LCDM I – I.II

4 mins

 Isadora courait dans la forêt, les larmes inondant ses joues. Le pays entier semblait savoir qui elle était. Non ! Qui ils pensaient savoir qu’elle était ! Elle n’était pas un monstre !

Elle ne l’était pas, n’est-ce pas ?

Sa vue brouillée par les larmes ne lui donnait qu’un aperçu vague de la sylve autour d’elle. Personne n’allait jamais ici, on racontait que des centaures y vivaient. Ces créatures dangereuses et cruelles rendaient le lieu interdit.

Les souvenirs des récits sanglants qu’elle avait autrefois entendu la firent frissonner. Quitter l’armée qui la poursuivait pour se jeter dans l’entre des centaures n’était peut-être pas la meilleure idée. Mais il était trop tard pour reculer.

Peut-être qu’elle mourrait bientôt, mais ce n’était pas grave, au moins, ce ne serait pas face aux hommes du père de Brutus.

Les ronces lui lacéraient la peau et déchiraient ses habits, mais ce n’était rien face à ce qu’elle venait de vivre, toute cette haine endurée en si peu de temps, cette violence qu’elle n’avait jamais rencontré avant…

Plus elle avançait, plus l’endroit s’assombrissait… Peut-être la nuit tombait-elle ? Ou peut-être s’était-elle trop enfoncée dans le bois ? Elle se refusait de réfléchir. Son cerveau ne lui disait qu’une chose : Cours ! Fuis ! Loin !

Les arbres étaient de plus en plus rapprochés, de plus en plus hauts, de plus en plus tordus, de plus en plus menaçants au fur et à mesure de sa course.

Son corps lui suppliait de s’arrêter alors que son esprit lui intimait de continuer. Mais on l’avait jetée hors des auberges, même dans les écuries, elle n’était pas la bienvenue ! De même pour la porcherie, sous les porches, dans les étables… Même lorsqu’elle proposait de l’argent, on lui claquait la porte au nez en criant :

一 Monstre ! Retourne dans les plaines de Souffrance !

Monstre ! Monstre ! Monstre ! … Ce mot résonnait dans sa tête, comme s’il voulait qu’elle finisse par y croire…

Elle renifla en maudissant Brutus, son Don et tous les Dieux. Elle n’avait rien fait ! Pourquoi alors est-ce qu’on la blâmait ?

Elle s’arrêta un instant afin de reprendre ses esprits. Je ne me laisserai pas abattre ! se dit-elle, avec conviction.

Ses pensées analysèrent les derniers événements…

Elle avait marché à travers la ville, couru sous des jets de pierre et échappé à l’armée qui s’était lancée à ses trousses. Elle était un monstre pour tout le monde. Pourquoi tant d’intolérance ? Elle avait fini, à la tombée de la nuit, à semer les trois soldats qui l’avaient repérée à l’entrée de la cité. Le bois le plus proche s’était alors avéré le refuge le plus sûr… Pour l’instant. De quoi serait fait le jour suivant ? Y aura-t-il seulement un lendemain ?

Elle s’arrêta un instant, les arbres lui semblaient effrayants… Peut-être que les soldats ne la suivraient pas dans un endroit aussi terrorisant ?

Recroquevillée sous un arbre au tronc épais, elle se laissa aller aux larmes et à la détresse. Elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait plus. Pourquoi ? Et puis, peu importe. Qu’ils lui claquent la porte au nez si ça leur chante ! Mais, pitié, qu’ils ne lui lancent plus de pierres dans les rues ! Rien n’était plus dur que de passer de la petite fille aimée et choyée au monstre haït de tous en quelques secondes. C’était si douloureux ! Elle n’avait que huit ans, comment les Dieux voulaient-ils qu’elle les aide ? C’était impossible.

Pourtant, déjà, son cerveau tournait à plein régime pour trouver une solution. Retrouver les Élus… Ils étaient forcément dans un autre pays, sinon ce serait trop facile ! Et puis, ils ne la croiraient pas ! Ils en avaient des bonnes, eux ! Bon… Maintenant, il va falloir quitter le pays… Et avec sa tête mise à prix, ça allait être d’une facilité… Mais au moins, à l’étranger, on ne la connaissait pas.

Elle frotta machinalement ses plaies. Comment avait-elle survécu, elle n’en savait rien. Mais ce qu’elle savait, c’est que la lapidation était habituellement réservée aux plus grands criminels. Elle regarda un instant le ciel noir, presque invisible derrière le feuillage des arbres. Quelques étoiles étaient visibles ça et là, mais tout semblait indiquer qu’il était minuit passé.

Autour d’elle, tout était que mousse, rochers, feuilles et fougères… Comment allait-elle faire le lendemain pour sortir de cette jungle ? Elle aurait dû y penser avant de s’enfoncer aussi loin ! Isadora renifla. Cet endroit était beaucoup plus effrayant maintenant qu’elle entendait les bruits nocturnes des créatures, certainement dangereuses, qui y vivaient. Elle entraperçut même des yeux ! Là, derrière le buisson !

La douleur et la fatigue eurent finalement raison d’elle et le sommeil l’emporta. Son sommeil fut agité. Très agité. Il plut durant la nuit, le froid ravivant les douleurs au niveau de ses plaies. Le pire fut les cauchemars. Elle rêva que les autres Élus ne la croyaient pas, qu’ils tentaient de la tuer. Elle rêva que la garde la rattrapait et qu’elle finissait pendue sur la place publique. Elle rêva qu’elle était folle et que rien de tout ça n’était vrai… Tant de songes qui la firent bouger pendant son sommeil.

Ses mouvements l’emmenèrent à des rochers pointus sur le sentier escarpé – qu’elle n’avait pas suivi – du bois. Elle roula sur le chemin, ses plaies se rouvrant brusquement et d’autres apparaissant. Son sommeil était si lourd et son besoin de repos si grand, qu’elle ne se réveilla pas.

Le lendemain matin, écorchée, en pleurs et à peine consciente, elle se réveilla avec une certitude : il fallait quitter le pays. La solution qui lui vint à l’esprit la dégoûta, mais il le fallait. Tentant de se lever avec difficulté, elle réussit quelques pas hésitants. Tout son corps la faisait souffrir. Sa peau était couverte de boue et de sang mêlés. Autour d’elle, le même mélange lui indiquait l’agitation de la nuit. Ses plaies étaient ouvertes mais ne saignaient plus. Titubant, elle s’assit sur un gros rocher et gratta la saleté qui s’était accumulée sur elle.

En regardant ses ongles, elle pensa à sa mère… Cette dernière aurait fait un scandale en la voyant… Puis ses yeux se remplirent de larmes en se rappelant que c’était cette même femme, qui, la veille, l’avait laissée au bon vouloir de la cruauté de la juste locale.

Puis, elle revint à son plan. Elle savait comment quitter le pays incognito et elle le ferait, ne serait-ce que pour rester en vie.

Elle chercha une pierre au côté suffisamment tranchant, et, quand cela fut fait, elle la tailla un peu plus contre un rocher.

Pour tester son tranchant, elle se coupa légèrement la main, grimaçant à la vue du sang. Lorsqu’une goutte tomba sur la mousse, elle s’estima satisfaite.

Elle réunit alors ses cheveux sombres et les coupa. Les mèches tombèrent à ses côtés. Elle tâta sa nuque et sursauta en sentant la peau sous ses doigts. C’était définitivement tout sauf agréable.

Mettant son doigt blessé dans sa bouche pour faire cesser l’afflux de sang, elle se leva et avança sans savoir où aller.

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