Personne n’est parfait-chapitre 37

5 mins

Partie 2 : L’écho

Chapitre 37

J’aurais dû me douter qu’Arnaud ne ferait pas mieux qu’à son habitude. L’indécision semble être sa spécialité. Tant pis.

Cela fait deux jours que j’ai repris mes investigations. Sans lui. Les minutes, les heures s’égrainent tandis que mon puzzle commence à s’assembler.

Je passe quelques coups de fils, j’en apprends plus que je n’aurais cru sur celui qui a partagé ma vie pendant ces quelques semaines. Je ne regrette rien. Les nuages ont laissé la place à un rayon de soleil. Je me lève pour en profiter un peu. Pour être efficace, il faut aussi savoir s’autoriser des pauses.

C’est l’heure de la sortie des écoles. Posée contre le mur, j’observe au-dehors la vie qui s’anime et à l’intérieur, le temps qui semble figé. Depuis toutes ces années où ma mère nous a quittés, je n’ai quasiment rien touché. D’une part, j’ai toujours eu la flemme de faire des choses inutiles. Pourquoi changer alors que ces meubles, ces bibelots peuvent rester là et résister aux décennies ? D’autre part, ce sentiment coupable m’empêche d’avancer mais je ne vais évidemment pas le reconnaître devant Arnaud. Vous me prenez pour qui ? Hummm… Si je commence à ruminer, c’est qu’il est temps que je me remette au boulot.

Dans la liste des sociétés impliquées dans le blanchiment d’argent, je repère la Müller International Company, celle où je me suis rendue en 2014 juste avant mon accident. Je l’avais déjà remarqué avant, quand on avait travaillé sur le dossier avec Jimmy. Mais le temps pressait, je voulais avoir le scoop et lui, leurs peaux. Mon esprit ne s’est pas arrêté sur ce détail qui m’a paru insignifiant, une coïncidence comme il m’en ait déjà arrivé des tonnes dans une vie.

Pourtant, aujourd’hui, les souvenirs remontent à la surface de manière plus précise. Peut-être le fait qu’Arnaud vienne remuer le passé. Je repense au trajet ennuyeux pour se rendre sur place, à la rédaction de cet article sur un banal incendie qui a fini dans la rubrique fait-divers. Aucune victime à déplorer. J’avais parlé à quelques personnes, rien de bien passionnant. Quel rapport avec la mort de Jimmy ? Rien a priori. Pourtant, je ressens le besoin de me replonger dans cette affaire. Si ce n’est pour lui, au moins pour moi. Il y a encore quelque chose à creuser. Je prends mon sac et file au bureau.

J’aime quand l’adrénaline coule dans mes veines, ce sentiment d’excitation qui vient me surprendre quand je n’y crois plus. Dans les rues, je croise le regard des gens, ils doivent me prendre pour une folle. Devant l’école, des parents qui sont encore là ramènent leurs enfants plus près d’eux. Je souris, mes jambes décrivent de drôles de pas, comme des pas de danse. Ne vous inquiétez pas, je ne suis qu’une sotte qui a soif de vivre.

Dans les locaux du journal, Paul me voit arriver avec étonnement.

— Des vacances studieuses ?

— En quelque sorte.

Je m’installe à mon bureau. Il est comme je l’ai laissé. Dans un désordre volontaire. Je n’aime pas que les gens puissent penser que je suis partie pour ne plus jamais revenir. Debout derrière moi, Paul m’observe, je ne m’en offusque pas. J’allume le PC, attrape la souris. L’écran de démarrage laisse bientôt la place au fond d’écran. Une photo de moi et ma mère, au printemps, devant notre Dame de Paris. Ces réflexes quotidiens m’apaisent et en même temps, aujourd’hui, je voudrais que tout aille plus vite.

J’ouvre le dossier concernant mon article. Je commence à le relire en diagonale et me maudis pour les jeux de mots de mauvais goût que j’y ai inséré et qui n’ont sûrement fait rire que moi. Une photo des restes encore fumant illustre l’article et je me décide à jeter un œil aux autres photos, celle que Sylvain avait choisi de ne pas sélectionner mais qu’une fois n’est pas coutume, il a tout de même archivé. Il avait décidé de tirer les portraits des différents groupes de personnes réunis désemparés devant les ruines. Une vingtaine de clichés, en couleur, en noir et blanc. A fait-divers sans intérêt, on s’amuse comme on peut. Ce jour-là, ça a été sa façon à lui de s’échapper de ce triste après-midi.

Je regarde mon photographe, accoudé à quelques mètres de moi et lui adresse un signe de la main. J’ai toujours trouvé que ses lunettes lui dévoraient la figure et depuis quelques temps, il a décidé de se raser le crâne en plus de la barbe pour cacher sa calvitie naissante. Cela n’arrange pas les choses. Ça souligne la forme rectangulaire de son visage et la grosseur de son nez. Définitivement, il n’est pas mon genre. Malgré tout, s’il y a bien une chose que j’apprécie chez lui, c’est son sourire. Tantôt franc, tantôt discret, toujours là.

Même s’il a l’air occupé, il me répond par un sourire et j’ai l’impression que ce sourire s’accroche à lui comme lui s’écorche à la vie. Je n’ai jamais vraiment osé me plaindre à Sylvain. Sa femme l’a quitté voilà maintenant trois ans et malgré une bataille juridique sans merci, je crois que le droit de garde pour sa fille de cinq ans se résume à quelques heures par mois. Pour compenser, il travaille comme un forcené sans broncher. Je dirais même qu’il est attentionné avec ses collègues, prêt à les arranger prétextant qu’il peut puisque plus personne ne l’attend. Pour le moment, comme il dit.

Je me concentre à nouveau sur mon fichu dossier, passant d’une photo à l’autre quand soudain… Le voilà, assis sur le capot d’une voiture, la clope à la main, pour changer. J’ai presque envie de me frotter les yeux pour être sûre que je ne rêve pas. J’ai un petit pincement au cœur. Après l’incendie, la société avait changé de nom, voilà pourquoi je n’ai pas fait tout de suite le rapprochement. Je reprends la liste des employés.

Karine Alexis

Christine Poulain

Jean-Pierre Julien

Jeremy Montoya…

Je retourne sur d’autres photos aux plans plus larges. La voiture est bien une BMW grise mais je ne discerne pas la plaque. Je demande à Sylvain s’il peut venir voir. Paul, définitivement intrigué par mon manège finit par saisir une chaise du bureau d’à côté pour s’installer à côté de moi. J’en viens rapidement aux faits. Cette réponse, je l’attends avec fébrilité. C’est un des pans de l’énigme qui m’obsède depuis maintenant deux ans.

— On va se mettre sur mon ordi, j’ai un logiciel d’analyse d’image qui devrait répondre à ta question.

Après quelques clics, il récupère la photo sur le serveur et j’ai ma confirmation. Mon cœur bat plus fort, mes mains ont du mal à tenir en place.

— Je te l’imprime.

J’arrache quasiment le cliché des mains de Sylvain et l’embrasse sur la joue.

— J’oublie pas pour le verre. À mon retour de vacances, promis.

J’ai du mal à contenir ma joie, à moins que ce ne soit de l’agacement. Je salue mes deux collègues et me dirige vers mon bureau où je récupère mon manteau à la hâte avant de me diriger vers la sortie. Paul me rattrape par le bras.

— Cette photo, c’est la voiture qui te suivait le soir de ton accident ? Tu connais le type ? C’est lui que tu vas voir ?

— Connaissais oui, mais ce n’est pas lui que je vais voir. Celui que je vais voir, c’est un vieux copain, un vieux copain qui m’a menti je crois, comme toujours. Je veux en avoir le cœur net.

— Pourquoi remuer tout ça Liz ? Tu penses vraiment qu’Arnaud va t’apporter des réponses ?

Pourquoi ? Parce que j’ai la preuve qu’il me faut pour le confronter enfin. Parce que j’attends ça depuis trop longtemps. Quoi d’autre ?

— Pour aller de l’avant. Parce qu’un mort mérite un peu de respect. Que veux-tu on ne se change pas.

— Et après ?

Silence. Dans ma tête, tout se bouscule. Bientôt, je saurai. Oui, je saurai… ce que j’ai toujours su. Au fond de moi. Je suis tellement impatiente que je peux déjà imaginer ce moment où il va m’avouer, ce moment où je serai soulagée. Tout m’enferme dans cette vie et je rêve de ces grands espaces de liberté que je me suis promis. C’est bientôt le début d’une autre histoire.

— Après ? Je te retrouve chez toi ? 22h ?

Inspiration : Allumer le feu, Johnny Hallyday


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