Pour l’éternité (I)

6 mins

Le jour se levait à peine, la lumière dorée traversait les vitraux de la chapelle et faisait apparaître des taches de toutes les couleurs sur le sol. J’aimais venir tôt le matin pour pouvoir prier dans le silence. C’était un moment privilégier entre le Seigneur et moi, bientôt je prononcerais mes vœux et je serais à jamais sa servante. Depuis mon plus jeune âge j’entendais son appel. A la mort de ma mère il y a cinq ans, j’avais promis de vouer ma vie aux autres, d’abandonner toutes possessions matérielles pour vivre une vie de pureté et de prière.

Voyant ma détermination mon père avait cédé en mettant une condition, il me fallait attendre mon seizième anniversaire avant d’entrer au couvent. Il me restait encore un été a passé au Château et je pourrais enfin suivre ma destinée et entrée au service de Dieu. A cette idée un large sourire se dessinait sur mon visage, j’étais heureuse et il n’en avait pas toujours été ainsi. 

Après une année de deuil mon père Armando avait repris une épouse, Camila, je crois qu’il supportait mal la solitude. Père était encore jeune et d’après les femmes de chambre c’était un homme plutôt séduisant avec ses tempes grisonnantes et sa barbe noire. Ma nouvelle belle-mère était une riche veuve, elle avait un fils nommé Tonio de quatre ans mon aîné. Nous avons donc dû apprendre à vivre ensemble, heureusement le château était assez grand pour que chacun ai son espace. 

Mes rapports avec Camila se sont vite compliqués, elle voulait être la seule et l’unique dans le cœur d’Armando. Tout nous séparait, elle avait un physique plutôt sec, la peau mate, les cheveux d’un noir de geai et des yeux si foncés qu’on ne pouvait distinguer ses pupilles ce qui me donnait l’impression qu’elle était toujours en colère. Ses tenues étaient moins austères, elle portait une robe noire avec un châle de couleurs vives aux motifs fleuris qui recouvrait ses épaules. Dans ses mains il y avait toujours un petit chapelet en bois, qu’elle faisait rouler entre ses doigts toutes la journée. Elle aimait les pierres précieuses, ses préférées, des rubis, décoraient ses chignons bas. Son maquillage était assez sommaire, un trait noir au bord des cils et un peu de rouge sur les lèvres finissaient le tableau. Quant à moi j’étais châtain clair les yeux d’un bleu azur, la peau blanche et les joues toujours rosées avec quelques taches de rousseur. J’aimais me vêtir de robes pastels et laisser mes cheveux ondulés libres sur mes épaules, je devrais bientôt les faire couper pour mon entrée chez les Sœurs, c’était mon seul regret, mon épaisse chevelure était ma fierté. 

Tonio se préparait à faire une carrière militaire, son école était située à Lisbonne, l’année il restait à l’internat et revenait pour les congés. Lors de ses visites nous échangions beaucoup sur la littérature, nous partagions l’amour des chevaux et de la mer. Au fils du temps nous avions tissés un vrai lien fraternel et il n’hésitait pas à prendre ma défense quand sa mère voulait passer ses nerfs sur moi. Mon père, un homme très doux et patient était très occupé par sa charge et souvent en déplacement dans tout le Portugal, j’étais donc seule avec Camila. C’est pourquoi j’aimais venir trouver la paix dans la chapelle du château. 

Nous étions fin juin et Tonio allait bientôt rentré de l’école, il avait obtenu son diplôme et devait être nommé à la tête de la Garde Royale. A seulement 20 ans il faisait la fierté de sa mère qui le vénérait comme un dieu. Il faut dire que son physique était plutôt avenant, de grande taille ce qui était rare par chez nous, son corps ressemblait à une liane, tout en souplesse. Ses cheveux et son teint étaient les mêmes que ceux de sa mère, ses yeux en revanche était ceux de son père m’avait-il dit, noisettes avec une touche de vert foncé. Ses mains étaient toujours impeccables à l’image de son uniforme. J’avais beau aimé Dieu, je savais reconnaître un bel homme et la file d’attente des jeunes filles de bonne famille ne cessait de grandir depuis que Tonio avait parlé de son désir de trouver la perle rare qui ferait battre son cœur. 

Chaque année une grande fête était organisée début juillet, il y avait un banquet, de la musique et à la tombée de la nuit de grands feux de joie étaient allumés pour que les festivités puissent continuer jusqu’au petit matin. A cette occasion les jeunes gens qui n’étaient pas encore mariés devaient venir avec un masque, il n’y avait pas de thème particulier, le but était de garder l’anonymat le plus longtemps possible et de gagner le concours. Le garçon et la fille qui étaient élus devenaient les Roi et Reine de la soirée. 

Mon père m’avait rapporté d’un de ses voyages un livre illustré qui parlait du Japon, les visages des hommes et des femmes étaient différents des nôtres. Leurs yeux bridés me fascinais, voyaient-ils comme nous ? Et leur cheveux étaient si raides ! Ce pays m’inspira tant que mon masque serait celui d’une Geisha et comme Tonio n’aurait pas le temps de trouver le sien je choisissais de lui fabriquer un masque représentant un démon japonais, il était rouge avec de grandes dents dorées, à coup sûre il ferait sensation pour le concours. 

Le matin de la fête Tonio n’était toujours pas rentré, il avait été retenu à Lisbonne pour régler quelques détails de sa nouvelle fonction, je lui laissais son masque sur son lit avec un petit mot pour lui dire de me rejoindre au banquet. Mes amies et moi avions passés la journée dans ma chambre à nous préparer. Notre groupe composé de fleurs, chattes et déesses grecques fît sensation dans les petites rues qui menaient au champs où se déroulait la fête. De nature plutôt réservée, je me sentais une autre avec ce masque, me permettant un comportement plus expansif qu’à l’ordinaire. Les garçons étaient déjà arrivés au buffet, il y avait des animaux en tous genres, des dieux, des astres… Mon demi-frère n’aurait aucun mal à se démarquer pour gagner le concours. Mon masque eu un franc succès, le seul inconvénient était que les fentes pour les yeux ne me permettaient pas de bien voir mon environnement, je bousculais quelques personnes et faillit tomber plusieurs fois. 

Le concours allait enfin commencé et c’est le moment que choisit le démon japonais pour faire son apparition, il n’y avait pas a dire il savait faire ses entrées. Quelques cris se firent entendre chez la gente féminine, je rigolais intérieurement car je savais qui était cette étrange personnage qui donnait l’impression lui aussi d’être un autre une fois masqué. Le vote se faisait en fonction du nombre d’applaudissements, chez les garçons d’abord, le résultat fût sans appel Tonio gagna haut la main. Pour les filles le choix n’était pas si facile, trois masques c’étaient démarqués, celui d’ Athéna, déesse de la guerre, un papillon composé de pierres précieuses et le mien. Je crois que l’exotisme et l’originalité firent la différence, je remportais le concours. C’était une belle façon de marquer dans ma mémoire mon dernier été de jeune fille libre. 

Tonio et moi présidions la fête, sans parler il me fît comprendre que mon choix était parfait pour la soirée. La musique et les rires résonnèrent jusqu’à tard dans la nuit. Cette soirée m’avait épuisée et m’approchant de Tonio je lui demandais de me raccompagner au château. Nous étions sur le chemin du retour quand la jeune fille portant le masque d’Athena appela mon frère, ce dernier en véritable gentleman me demanda d’attendre quelques instants. Je les regardais s’éloigner pour parler plus tranquillement, la déesse semblait contrariée. Les minutes passèrent et je perdis patience, tant pis j’avançais seule vers le château, mes yeux avaient du mal à rester ouverts. 

Je n’entendis pas les pas derrière moi et ne m’attendais pas à prendre un coup si fort à l’arrière de la tête. A mon réveille mes yeux étaient bandés ainsi que ma bouche, ma respiration s’accéléra, je sentis la chaleur d’une flamme près de ma joue. Sans un bruit on m’arracha mon corsage, me souleva mes jupons et avant que j’ai pu comprendre ce qui m’arrivait, une vive douleur me prit jusqu’aux tripes, quelque chose était entré en moi. Mes larmes coulaient le long de mes joues, après l’effet de surprise et la douleur, la rage m’envahit, j’essayais de crier mais l’homme mis sa main sur mon bâillon pour atténuer le bruit, il portait des gants qui dégageait une forte odeur. L’acte ne dura pas longtemps et l’homme émis un léger râle avant de sortir de mon corps et de me pousser loin de lui. Le silence était pesant et ne voyant toujours rien je tentais de défaire le lien de mes poignets. Je réussis à libérer une main et pu soulever un peu mon bandeau. Il y avait une torche près de moi, sans réfléchir je la saisit et me retournant je poussais un cri de guerrière en me dirigeant droit vers l’homme qui avait abusé de moi et qui me tournait le dos, à cet instant le bandeau me retomba sur les yeux et mon agresseur qui était plus fort que moi me fit tomber au sol. Dans ma chute j’emmenais la torche qui tomba sur mon visage, le tissu prit feu ainsi que mes cheveux, la douleur fût telle que je perdis connaissance. 

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Kouadio David
Kouadio David
5 années il y a

J’ai beaucoup aimé ton histoire, pleine de magie et d’aventures, Bravo.

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