Isadora marchait en titubant, cherchant désespérément à sortir du champ qui la masquait à la vue de tous mais qui l’empêchait aussi d’obtenir le moindre secours.
Elle souffrait encore beaucoup de ses blessures mais elles semblaient se guérir d’elles-mêmes et se refermer doucement, laissant tout de même la plupart ouvertes et ensanglantées. Malgré tout, la douleur l’empêchait de marcher aussi vite qu’elle l’aurait voulu et la faim commençait à se faire sentir. Or, elle refusait de goûter à la moindre baie sauvage. Elle ignorait qu’elles étaient comestibles… Pourtant, certaines semblaient si délicieuses… Mais mourir n’était pas dans ses plans de la journée.
Luttant contre son estomac, elle continua d’avancer.
Soudain, un mouvement identifié par un bruit de pas la fit se retourner. Personne. Elle recommença à marcher. Un autre bruit dans les fourrés lui indiqua une réelle présence. La petite se retourna une nouvelle fois… Personne. La brunette tourna autour d’elle, lentement, cherchant le moindre signe de vie. Qu’est-ce qui aurait pu être assez gros pour faire tout ce vacarme, mais assez fin pour être invisible ?
一 Bonjour fillette.
Isadora sursauta. Elle brandit devant elle la pierre qu’elle avait taillée dans la matinée avant de baisser son arme de fortune et de reculer brusquement, paniquée.
Devant elle se trouvait un immense centaure.
Mesurant près de trois mètres de haut, l’être arborait une musculature impressionnante. Il portait un arc et un carquois dans son dos. Son visage était presque jovial, avec ses yeux orangés rêveurs et de longs cheveux bruns. Il avait le visage d’un jeune adulte humain. Son sourire creusait une fossette dans le coin de sa joue, lui donnant un air enfantin.
Isadora n’osait regarder la partie équestre de son corps. C’était… Étrange. Et effrayant. Et incroyable. Et… Et il y avait trop de “et” !
Pourtant, la robe brune et luisante de centaure n’avait rien d’effrayante.
La créature inclina légèrement la tête sur le côté, visiblement amusé par la petite fille aux cheveux coupés n’importe comment devant lui, et de son air terrorisé et volontaire à la fois.
一 Ce n’est pas tous les jours que l’on voit une humaine par ici… murmura-t-il doucement, presque avec tendresse.
Sa douceur contrastait avec sa stature de guerrier.
Isadora, recroquevillée sur elle-même, terrorisée, au bord des larmes, recula brusquement lorsque le centaure se pencha vers elle. Pourquoi était-il si gentil ? Toutes les légendes disaient que les centaures étaient des monstres !
Et si c’était une ruse pour la tuer ?
Pourtant, une petite voix dans sa tête lui disait : “Toi aussi, on t’a traitée de monstre sans raison… Les centaures sont sans doute méprisés à tort ?” C’était une voix douce, grave et tendre ; elle lui parlait comme on parle à un ami, à un adulte… C’est ce qui convainquit Isadora qu’il ne s’agissait pas de ses pensées mais bien d’une personne qui parlait dans sa tête. Elle décida de lui faire confiance.
La voix a raison, songea Isadora qui espéra en même temps que cette dernière se manifeste à d’autres moments pour la guider.
一 Je m’appelle Carlo, et toi ?
Sans attendre la réponse, il lui prit la main et la hissa sur son dos, sans aucun effort. C’était étrange pour elle de monter, pas seulement parce qu’elle n’avait jamais été sur un équidé, car cela n’était pas dans le moyens de ses parents que de lui offrir des cours d’équitation, ou, tout simplement, autre chose que leur vieil âne qui servait aux déplacements dans la ville, mais surtout car celui-ci était à moitié humain !
La pauvre enfant ne protesta même pas. Au contraire. Le centaure lui semblait bienveillant. Et, surtout, elle avait perçu autour de lui une sorte d’aura blanche, comme si les Dieux lui disaient : “il est là pour toi.”
De jour, la forêt semblait moins menaçante. La lumière filtrée par le feuillage des arbres lui donnait un air de bois de contes pour enfants, les murmures du vent dans la verdure semblaient venir des fées et tout semblait calme et merveilleux.
Le centaure galopait gracieusement et tentait d’éviter à sa passagère tout heurt avec les branches basses. Ils “chevauchèrent” longtemps, jusqu’à ce que la nuit tombe et que les ombres reviennent. Ils ne parlaient pas, ils n’en avaient pas besoin. Le vent emmêlait leurs cheveux. Le temps passait doucement et, pas un instant, Isadora ne se plaignit de l’inconfort du voyage. Elle qui n’avait jamais monté, se retrouvait à dos de centaure pour une chevauchée indéterminée.
Carlo mena Isadora à l’orée du bois. Là, il la déposa sur le sol et lui ébouriffa tendrement ses cheveux en bataille. Comme le ferait un frère.
En quelque heures, ce centaure inconnu venait de combler trois jours d’affection mutée en haine. Carlo venait, en quelques instants, de devenir l’ami d’Isadora aux yeux de celle-ci.
Elle savait, au plus profond d’elle, qu’elle ne devrait pas avoir un tel sentiment de sécurité mais l’aura autour du centaure la poussait à lui faire confiance, à l’aimer, à l’admirer et à le respecter.
一 Continue vers le nord, d’ici une dizaine de jours, tu atteindras le port. Personne ne te reconnaîtra, tu as bien fait de te couper les cheveux.
一 Comment… ? articula le petite, déconcertée.
一 Nous, les centaures, nous avons des dons de divination, nous pouvons voir l’avenir, expliqua sobrement la créature. Et, ajouta-il malicieusement, il se pourrait que tu penses à haute voix.
Puis Carlo se retourna et s’enfonça dans les bois, laissant Isadora seule à la lisière de la forêt, perdue.
一 Merci ! lui cria cependant la jeune fille.
Les centaures avaient donc naturellement des pouvoirs… Ils ne pouvaient ainsi être des Élus puisque ceux-ci devaient être des personnes avec des talents exceptionnels.
Sur ces pensées, Isadora commença à marcher en direction du nord.
Mais au bout de quelques instants, elle dû s’arrêter, prise de vertiges. Elle n’avait rien mangé depuis près de trois jours et son corps avait fait trop d’efforts en peu de temps pour pouvoir continuer. Elle était exténuée, mais, se trouvant au beau milieu d’un champ, rien ne pouvait la nourrir : il lui fallait avancer. Au moins jusqu’à la prochaine auberge. Elle ne devait pas être bien loin…