LCDM I – I.I

6 mins

 Isadora, huit ans, fille de marchands, habitante de Mahatalma, capitale de l’Empire du Nord, accompagnait ses parents au palais comme tous les jeudis pour vendre leurs productions. Là-bas vivait le Prince Brutus, son ami avec qui elle jouait lorsqu’elle venait au palais. Ce jour-là, il faisait beau, les oiseaux chantaient et il n’y avait pas un nuage en vue. Une fois ses parents entrés dans la salle d’audience, Isadora partit en direction de l’aile des Princes où vivait son ami. Il lui avait tant manqué !

Elle traversa d’un pas vif les couloirs blancs. Tout était blanc dans le palais de l’Empereur. C’en était presque déprimant. L’enfant trouvait cette couleur morne et triste, sans vie, mais qui était-elle pour critiquer la décoration impériale ?

Depuis leur naissance, Brutus et elle s’étaient toujours retrouvés ensemble lorsque leurs parents discutaient prix et colifichets… Ils étaient devenus amis et, malgré leur différence au niveau social, tous les deux étaient inséparables. Mais Isadora savait bien, au fond d’elle, que, une fois devenu Empereur, leur amitié disparaîtrait, aussi, la petite profitait de chaque instant.

Elle frappa à la porte, un coup fort, deux faibles, c’était leur code de reconnaissance. Ainsi il savait que c’était elle et non pas son envahissant précepteur, sans quoi il n’aurait pas répondu. Immédiatement, la porte s’ouvrit sur Brutus qui l’attrapa par le poignet et se mit à courir, l’entraînant avec lui à travers les corridors alambiqués du palais.

Les deux enfants se rendirent discrètement au chenil où ils firent sortir leur petit favori : Griffe, un chien d’un blanc immaculé et d’une fidélité sans faille s’il on se fiait aux dires du dresseur. Enfin, ils quittèrent le palais par une porte dérobée dans la pierre du mur de la façade sud, qui donnait sur la ville, avant de se mettre à courir comme des fous vers la forêt avoisinante.

Isadora ne posa pas la moindre question, habituée à ce qu’il l’emmène partout où ça le chantait, toujours prêt à lui montrer ses dernières découvertes sur le royaume. Et elle, elle le suivait, par servitude certes, mais surtout par curiosité.

Grâce à lui, elle en savait plus que bien des enfants et avait les mêmes connaissances que les Princes, alors qu’elle était née de parents commerçants.

C’était d’ailleurs là tout l’avantage, elle possédait déjà toutes les cartes en main pour reprendre la boutique une fois adulte, disait son père… Bien que sa mère eût préféré qu’elle passe plus de temps à coudre des robes ou à broder des tapisseries plutôt que courir dans la boue de la ferme impériale en hurlant sur le dos d’un des énormes cochons qui y habitent…

Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas que Brutus s’était arrêté sur le bord d’un sentier… visiblement tracé par un troupeau de sangliers enragés.

一 Viens, je vais te montrer quelque chose, lui cria le Prince alors qu’elle s’arrêtait pour reprendre son souffle.

Elle haussa un sourcil curieux et ils reprirent leur course jusqu’à l’entrée d’une grotte dans une falaise en bordure de la forêt. A l’intérieur, on aurait dit que le temps était suspendu, les parois de cristal reflétaient les couleurs de l’arc-en-ciel, les murs de la grotte étaient ornés de menhirs sculptés à même la roche et au centre se trouvait un majestueux dolmen. Soudain, le Prince se retourna :

一 Où est Griffe ?

Ils cherchèrent partout, le chien avait disparu. Sans réfléchir, Isadora monta sur le dolmen et cria :

一 Griffe ! Viens à moi ! Viens moi ! Viens à moi !

Brutus lui avait dit qu’il était dressé à répondre à cet appel. Cela leur avait déjà servi, mais si rarement qu’ils étaient paniqués à l’idée d’avoir perdu l’animal. L’enfant trouvait l’ordre étrange, mais, encore une fois, n’avait rien dit, se contentant de crier.

Cependant, ce ne fut pas le chien qui apparut mais un phénomène étrange : les menhirs se soulevèrent dans les airs et, une fois à trois mètres du sol, se stabilisèrent puis, peu à peu, se métamorphosèrent en êtres humanoïdes. Douze êtres qui la regardaient avec reconnaissance, avec intérêt, respect, mais aussi avec surprise. La peur s’empara du Prince, qui s’enfuit en hurlant :

一 Monstre ! Mon père te fera châtier ! Ne m’approche plus jamais, toi et tes démons ! Comment ai-je pu te faire confiance ? Monstre !

Une larme solitaire coula sur la joue de la petite fille, blessée. Elle n’y était pour rien ! Elle ne savait même pas ce qui venait de se passer ! Elle avait peur, elle aussi, mais elle était tétanisée, incapable de bouger…

Les douze personnages descendirent lentement et se posèrent à quelques centimètres du sol.

一 Qui êtes-vous ? balbutia-t-elle lorsqu’elle reprit l’usage de la parole.

L’un d’eux, blond, la peau pâle et les yeux verts, celui qui ressemblait le plus à un humain de l’Empire du Nord s’avança vers elle :

一 Nous sommes les Premiers Dieux, des Dieux Maléfiques nous ont entravés.

Isadora fronça les sourcils et recompta pour être bien certaine… Mais quelque chose n’allait pas…

一 Ce n’est pas vrai ! Les premiers dieux sont treize ! riposta la petite qui avait l’œil vif et qui haïssait les mensonges, surtout si ceux-ci la conduisaient au bûcher.

一 C’est vrai mais Nuit a réussi à se sauver, continua le Dieu.

Il avait une voix douce, calme et assurée. Isadora le croyait mais elle restait méfiante, par principe, elle avait tout de même perdu son meilleur ami à cause d’eux ! Et puis, qui lui disait que ce n’était pas eux, les Esprits Maléfiques ?

一 Comment arrivez-vous à venir ici, alors ? demanda-t-elle avec sa moue enfantine qui faisait fondre ses parents habituellement.

Une petite femme aux cheveux multicolores s’approcha aussi :

一 Tu es une des douze personnes pouvant nous aider. Tu as le Don de nous contacter, mais seulement avec ces paroles : “Viens à moi !” dites trois fois. Et avec une circonstance similaire à celle-ci avec douze éléments identiques déposés en cercle par Nuit.

Comme le chien, maugréa-t-elle intérieurement. Ce n’est pas très original….

Mais les douze menhirs… Les éléments concordaient.

La brunette cligna des yeux, prenant le temps d’assimiler l’information…

Un homme dont la peau était noire comme l’ébène lui dit :

一 Retrouve les autres Élus. Vous avez tous des habits verts, notre couleur, mais à part vous, personne n’en a conscience. Sois discrète, ne parle à personne d’autre de cela sauf si tu n’as pas le choix. Tu devras prouver tes dires au premier Élu, pour les autres ce ne sera sans doute pas nécessaire. Dépêche-toi, sinon le Chaos s’abattra sur Silisisma, il y aura des sacrifices humains et vous serez tous réduits en esclavage ! Nous te faisons confiance…

Les autres Dieux semblaient la supplier silencieusement.

Il y avait tant de désespoir, de conviction dans sa voix qu’Isadora ne pouvait que le croire. Il était sincère, elle en était certaine. Mais…

一 Mais… Je n’ai que huit ans !

Et je ne suis pas censée croire sur parole des paroles de pseudo-dieux, aussi réaliste soit la situation !

Le Dieu blond s’approcha d’elle un peu plus.

一 Tu es jeune, c’est un fait, mais ton Don et celui de chacun de ceux qui t’aideront suffiront à battre les Dieux Maléfiques. Tu vas grandir et tu deviendras plus forte, plus puissante encore. Tu verras… Je ne te promets pas quelque chose de facile, une histoire dans laquelle tu seras l’héroïne adulée de tous. Mais je sais que tu vas réussir. Tu es née pour sauver Silisisma, Isadora. La vie ne sera pas tendre, mais on sera là, loin, mais avec toi tout de même…

Isadora ne put en entendre plus, elle s’évanouit, vidée de toute son énergie. Les communications divines seront-elles toujours aussi épuisantes ? pensa-t-elle en sombrant dans l’inconscience.

A son réveil, le ciel n’avait pas changé… Combien de temps était-elle restée inconsciente ? Elle repartit vers la capitale en se demandant ce qu’elle allait faire de ces informations. Cette histoire s’était-elle réellement passée ? Était-ce un rêve ? Son intuition lui disait que tout était vrai…

Elle connaissait le chemin par cœur, pas grâce à un quelconque sens de l’orientation sur-développé, non, elle avait simplement l’habitude de parcourir les alentours de la cité. Une connaissance des routes qui lui permettait une réflexion intense sur le chemin du retour. Enfin, elle atteignit les remparts de la capitale. Là, elle reçut un choc ; ses parents rentraient chez eux, quittant le palais de marbre blanc et quand elle les appela, ils détournèrent la tête. Pire, ils semblaient avoir honte de la connaître et avaient l’air de vouloir cacher leur lien.

Elle n’existait plus pour eux. Brutus leur avait sans doute tout raconté. Pour ses parents, elle était désormais un monstre. Pourtant, si les Dieux disaient vrai, c’était tout le contraire !

Abandonner ses enfants était un crime puni par la loi divine. L’Homme se devait d’aimer sa progéniture. Pourquoi l’abandonnaient-ils, alors ? Pourquoi est-ce qu’ils ne l’aimaient plus ? Tant de pensées négatives lui traversaient l’esprit qu’elle ne vit pas les autres habitants du palais s’approcher d’elle, un couteau, une pierre, une fourche ou simplement le poing brandit vers elle.

La peur et la colère se mêlaient. Ils n’avaient pas le droit ! Mais elle était seule, sans défense, fragile, et…

La jeune fille évita de justesse un coup de fourche.

Elle réfléchira plus tard, désormais, il fallait fuir. Et vite !

Prenant ses jambes à son cou, Isadora se précipita dans la première brèche de la foule et courut aussi loin et aussi vite qu’elle pouvait. Nombreux étaient ceux qui la poursuivaient et l’insultaient, plus encore ceux qui lui jetaient pierres, lames et autres projectiles.

Quelques-uns l’atteignirent. Elle sentit d’un coup quelque chose de chaud couler le long de sa joue en même temps qu’une vive brûlure. Posant sa main sur la blessure, elle renifla pour retenir ses larmes en continuant de courir, louvoyant entre les projectiles.

Comment les nouvelles avaient-elles pu aller aussi vite dans la capitale ? Elle n’avait pas été inconsciente plus de quelques heures, elle en était certaine ! Pourtant, la ville entière semblait avoir été prévenue.

Jamais elle n’avait rencontré autant de haine. Elle avait toujours été une enfant choyée, aimée… Tout cela était bien trop nouveau, violent.

Elle avait mal.

Intérieurement, la petite fille se jura qu’une fois les Dieux libérés, les Esprits Maléfiques détruits, une fois qu’elle serait forte, puissante et couverte de gloire, elle reviendrait et elle se vengerait. Elle détruirait Brutus et il comprendrait, à son tour, la douleur du rejet.

Elle était jeune, fragile, faiblarde… mais déterminée.

Malgré ses huit ans, elle décida de partir et d’accomplir la volonté des Dieux.

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