Quand je revins à moi il faisait noir, j’étais dans un lit, mes yeux étaient bandés, j’avais très mal à la tête. On me prit les mains pour m’empêcher de toucher mon pansement, je sursautais, mais que m’était-il arrivé et où étais-je ?
C’est la voix pleine de larmes de mon père que j’entendais en premier.
« Calme toi Lucia, tu as subit un gros traumatisme, il faut que tu te reposes mon enfant. »
A ces mots les souvenirs refirent surface, je paniquais, me débattant comme une lionne prise au piège. Des mains fortes me bloquèrent et on me forçait à boire un liquide amer. Quelques instants plus tard je sombrais dans le sommeil. Des chuchotements me sortirent de mes songes, Camila et Armando étaient dans ma chambre, ils semblaient se disputer. Je bougeais doucement ils s’approchèrent de moi. Après m’avoir demander comment j’allais, mon père me demanda si j’avais des souvenirs de la soirée. Le cerveau encore un peu engourdit je racontais le déroulement de la fête puis l’agression. Au fur et à mesure de mon récit je sentais mon père de plus en plus abattu, ma belle-mère récitait ses prières sans s’arrêter.
Les médecins se succédèrent et aucun ne trouvait de solution à mon cas. Il n’y avait pas que la brûlure qui posait problème, la torche en tombant sur mon visage avait perdue de tous petits morceaux de bois qui s’étaient enfoncés dans mes yeux, aucunes pinces n’étaient assez petites pour pouvoir me les retirer, j’étais donc condamnée à la cécité. Alors que j’étais seule j’en profitais pour toucher ma tête, une partie de mes cheveux n’étaient plus, de grosses cicatrices avaient pris leurs place, j’étais défigurée. Au même moment j’entendis des bottes devant ma portes, Tonio hésita à frapper, comme si il avait entendu mes pleurs et avait compris qu’il était préférable de me laisser seule.
Le lendemain mon père vint me parler, suite à mon agression et vu mon état, mon entrée au couvent était compromise. Une fois de plus la déception fût énorme, mon monde et mes projets s’écroulaient comme un château de cartes. Moi qui avait toujours été une jeune fille sage et dévote, je ne comprenais pas cette injustice, pourquoi Dieu m’avait-il envoyé cette épreuve ?
Armando devait partir quelques jours et pour une fois il emmenait Camila avec lui. Pour me rassurer il me dit que Tonio prendrait soin de moi. Puis il m’embrassa doucement les mains, le front et quitta la pièce. Ma belle-mère qui n’était jamais loin s’assit sur le bord de mon lit et s’approchant de mon oreille me glissa quelques mots.
« Tu as vraiment réussi ton coup, il te suffisait de rester tranquille un été et ensuite nous étions débarrasser de toi, mais non mademoiselle qui avait envie d’aventure s’est faite culbutée par le premier garçon venu et comme elle s’est rendu compte de sa bêtise elle a monté toute cette histoire pour ne pas perdre la face. »
Ses mots me glacèrent le sang, nous n’avions jamais eu de bons rapports mais je ne m’attendais pas à cette réaction, ce flot de haine me coupa le souffle, puis je me ressaisis. C’est ce moment que choisit Tonio pour faire son entrée, il avait entendu la fin de la tirade et se mit en colère, il chassa sa mère de la chambre prétextant que j’avais besoin de repos. Une fois seuls, il me prit dans ses bras très doucement et me demanda pardon. Surprise je lui demandait pourquoi il s’excusait, il me répondit qu’il n’aurait jamais dû me laisser seule dans cette ruelle, que c’était de sa faute si j’étais dans cet état. Il me promit qu’il ferait son possible pour retrouver mon agresseur et le faire payer pour cet acte abjecte. Ces mots m’allèrent droit au cœur et je le remerciais pour toute sa gentillesse, pour moi il n’était fautif de rien, j’étais au mauvais endroit, au mauvais moment.
Les jours suivants Tonio passa beaucoup de temps avec moi, il me faisait la lecture, me donnait à manger, me faisait faire des ballades dans le parc du château. Il était un véritable ange gardien pour moi, j’étais heureuse de pouvoir compter sur lui, c’était un grand frère en or. Je reprenais des forces et le médecin autorisa que je reçoivent de la visite. A notre époque la réputation d’une jeune fille était très importante, la version officielle est que j’avais chuté dans les escaliers avec ma bougie. L’agression sexuelle était gardée secrète pour éviter un déshonneur de ma famille et surtout de créer la panique de la population vis à vis d’un violeur en liberté dans les rues de la ville.
Mes trois meilleures amies étaient venues me voir, l’une d’elle était accompagnée de son frère jumeaux que je connaissais depuis toute petite. Elles avaient tout fait pour ne pas que je perçoivent leurs tristesses, mais le son de leurs voix les trahissaient. Tonio n’était pas loin, il jouait au surveillant, il ne fallait pas trop me faire rire, il fallait que je m’hydrate, interdiction de ma toucher. Quand le frère de Julia, Juan s’approcha de moi pour me remettre la couverture qui était tombée de mes épaules, mon frère bondit sur lui comme une panthère et lui demanda de quitter les lieux sur le champs. Choquée je dis à mes amies de prendre congés je devais parler avec Tonio.
« Mais que ce passe-t-il ? Pourquoi as-tu réagit comme çà ? Juan ne me voulait aucun mal ! »
– Je sais tout çà mais je n’ai pas supporter qu’il te touche et puis on ne sait pas, c’est peut-être lui ton agresseur.
« Juan ? Mais pas du tout je le connais depuis des années il ne me ferait jamais de mal. De plus il semble que la gente féminine ne soit pas sa tasse de thé. »
Tonio se mit à rire nerveusement, il se sentait bête d’avoir réagi comme çà et s’excusa de nouveau. Il se mettait beaucoup de pression pour me garder en sécurité, il s’en voulait toujours pour mon agression. Cet épisode allait remettre en cause tous mes choix de vie, ma vocation, qu’allais je devenir quand mon père ne serait plus là pour s’occuper de moi ? Tellement de questions se bousculaient dans sa tête. Je ne pus m’empêcher de sourire et de lui répondre :
« Tu seras là toi ! »
Son corps se raidit et comme si il avait vu un fantôme, quitta ma chambre à grands pas. Cette charge était-elle trop lourde pour lui ? Dans le fond pensait-il comme sa mère ? Serais-je un boulet pour mon entourage jusqu’à la fin de ma vie ? Trouver un mari semblait compliqué dans mon état. Je finirais sans doute toute seule il fallait que je me fasse à l’idée.
Les jours suivants Tonio fût plus distant. J’avais l’impression d’avoir un inconnu à mes côtés. Les médecins se succédaient, chacun proposait un nouveau traitement « miracle » mais il n’y avait aucunes améliorations. Mon frère était de plus en plus tendu, ses soupirs d’agacement en disait long sur son humeur. Un mois était passé et une lettre de nos parents nous annonçait qu’ils prolongeaient leur séjour de quelques semaines. Camila ne devait pas être pressée de rentrer pour retrouver sa belle-fille infirme. Pendant ce temps elle avait mon père pour elle toute seule et pouvait profiter de sa gentillesse. Un matin pourtant je fus réveillée de très bonne heure, un rayon de lumière dans les yeux, comme si un épais nuage était passé et que le ciel s’éclaircissait, ma joie était telle que les larmes coulèrent. Mais soudain je ressentis de la peur, l’angoisse que ce ne soit que passager, je ne devais en parler à personne avant d’être sûre de moi.
Alerté par l’agitation soudaine dans ma chambre, Tonio entra brusquement. Je prétextais un cauchemar et me mordait la langue pour ne rien lui dire. Avant de sortir de la pièce il me regarda longuement et finit par me dire que nous irions faire un pique-nique dans le parc du château, il avait quelque chose à me dire. Un peu surprise du ton grave qu’il employait, j’acquiesçais sans poser de questions. Machinalement je passais la main dans mes cheveux, malgré les cicatrices les mèches qui avaient brûlées commençaient à repousser doucement je pourrais bientôt cacher plus facilement les marques disgracieuses. Ma femme de chambre me surpris le miroir dans la main, elle lâcha sa pile de linge et poussa un petit cri, j’avais à présent une complice. Il me semblait qu’elle était encore plus heureuse que moi. Lui confiant mon désir de garder la nouvelle secrète pour le moment, elle promit de ne rien dire. La matinée passa très vite et mes yeux distinguait toujours les couleurs et les formes. L’espoir renaissait en moi et je n’arrivais pas à défaire le sourire sur mon visage.