ce verre, que les empreintes seraient celles du coupable. M’a-t-il écouté ? Il a l’air fiable mais il n’empêche que leurs conclusions diffèrent des miennes.
Je me concentre sur mes maigres indices.
Quand j’habitais chez lui, j’épluchais le courrier de Jimmy et je n’ai rien repéré de suspect. Oui, je le surveillais. Malgré les évidences, comme tous les chats, c’était moi qui menais le jeu. J’aime savoir à qui j’ai à faire et il n’était pas dupe. Je le soupçonne même d’avoir laissé certains documents en évidence.
Factures, relevés de comptes… Pas de mouvement bancaire étrange. D’ailleurs, le reste de la fouille à laquelle je m’amusais régulièrement n’a jamais rien donné non plus. Quant aux mails et les relevés téléphoniques, il faut que je trouve quelqu’un pour me pirater ça mais je ne m’attends pas à des miracles. Pousser quelqu’un de sa propre fenêtre ne me paraît pas un acte prémédité.
Ma deuxième étape a été de construire l’arbre de ses relations. Professionnelles, je les ai quasiment toutes. Il va falloir que je sélectionne ceux que je vais interroger. Que je prépare nos entrevues. Les relations personnelles, il y en a et pas qu’un peu. Je bloque. Quels critères pour faire mon tri ? En premier lieu, j’aimerais interroger Louis Bonnet. Il a mon numéro. S’il esquissait le premier pas, je serais plus à l’aise.
Mon café à peine fini, je m’en ressers un. La nuit va être longue. Peut-être que je devrais choisir un remontant plus fort. Je fouille mes placards en essayant de fuir cette pensée qui me dit que c’est peut-être Arnaud qui a raison. Un accident. Je n’y crois tellement pas. Mais peut-être bien que je deviens folle, peut-être que je me fais des films.
On frappe à la porte. J’abandonne la bouteille de vodka pour aller ouvrir.
— Rebonjour.
Arnaud est là devant moi. L’espoir qui renaît doit me donner l’air bête.
— Je t’en prie, entre.
Il sort une clé de sa poche et me la tend.
— C’est pas la peine, je suis juste venue te rendre ça. J’ai oublié tout à l’heure.
A mon tour, je lui signifie l’inutilité de sa démarche.
— Je voudrais que tu la gardes.
Il soupire en trépignant.
— Liz, c’est ridicule, je reviendrais jamais habiter ici. Je pensais que tu l’avais compris.
Merci de le préciser, quelquefois que je serais trop idiote.
— Ça n’a rien à voir.
— Pourquoi tu la donnes pas à Paul ?
— S’il te plait, fais ça pour moi. Ne me pose pas de question.
Sa réflexion est sur le point de germer.
— Hummm… Encore ton fameux “instinct” ?
— Je le fais pas exprès Arnaud mais tu sais très bien que j’ai un sixième sens. Si je te la laisse, c’est qu’il y a une bonne raison et que tu comprendras plus tard.
C’est ce moment-là que Camomille choisit pour se coller contre les jambes d’Arnaud. Il a oublié ça. On ne possède pas un chat, c’est lui qui vous possède. Il la prend finalement dans ses bras et fait un pas dans l’appartement. Elle continue son charme en ronronnant dans son cou. C’est bien ma belle, c’est presque gagné. Un coup d’œil à ma paperasse sur la table, intéressé, suffit à terminer de le convaincre.
— D’accord, mais sers-moi un café. On devrait discuter.
Inspiration : Le chat, Pow Wow
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