J’étais seul. C’était le soir et un silence oppressant enveloppait tout. Je regardais dehors par la fenêtre de mon luxueux appartement. Des gouttes de pluie s’écrasaient sur la vitre avec un petit « plop » sinistre. Il faisait nuit. Des lampadaires révélaient la rue calme, les voitures stationnées. J’avais l’impression que la vie se déroulait sans moi, là dehors. Le monde m’avait oublié. Pourquoi ?
Je suis informaticien free-lance. Je travaille à la mission, un peu partout. Je suis expert en sécurité des réseaux. Je dépanne les systèmes, je traque les attaques informatiques, les hackers. Je remets en marche les services paralysés par les virus, les sites web plantés, les entreprises victimes de demandes de rançon pour retrouver leurs fichiers.
Je suis un ancien hacker moi-même qui a mal tourné… Je passe mon temps dans l’univers virtuel du code, des algorithmes. Insensiblement, ce mode de vie m’a éloigné des autres. Trop !
Pourquoi est-ce que je le ressens si fort ce soir ?
J’aurais pu me plonger dans un jeu en réseau tellement addictif et rester jusqu’à 3 heures du matin anesthésié, presque plus vivant, parmi les autres zombis les yeux grillés sur leur écran, transpirant sur leur clavier. Vivre dans la matrice. Ne pas vivre dans la vraie vie.
Ce soir, la solitude me pèse trop. J’ai envie d’une femme. J’ai besoin de sexe.
Hier dans l’entreprise où j’avais été appelé, j’ai entendu des informaticiens parler, entre eux, d’un site de rencontre hot. Des rencontres sans lendemain, des femmes faciles à la pelle.
Je n’y ai jamais cru. C’est toujours de l’arnaque. Des prostituées ou pire des « brouteurs », des gens qui se font passer pour des femmes et qui cherchent à profiter des idiots qui y croient, ou qui veulent y croire.
Une force incontrôlable m’y pousse. J’ai pris mon ordinateur portable, je l’ai ouvert sur mes genoux. La page d’accueil est aguichante, avec une belle jeune femme sensuelle en dessous sexy, qui semble n’attendre que moi. Je m’inscris en quelques clics. On me demande un numéro de carte bancaire : ben voyons ! Je repousse cette demande en cliquant sur « plus tard ». Il y a beaucoup de monde. Des photos de jolies filles s’affichent qui « correspondent » à mon profil. Elles sont toutes canons ! Pas comme dans la vraie vie.
Je n’ai encore rien fait que j’ai déjà un message insistant sur le chat. Jennifer m’aborde :
− Salut toi, tu es nouveau ? Va voir mes photos !
J’y vais. Une fille d’environ 25 ans. Magnifique. Blondinette, belle poitrine, des formes… Non, je ne peux pas intéresser une telle fille ! Dans un jeu en réseau, une fille virtuelle et encore.
Le temps que je retourne sur le chat, elle a déjà envoyé plusieurs messages :
− Alors comment tu me trouves ?
puis sans attendre de réponse :
− Tu réponds pas ?
Et encore, agacée :
− Ne me dis pas que tu es un homo !
Je lui réponds :
− Tu es à croquer ! Mais tu es super trop stressée ! Sois cool !
Elle :
− Pardon, mais je tombe que sur des homos… Alors ?
− Tu es trop belle.
− Tu recherches quoi ?
− Une fille comme toi !
− Tu es sympa… Donne-moi une adresse mail, qu’on puisse discuter tranquille.
− Nan sérieux, tu veux mon mail ?
− Tu veux pas ? T’es pas vraiment intéressé en fait ! T’es homo !
− Tu peux pas me demander mon mail comme ça… On se connaît pas. T’es à cran !
− Pardon…
Elle n’attend pas que je réponde :
− Je te plais ?
− Beaucoup… Les hommes que tu croises ne passent pas leur temps à te le dire ?
− Merci !
Elle agrémente sa réponse de petits cœurs. Je poursuis :
− Mais tu n’as pas l’air bien. Tu stresses trop.
− Je suis pas comme ça d’habitude. J’ai l’impression qu’avec toi…
Elle n’attend pas ma réponse et enchaîne :
− Mets une photo de toi pour voir.
− J’en ai pas. La prochaine fois…
− Tu ne veux pas…
− Je te jure j’en ai pas de dispo. En plus j’ai peur de te décevoir.
− Prends un mail jetable et donne-le-moi. Tu risques rien. Un mail jetable avec un pseudo.
− Laisse-moi le temps, tu t’énerves pas ?
− Je t’attends, mais n’en profite pas pour filer !
J’ai ouvert une B.A.L sur un site russe. Et je suis retourné sur le chat. Jennifer a eu le temps d’envoyer plusieurs messages de plus en plus pressants.
Je lui donne l’adresse :
− Tu m’avais promis de pas t’énerver !
− Pardon… merci, tu es trop chou. Je vais t’envoyer des photos coquines de moi. Réponds-moi, ne me laisse pas en plan…
− Je te répondrais… je suis pas vraiment sûr de te plaire. Tu me fais flipper.
− Non, t’inquiète. Tu me répondras ?
− Oui. Je file.
− Bisous !
J’ai coupé. Je n’ai pas vu le temps passer avec Jennifer. Je suis très perturbé par tout ça. Cette fille est une tornade. Je me dis que c’est une folle, qu’il vaut mieux laisser tomber cette histoire. Que rien de bon ne peut arriver sur un site comme ça.
Je me suis mis à faire les cent pas dans le salon. Je revois les photos de Jennifer, son corps, son regard, ses jambes. Est-ce que c’est vraiment elle ? Une jolie fille comme elle serait seule ? Désespérée et à la recherche d’un homme ? Le premier qui se connecte… Non, cela ne colle pas. C’est probablement une prostituée qui racole.
J’ai décidé d’aller dormir. Mais je n’ai pas pu. Il a fallu que j’aille voir ; j’ai ouvert la nouvelle boite aux lettres sur le site russe. J’ai un message de Jennifer. J’hésite à l’ouvrir.
Elle m’écrit d’une B.A.L jetable aussi :
« C’est moi Jennifer. J’espère que tu ne m’as pas oublié. En tout cas, pas moi. J’ai mis des photos, j’espère qu’elles te plairont. Réponds-moi. Je suis sûre que ça peut coller entre nous. Je cherche un homme comme toi. Bisous. »
Pas de fautes d’orthographe dans son mail, cela me surprend. Les photos sont… Elle est apparemment en vacances au soleil, dans un maillot très sexy. Cette fille est jolie. Elle sait poser. Elle a un petit tattoo en bas du dos et sur un bras. J’ai envi d’elle. Je sais que c’est une folie. J’ai décidé de ne pas répondre. Je me suis recouché et j’ai tourné des heures dans mon lit sans vraiment dormir. J’ai pensé à Jennifer. Elle m’obsède.
Au matin, j’ai répondu à Jennifer :
« Salut Jennifer. J’ai trouvé le courage de te répondre ce matin. Tu es super belle. J’ai rêvé de toi cette nuit. J’ai du mal à croire que tu sois seule et à la recherche d’un mec. En fait j’y crois pas du tout. Je suis méfiant. M’en veux pas. »
Et je suis parti bosser. J’ai reconfiguré le pare-feu d’une entreprise qui était très vulnérable, car l’informaticien du service avait laissé les paramètres d’usine. Autant dire qu’il avait laissé la porte ouverte avec les clefs dessus.
Je suis bien payé pour mon travail. Je ne compte pas mes heures, mais je gagne bien ma vie. Je suis à l’aise.
En rentrant, je croise Nadège. C’est ma voisine de palier. Elle a quelques années de plus que moi, divorcée, vit seule. Elle est sympa, mignonne, coquette. On s’aide mutuellement ; elle a pris un colis pour moi en mon absence : je reçois régulièrement du matériel informatique dernier cri. Il faut rester au taquet dans mon métier. Rester informé des nouveautés.
Je l’aide avec son ordi et sa connexion internet. Et aussi je retrouve son chat qui passe son temps à se sauver.
J’attends à la porte de son appartement qu’elle me le donne. Elle :
− Entre, tu veux boire un truc ?
− Non, je ne veux pas te déranger… c’est sympa de l’avoir pris.
− Tu ne me déranges pas…
Elle me tend le petit paquet, avec un demi-sourire :
− Tu parles pas beaucoup toi hein ? Je te plais pas ?
− Mais si Nadège ! Tu es adorable… Je suis pas trop bien en ce moment.
− Tu veux en parler ?
J’hésite, mon trouble se devine, elle s’excuse presque :
− La prochaine fois peut-être ?
Je lui souris, elle est cool Nadège, je suis un idiot :
− La prochaine fois, j’aurais le courage de te draguer !
Elle en souriant :
− Alors, je vais attendre.
Je n’ai pas ouvert le colis. En temps normal, je me serais précipité. Je n’ai même pas envi de manger. Je m’affale devant la télé. Je ne regarde pas vraiment. Ma pensée est revenue à Jennifer. J’ai repris mon ordi. Je vais voir si j’ai du courrier sur ma B.A.L jetable. Deux mails de Jennifer.
Le premier :
« Merci de me répondre. Tu es sympa. Je savais que tu étais sympa ! Je l’ai senti tout de suite. Je te plais ! Je suis seule en ce moment. J’ai eu une mauvaise expérience avec mon ex et je ne rencontre que des hommes pas cool. Tu aimes le sexe ? Moi oui ! Parle-moi de toi. »
Et puis un deuxième quelques heures après :
« J’attends une réponse depuis des heures ! Tu es pas cool en fait ! Tu me fais croire que je te plais ! Je ne sais rien de toi ! Réponds stp ! »
Elle est toujours aussi speed. Cette fille est dingue ! Tout me dit de ne pas mettre le doigt dans cet engrenage. De supprimer cette B.A.L, d’oublier tout ça, d’aller sonner chez Nadège avec une bouteille de vin.
Je sais qu’aucun raisonnement ne peut rien pour moi. Je suis en train de regarder les photos de Jennifer. Je suis en train de…
J’aime beaucoup ton style d’écriture, je ne m’ennuie pas en te lisant ! À très vite !
Merci Cécile, c’est sympa. La suite c’est un peu sexy…
J’aime bien, c’est vivant, bien écrit.