A midi pile le bruit des bottes résonnèrent dans le couloir, j’étais prête, il me fallait faire un énorme effort pour ne pas dévoiler la nouvelle. Avec beaucoup de douceur Tonio m’installa sur la couverture de pique-nique, il ne toucha quasiment pas à son repas, quelque chose le perturbait. Soudain il se leva et me tournant le dos m’annonça qu’il avait reçu sa première affectation, il serait partit plusieurs mois. Ne pouvant pas distinguer son visage je sentais sa contrariété. Pensant bien faire je voulus le rassurer en lui disant que tout allait bien se passer durant son absence, il se retourna brusquement et se mit en colère. J’avais du mal à comprendre la raison de son courroux et ne savait plus quoi répondre. Il se calma soudain et vint s’asseoir près de moi, j’allais lui annoncer la bonne nouvelle pour lui changer les idées mais il me coupa la parole. Prenant ma main dans la sienne il me dit qu’avant son départ il souhaitait mettre les choses en ordre, il posa un genou à terre, sortit un petit écrin de sa poche et me fit sa demande en mariage.
D’abord surprise, je ne m’attendais pas à ça, j’avais toujours vu Tonio comme un frère et pas comme un éventuel époux. J’eus un mouvement de recul, il se rapprocha de moi, m’expliquant que c’était la seule façon pour moi d’avoir un avenir à la hauteur de mon rang. Je me sentis oppressée, je cherchais à m’éloigner mais il me suivait. La situation devenait gênante, tentant de lui expliquer que je souhaitais épouser un homme qui m’aime pour moi et pas par obligation. Le souffle court et d’une voix presque plaintive il m’avouait les sentiments qu’il avait pour moi depuis des années. Ses mains se baladaient sur ma jupe et cherchaient à remonter sous mes jupons, sa bouche fiévreuse cherchait la mienne, je me débattais et tenta de crier mais il plaqua un main sur ma bouche, je la mordit aussi fort que je pus. Il me gifla, ma main toucha quelque chose de froid, je saisis l’objet pointu et le planta dans son ventre. Un cri rauque se fit entendre, il tomba sur le côté, j’en profitais pour m’échapper, le peu de vision que j’avais retrouvé me serait utile. Je courrais aussi vite que possible, derrière moi je l’entendais crier mon prénom et me menacer. La peur au ventre je ne pensais qu’à une chose, m’enfuir loin de lui.
Je me retrouvais dans la cours du château, ma femme de chambre qui m’avait vu courir comme si je voulais échapper au diable, m’aida en me cachant dans les écuries. La seule solution serait de prendre un cheval et d’aller me réfugier chez une amie. Il me fallait trouver un endroit calme pour pouvoir envoyer un message à mon père, il devait être mis au courant de la situation. Ma jument fût scellée, je montais péniblement et partis au galop vers la forêt. Me retournant une dernière fois j’entendis mon assaillant me promettre de me retrouver et de me tuer. Une fois sous les arbres je calmais l’allure et finis par faire une pause près de la rivière, ma monture avait besoin de boire après cette course effrénée. J’étais épuisée et la tête me tournait, me dirigeant à tâtons vers le bord de l’eau. Un bruit derrière moi me fit sursauter, ma jument prit peur et partit au galop vers le château, je tentais de la rappeler en criant son nom mais c’était trop tard elle était loin. Un rire d’homme se fit entendre près de moi, je reculais sans rien voir manquant de tomber dans l’eau. Une main saisit mon bras me débattant, un coup sec à l’arrière de la tête eu raison de moi. Le brigand me mis un sac sur la tête, me ligota et me balança à l’arrière d’un chariot.
Quand je repris connaissance je n’étais plus dans la forêt, il faisait chaud, ma bouche était sèche et j’avais mal au cœur, mon corps tanguait. Il faisait sombre autour de moi et l’odeur ambiante était insoutenable, un mélange d’urines, d’excréments, de transpiration et de poisson avarié. Je crûs d’abord que ma tête me jouait des tours et que mon vertige était lié à ma déshydratation mais soudain des bruits de pas se firent entendre, une clé tourna dans la serrure et une porte s’ouvrit.
« Tu es enfin réveillée Princesse !! Je me présente mon nom est Vitor mais tout le monde m’appelle El Capitan, je suis le capitaine de ce bateau et tu as la chance de faire partie des présents qui vont être offerts au Sultan Haroun El Abadil. »
– Un cadeau ? Mais on m’a enlevée dans la forêt, vous n’avez aucun droit de me retenir prisonnière, mon père est un homme haut placé, il connait le Roi, il vous donnera de l’argent si c’est ce que vous souhaitez ?
L’homme fouilla dans sa poche en rigolant, il en sortit une feuille de papier crasseuse et se mit à lire. C’était un avis de recherche, mon avis de recherche, une grosse somme d’argent était proposée pour qu’on me ramène chez moi, morte ou vive, j’étais recherchée pour tentative d’assassinat sur Tonio mon demi-frère. Les images repassèrent dans ma tête, la demande en mariage, la tentative d’agression et le coup de couteau pour me défendre parce qu’il ne voulait pas me laisser tranquille. Les larmes coulèrent sur mes joues sans s’arrêter. Je compris rapidement que mon père avait préféré croire la version de son beau-fils, sûrement influencé par Camila qui me détestait depuis tant d’années. Elle avait enfin gagné sa bataille dans le cœur de Armando, à ce moment-là je me suis sentie orpheline et effrayée pour la suite des événements.
« Mais pourquoi ne pas m’avoir ramener au château pour toucher la récompense ? »
– Ah non ma jolie, l’argent que ton père propose de donner est une belle somme mais ce que le Sultan va m’offrir pour un beau brin de fille comme toi, tu n’imagines même pas. Au fait juste pour savoir, qu’est-ce qui est arrivé à tes yeux ?
Je décidais de mentir, à quoi bon lui raconter mon agression, cet homme n’avait qu’une bourse vide à la place du cœur, il me voyait comme un bon moyen de prendre sa retraite sur une île avec un coffre rempli d’or.
« Je me suis approchée trop près des flammes d’un feu de joie et mes cheveux ont pris feu, un malheureux accident qui m’handicape pour le reste de ma vie. Mais êtes-vous sûr que je sois un bon choix pour votre Sultan ? Je suis aveugle et mes traits ne sont plus aussi fins qu’avant le drame, votre homme se sentira vexé que vous lui ameniez une infirme défigurée. »
– Ne t’en fais pas pour çà ma mignonne, ta destinée n’est pas de finir dans le lit du Sultan, quoi que, il aura peut-être envie de goûter à quelque chose d’exotique et d’inhabituel. Les femmes de son harem sont toutes plus belles les unes que les autres d’après ce que l’on raconte. Non, toi tu vas avoir le premier rôle dans son prochain divertissement, le Sultan Haroun El Abadil aime le grand spectacle et met en scène des légendes de la mythologie, il est souvent question de vierges qui se font dévorées ou sacrifiées, tu as le profil parfait et pour tes yeux, ce n’est qu’un détail, au moins tu ne verras pas ses tigres arrivés pour te déchiqueter.
L’homme partit dans un fou rire, le bruit des clé à sa ceinture m’indiqua qu’il se déplaçait, il ouvrit la porte et avant de retourner sur le pont il m’indiqua qu’un bout de pain et de l’eau était dans un coin de la cellule à moi de les trouver. Il nous restait quelques jours de traversée et nous serions arrivés sur le continent africain. Il me souhaita bonne chance et me remercia d’avance pour le joli pactole qu’il allait toucher. Il fallait juste que je reste en vie et en bonne santé, pour çà il me ferait amener de la nourriture deux fois par jour. Les marins sont superstitieux, une femme à bord ce n’est jamais bon, il fallait donc que je reste discrète. L’homme pensait que j’étais vierge, ne voulant pas perdre d’argent il protégeait ma vertu dans une cage dont lui seul avait la clé, je devais donc prier pour que personne ne décide de faire une mutinerie. Après son départ je me rendit compte que le récit de ce qui m’attendais m’avait tellement effrayée que je m’étais uriner dessus, j’avais froid, ma robe était mouillée et je sentais mauvais, mes perspectives d’avenir étaient limitées, je me mis en boule dans un coin et finis par m’endormir.
Je ne saurais dire combien de jours se sont écoulés mais d’après les visites du mousse qui venait m’apporter ma nourriture je dirais une petite semaine. Pour mon dernier repas, le garçon qui avait ordre de ne rien dire laissa échapper que notre voyage prenait fin le lendemain matin, un sceau d’eau clair me sera apporté avec du savon et une nouvelle robe, il fallait que je sois présentable pour le Sultan. J’allais devoir me débrouiller seule, me laver et m’habiller pour qu’un monstre cruel m’envoie me faire dévorer par ses fauves, pourquoi vouloir que je sente bon si c’était pour finir dans l’estomac de quelques tigres affamés à la fin de la journée ?