Atarillë- Prologue

4 mins

«  Vienne la nuit, viennent les signes
Poupée, esprit, trois aiguilles fines »
Cécile Corbel

De tonnerre, de soie et de grêle, ma vision en fut happée. La lune n’avait jamais été aussi dominante, dans le ciel déchiré d’éclairs et de tourmente. Les falaises escarpées voyaient leurs flans dévorés par la mer déchaînée. Le visage rond de la mère d’argent était noirci d’impacts de météorites qui tombaient inlassablement sur sa face. J’étais dans un chaos originel. Chaque rêve était l’occasion d’une découverte. Depuis toute petite, je faisais des songes plus vrais que nature. Je sentais les éléments se déchaîner sur la roche, la houle furieuse marteler la surface de l’eau. La lumière astrale rendait ce paysage encore plus onirique, baignant l’encre et l’écume d’un halo luminescent.

Je ne sentais ni le froid, ni le vent tempétueux qui giflait les côtes brisées. Même le cri des tourbillons ne vrombissait pas ma tête. Aucun humain ne pourrait survivre face à un tel déluge.
Glissant mon regard sur l’ensemble des lieux, je ne vis aucune bête, aucun brin d’herbe, aucune trace de vie.
Un éclair zébra le ciel obscur, dépourvu d’étoile. Je pouvais sentir mon propre souffle, ma respiration profonde. Étrangement cet endroit m’apaisa. Cette mélodie du chaos, cette omniprésence élémentaire, cette terre originelle. Tout avait un goût nostalgique, une impression de déjà vu.
En clignant des yeux, j’aperçus un visage dans l’orage, un sourire dans l’écume. Tout prenait une dimension fantastique. Des chants se dégagèrent de la plainte lancinante de la tempête. Des rires, des murmures, des complaintes. Une mélodie me revint à l’esprit. Je dodelinais de la tête comme une enfant, avançant dans ce monde irréel et pourtant si palpable.

La roche était froide. Je ne sentais que la fraîcheur à mes pieds. Ni la pluie, ni l’écume ne venait effleurer ma peau. Seulement  le froid contact d’une falaise dénudée. Je suivais les rires et les murmures, cherchant d’où ces émanations humaines pouvaient bien provenir.

—  Atarillë ! Viens ma sœur !

Un rire plus fort, cristallin, se fit entendre. Je tournais la tête. Mon regard se perdait sur les collines dévastées, aussi noires que la nuit qui, perchées sur la voûte, s’éclairaient de l’orbe gigantesque lunaire.

— Ma fille, viens donc !

Une autre voix se fit entendre. Deux voix féminines se mêlaient en rire et en chant. Je me sentais soudainement enlacée, comme emmitouflée dans une couverture. En un battement de cil, le paysage changea. La brise remplaça la tempête, la mer, d’impétueuse reine devint douce bergère, en un lac paisible, aux milles reflets opalescents sur son lit de nuit. Devant moi, deux femmes dansaient, tourbillonnant en une ronde entêtante. L’une, blonde, à la peau diaphane, portait la robe grise de celles qui savent la danse. Son regard bleu est empreint de malice mais toute sa figure était tissée de songe. Sa chevelure dorés flottait, animée d’une volonté qui lui était propre. Sa peau captait l’essence même de la lune. Sa voix, chant antédiluvien, annonçait l’orage. L’autre femme était tout aussi captivante. Si l’autre demoiselle avait l’hiver dans son regard, elle portait l’été en son aura. Ses cheveux aussi roux que les miens dansaient sur ses épaules blanches. Voluptueuse odalisque, dans ses yeux la fièvre s’animait, l’impétuosité et la douceur en une étincelle.
Les rêves sont fascinants par ces rencontres qu’ils nous imposent. Au détour d’une ronde, d’un désert ou d’un océan, toutes mes balades oniriques furent parsemées de visages. Ce qui me bouleverse, c’est que je croisais toujours les mêmes sourires. Ce regard d’été de la sulfureuse danseuse aux cheveux de feu, je l’ai déjà rêvé lors d’une rencontre vaporeuse dans un hammam au-dessus d’un volcan, il en est de même pour la diaphane demoiselle au regard d’azur. Le trouble me hante de ne pas saisir ce paradoxe : je suis à la fois souveraine en ces lieux et pure étrangère. Je connais ces royaumes sans les connaître, je sais sans savoir. Un air de Cécile Cor bel me revient en tête pendant que j’observais le ballet de sorcières, fées d’un autre temps, déesse d’une autre sphère.

« Encore un rêve
Qui succombe à la nuit
Sans trêve
L’ombre qui s’agrandit
Elle pourrait bientôt manquer d’air
Dans cette traversée solitaire »

J’entrouvris la bouche, entendant ce chant tinté de ma propre voix, sans que je n’ai eu à user de mes cordes vocales. Les deux regards se portaient sur moi. Je sentis une vague de sens contradictoires. Une porte s’ouvrait sur une sensation d’exaltation intense. Comme une chamane en pleine transe, je les rejoins dans une valse ou se tisse la toile, les étoiles, la tempête renouvelée. Le paysage changeait autour de nous, refaisant apparaître la lune sauvage et ses vallées escarpées, arrachées par le vent. Nous, nous restions immuables, malgré le temps qui s’égrainait. Des morceaux de vie revinrent à moi en explosion. Mon esprit tournait, tournait encore. Je sentais leurs mains qui tenaient la mienne, comme si elles craignaient que je ne m’échappe.

Je me voyais désormais vêtue de gris, comme celles qui savaient les rouages de l’univers. Et la nostalgie brûlait dans mon âme, brûlait dans mon cœur, sans aucune flamme. Emportée dans cette tempête au fond de mon cœur, je fermais les yeux. Dans mon corps s’incendiait mille couleurs et la nuit y faisait régner une magie puissante, qui me transportait vers un ailleurs que je cherchais depuis des heures.

Leur voix me fit rouvrir les yeux.

— Tu n’arrives pas à te souvenir, n’est-ce pas ?

Je me retrouvais face à elles. Comme un tribunal de sorcières. Elles se tenaient droite, me fixant d’un air imperturbable. Perchées sur une côte abrupte, la lune se plantait derrière elles, comme un juge imperturbable.

— J’ai l’impression de savoir, mais ce savoir m’échappe. Nous sommes dans un rêve non ?

La blonde me fixa d’un air amusé. J’arrivais, à mon grand étonnement, à percevoir ses traits qui semblaient nettes. Normalement, dans les rêves, les visages sont flous, méconnaissables.

«  De songe, je tisse la toile de fièvre, De terre je reviens en mon logis. »

Je clignais des yeux. Elle avait prononcé ces mots comme une litanie, une incantation. Plus rien n’avait de sens désormais.

« J’ai fuis le souvenir de fiel, pour rêver d’au-delà. »

Elle continuait son chant d’une voix qui emplissait l’air. J’allais tendre une main vers elle mais je fus saisis d’une douleur terrible. Lorsque je fixais celle-ci, elle était devenue noire, grignotée par les vers, la souillure et la suie. Je ne pus que crier. Le retour à la réalité était brutal. Le retour au doute l’était d’avantage.

En me levant en sursaut dans ma petite chambre d’étudiante, j’eus le réflexe de regarder ma main. Tout était normal : aucune blessure, aucune trace. Et pourtant dans l’obscurité de cet antre sans espace, je sentais encore la terrible douleur de l’oubli, de la poussière et de l’ennui. Ma main brûlait encore de ce manque. Durant ce rêve je savais tout. Maintenant toutes ces connaissances m’ont encore échappées. Je finis par me dire que ce n’était qu’un songe et que la magie n’allait pas éclairer ma vie.

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4 Commentaires
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Lucile Cajart
5 années il y a

Wouah,
Tu nous plonges dans un univers incroyable, je ne suis pourtant pas un grand fan du surnaturel habitulement

Moska Wise
5 années il y a

On s’évade avec ton texte! Très prometteur! Ça me fait un peu penser (peut-être aussi de par l’orthographe d’Atarillë) à une création de monde à la mode Tolkien, mais je peux me tromper! En tout cas, j’aime! 😉

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