Otsira serra la fillette dans ses bras. La nuit n’étant pas encore tombée, elles reprirent leurs corvées là où elles s’étaient arrêtées.
Très tôt, le lendemain matin, comme le lui avait demandé Abiane, la jeune femme alla frapper à la porte de sa chambre :
– Entre, lui intima l’homme
Elle le trouva assis sur son lit, il avait déjà pris une douche et s’était vêtu pour la journée :
– Assieds-toi, ordonna-t-il en montrant la place à côté de lui sur le lit
Elle s’exécuta :
– E Miang m’a ke wo gni, c’est pour acheter quelques marmites et de la vaisselle ainsi que les ustensiles dont tu pourrais avoir besoin, comme ça tu pourras commencer à utiliser ta cuisine
– Je ne comprends pas, je n’ai pas de cuisine,
– Wa komo wok dzé*, tu n’as pas besoin d’une cuisine ? Demanda-t-il en regardant la jeune femme dans les yeux
– Owé aka, alors cette nouvelle cuisine elle est pour moi ?
– Owé*, a ne é wuê, confirma Abiane en se levant
– Akiba, alors je vais aller au marché ce matin, me so wo dzom ? Se risqua-t-elle
– Kaa, sauf si tu passes près de l’étal d’Elouma tu pourrais me ramener du tabac je n’en ai plus
– D’accord, dit Otsira en sortant de la chambre
Abiane resta encore un instant debout seul, dans sa chambre, il se demandait, si la jeune femme était vraiment convaincue qu’il allait en épouser une autre. Il se demandait, qui avait bien pût lancer cette rumeur. Il ne savait pas non plus comment Otsira prenait la chose. Peut-être se disait-elle qu’il se sentait surement seul, et que s’il l’avait épousé pour prendre soin de sa fille cette deuxième femme était surement pour lui-même. Et le fait qu’elle ait droit à une cuisine ce n’était pas si mal.
Et voilà où il en était, pour une fois qu’il faisait quelque chose de bien pour elle, elle n’arrivait pas à simplement envisager la chose. Et pour la cuisine c’était pareil elle allait certainement aménager une seule partie de celle-ci en pensant que son hypothétique co-épouse s’installerait dans l’autre. Il sourit à cette idée. Puis il se souvint que Ngom était peut-être déjà là avec ses ouvriers, et sortit de sa chambre.
Otsira savait qu’Abiane n’aimait pas que sa fille reste seule, elle l’avait donc amené avec elle au marché. Elles y étaient allées avec la charrette d’Abiane, et c’est un des ouvriers du chef qui les conduisait. Avant de faire les achats pour lesquels elles étaient sorti ce jour-là, elles s’étaient attardées dans la boutique de l’ancien Mbap’Engoang, pour acheter des friandises à Oloun, elles venaient de finir et s’apprêtaient à s’en aller lorsque Obière Ndong fille de Ndong Abeghe du village Nkore Etame, seconde épouse de Ntoum Engueng frère ainé d’Abiane entra dans la boutique avec ses deux filles.
En voyant Otsira avec Oloun elle ricana de façon vulgaire :
– Hé héé za gni* ? fit-elle
– Obière, ma ye womane bia wa*, laisses-nous passer, dit Otsira
– Une olalu qui vient me donner des ordres, fit Obière en riant
– E de* ? Tant que je ne suis pas la tienne, Obière laisses-nous passer,
L’ancien qui suivait la scène de loin, s’approcha d’Obière :
– Si tu as quelque chose à acheter ici fais tes achats, sinon continu ta route, lui intima l’ancien
Obière jeta un regard mauvais à l’ancien mais ne dit rien, elle savait que le vieil homme avait la côte auprès du chef, et il ne fallait surtout pas que tout ceci arrive à ses oreilles. Elle s’écarta donc et laissa passer Otsira et Oloun. En rentrant du marché Otsira alla ranger ses achats dans la cuisine et se dirigea vers la cuisine de sa belle-mère, elle voulait lui annoncer la bonne nouvelle, et aussi savoir si elle aurait besoin d’elle le lendemain aux champs. Malheureusement en arrivant dans la cuisine de cette dernière, elle trouva Obière debout, devant la mère d’Abiane, relatant à sa manière leur rencontre dans la boutique de l’ancien. Otsira s’arrêta net :
– Zaa a ngone dzam, dit la mère d’Abiane en la voyant hésiter devant la porte, tu as besoin de quelque chose ? Lui demanda-t-elle d’une voix douce
– Kaa, mema* je voulais juste savoir si tu auras besoin de moi demain aux champs ?
– Ça tombe bien que tu demandes a mbom, j’ai terminé de déterrer les arachides et je dois aller les transporter demain, ça ira plus vite si nous sommes toutes les deux, plus tôt tu seras là, plus tôt on rentrera, je n’ai pas envie que la nuit nous surprenne
– A mema, si on y va avec la charrette ce sera plus facile, ton champ n’est pas très loin de la route tu pourrais demander au chef
– Hum hum, tu as raison au moins nos dos ne souffriront pas trop, je demanderais la charrette au chef ce soir mais toi je veux te voir ici ekuna kikiri
– Owé, a mema à demain, fit Otsira en tournant les talons
Lorsqu’Obière tenta de remettre le sujet sur le tapis, la vieille femme se fâcha :
– Obière tu me fatigues, quelle est ton problème avec Otsira, ese ngaa nio n’nom*, nge ane olalu Oloun, en quoi cela te grandit-il ? Questionna la vieille femme, nous avons ma co-épouse et moi sept mbom ici, en dehors de celle que tu qualifie d’olalu, et il n’y a qu’elle qui nous aide, que ce soit ici ou aux champs, avec tout ce que lui fait subir son mari, elle a tout de même élever Oloun comme si elle avait été sa propre mère, si elle t’as manqué de respect convoque-la chez le chef, et qu’on fasse venir l’ancien Mbap’Engoang comme témoin et le chef tranchera, vas dans ta cuisine t’occuper du repas de tes enfants engongol* Obière
Obière resta un moment interloquée, d’habitude la vieille dame écoutait tout ce qu’elle venait lui raconter, sans rien dire, mais au moins elle l’écoutait. Cette Otsira elle devait avoir un fétiche pour assujettir les gens, mais malheureusement pour elle, cela ne marchait pas avec Abiane, elle allait bientôt partir du village et retourner chez les siens. Lorsqu’Otsira revint de chez sa minki*, elle trouva Abiane debout devant la porte de leur case :
Une vilaine commère, j’espère qu’elle aura ce qu’elle mérite.
La société se porterait mieux si on n’écoutait pas les langues de vipères.