En contre plongée

8 mins

                         

                           Synopsis

Les années de vie de Conrad s’écoulaient sans plus rien attendre de lui, de la tristesse à la solitude en passant par la déception, pour ne plus quitter le néant. Jusqu’au jour où le destin offrira à sa vie un but, plus qu’un goût d’espoir, son existence jusque là réduite au silence connaîtra des aventures et des rebondissements inattendus, et ce, de la plus anodine des façon.

                            Prologue

 

 

« NON ! Merrill…, maman… ! »

 

Encore ce cauchemar. Le même à chaque fois. Aussi réel et douloureux que chaque nuit, ce spectre d’un souvenir refoulé, comme une ombre sur un voile blanc, lui parcourant l’esprit aussi délicatement que les griffes acérés d’un oiseau de proie. La succession des images était chaque fois la même, d’abord la pluie, puis le pont, la route glissante et enfin, la voiture qui dérape. 

Conrad le faisait depuis si longtemps, qu’il ne parvenait pas à se souvenir de quand il avait commencé, il lui semblait que cela faisait une éternité. Les nuits brèves et les réveils difficiles. Il en avait assez. Justement, il avait rendez-vous avec le docteur Nelson cet après-midi-là après les cours. Lui qui, au début, se sentait prisonnier de ces entrevues interminables avec le vieillard, et se montrait aussi peu coopératif que possible, ne pensait désormais plus pouvoir s’en passer. 

Parfois, on a juste besoin d’une oreille attentive à laquelle se confier.

Il repoussa doucement son épaisse couverture en coton et s’assit péniblement sur son lit, son corps tout entier lui était douloureux, des extrémités des talons à la racine des cheveux, comme si un fardeau invisible pesait sur lui, un poids pareil à une demi tonne de pierres sur la colonne vertébrale. Ses vêtements et son lit étaient trempés de sueur, on aurait dit que la pluie de son cauchemar s’était abattue sur lui toute la nuit durant. Instinctivement, il jeta un regard somnolent au réveil posé sur sa table de chevet, il n’avait toujours pas sonné. Plissant ses yeux couleur noisette en direction du petit écran lumineux, il distingua les chiffres de l’horloge à travers la semi obscurité de sa chambre : 4 : 32 AM ; Il n’en fut que peu étonné, cette scène faisait depuis plusieurs mois, partie de son triste quotidien, chaque moment semblait se répéter inlassablement, comme les images d’une bobine de négatifs. Il se couchait tôt le soir, s’endormait tard dans la nuit, et se levait à l’aube. Une routine pénible qui lui meurtrissait autant l’esprit que le corps. 

Il se leva donc à la manière d’un vieillard croulant sous les courbatures, et, retenant des gémissements de douleur derrières ses dents à découvert sous ses babines retroussées, il tourna le dos à son lit et marcha mécaniquement vers son bureau où sa serviette, soigneusement pliée, l’attendait sur le dossier de son siège. La prenant de ses mains moites, il quitta sa cambre et prit le chemin de la salle d’eau. 

La salle de bain se trouvait à quelques pas de sa chambre, au bout d’un vaste couloir éclairé par de petites ampoules encastrées dans le faux plafond, sur sa droite. Des yeux, il se frayait un chemin entre les griffes de la légère obscurité, le parquet sous ses pieds était aussi froid que les courants d’air qui lapaient sa peau humide comme des langues de fauve gelées, il marchait aussi vite que le lui permettait son corps endolorit par ses terreurs nocturnes, aussi, plusieurs minutes s’étaient écoulées lorsqu’il parvint enfin aux pieds de la porte en bois de chêne que décorait l’inscription « Take a shower », inscrite au bronze. La poignée en cuivre de cette dernière était glacée, tant, que Conrad se sentit frissonner lorsque ses doigts la saisirent, ce qui l’amusa assez pour le faire sourire dans sa grimace, il s’en étonna un instant. Voilà un moment qu’il ne s’était pas surprit à sourire, et pour si peu, cela le réconforta, il se dit qu’il allait sans doute mieux qu’il ne se le laissait entendre. Il resta là un moment tout à son étonnement, puis, doucement, il s’en retourna à ses manœuvres. 

En entrant dans la pièce, il referma presqu’immédiatement la porte, derrière celle-ci, se trouvait un crochait en métal, fixé à la porte en bois, il y accrocha sa serviette, puis, il entreprit de retirer ses vêtements dont l’odeur de la sueur ne semblait pas vouloir se défaire. Petit à petit, il se débarrassa de sa chemise de nuit, puis de son pantalon, avant de retirer son caleçon et de les ranger dans le panier à linge qui se tenait non loin du lavabo. Une fois totalement dévêtu, il enjamba le petit mur de ciment carrelé qui entourait la douche.

« Hé merde ! », s’était-il exclamé en ouvrant le robinet d’eau chaude, il n’y en avait plus. Déjà ? Dommage ! Il était donc condamné à la douche froide de bon matin. Ce qu’il fit, non sans un soupir de résignation et de nombreux jurons. Ce bain avait eu pour effet d’accentuer la douleur qui étreignait ses muscles, des perles d’eau glacée ruisselaient nonchalamment le long de son épiderme, caressant ses articulations engourdies. Il souffrait tant qu’il en gémissait de douleur à mi-voix, froissant ainsi le silence qui baignait le lieu. 

Accablé par le froid matinal qui cajolait sa peau trempée, Conrad grelottait le long du couloir alors qu’il s’en retournait dans sa chambre. Là, il s’était tout de suite dirigé vers la fenêtre qui donnait sur le jardin, il était resté appuyé un moment au cadre en bois vernis qui ornait celle-ci, il avait écarté les rideaux pourpre et éteint sa lampe de chevet. La pièce dans son entièreté baignait désormais dans la douce lumière de l’aube que laissaient passer les vitres embuées par l’air frais et humide qui accompagnait le début de matinée. Il s’essuya le corps à la façon d’un travail bâclé, pressé par le froid qui le mordait de ses crocs tranchants, l’on aurait dit qu’il oubliait volontairement certaines parties de son corps, ou était-ce simplement de la paresse, sans doute fuyait-il la douleur que lui aurait causée plus de minutie. Après avoir posé sa serviette humide sur son lit, il s’était dirigé à pas de loup jusqu’à son armoire en bois de chêne, une fois face à celle-ci, il avait étouffé un petit cri de stupeur. Sur les deux battants de la grande armoire, il y avait deux miroirs de taille moyenne dans lesquels Conrad avait cru voir un revenant, une âme tourmentée… il s’observait avec effroi, des cernes béantes d’un bleu pâle creusaient son visage terne, des rides saillante trahissaient son manque de sommeil. L’espace d’un instant, il en oublia le froid, palpant nerveusement son visage enlaidit par la fatigue. Son teint pâle donnait à son corps svelte un aspect maigre et pathétique, tel un chien des rues. Etait-ce vraiment lui ? 

Résigné à la vue de la mine affreuse qu’il arborait, Conrad s’était vouté, réduisant son mètre quatre-vingt-deux de quelques centimètres, avant d’ouvrir doucement le battant gauche de son armoire à linge. Il avait pris un air sérieux, debout les sourcils froncés face aux nombreuses piles de linges qui se dressaient devant lui, il lui fallut plusieurs minutes de réflexion pour que finalement son choix se porte sur une tenue simple et confortable, un col roulé blanc à manches longues, soigneusement repassée ainsi qu’un pantalon jean noir qu’il se passa avec une ceinture en cuire qu’ornait une boucle en argent. Sur un petit meuble en bois non loin, Conrad installait ses quelques trente-quatre paires de chaussures, il était composé de quatre étagères parallèles, des baskets aux mocassins en passant par les sandales et les tennis, il avait l’embarrât du choix. Justement, son choix s’était porté sur une paire de tennis blanche semi-sportive aux languettes confortables. Puis, il avait installé sa serviette sur un cintre et l’avait accroché près de sa fenêtre, pour qu’elle sèche, avant de troqué sa paire de draps trempés contre une paire propre en coton, dont il parât sa couche, qu’il dressa aussi élégamment qu’à l’accoutumée.

En s’en retournant vers le centre de la pièce, le jeune homme s’était arrêté net, comme figé d’un coup. Tournant doucement la tête à sa gauche, Conrad avait posé presque malgré lui les yeux sur le calendrier accroché sur le mur au-dessus de son bureau, « Mercredi, dix Novembre… ». Soudain, des flashes comme des poignards se mirent à lui lacérer le crâne de parts en parts : de la pluie, une voiture sous un pont, des cris…

Déjà trois ans que sa mère et son frère les avaient quittés son père et lui, et pourtant, il aurait aisément cru que ce fut la veille que l’orage avait eu raison de leur weekend au camping. Chaque moment lui revenait, de la chanson Like a butterfly de Simon Gregory que passait la radio, au regard affolé de sa mère alors qu’elle perdait peu à peu le contrôle du véhicule. Depuis, il ne se passait pas un jour, pas une nuit, sans qu’il ne pense à eux, sans qu’il se demande ce que serait sa vie si cet accident n’avait jamais eu lieu. Il se sentait seul sans Merrill, leurs parties de foot en binôme dans le parc, mais aussi moins en sécurité depuis qu’il n’était plus là pour veiller sur lui. Il avait moins de raison de sourire sans les taquineries de sa mère, il n’avait faim de rien depuis qu’il ne pouvait plus manger de ses plats à elle, c’était comme s’il était mort en même temps qu’eux, et qu’il vivait l’enfer, une éternité à contempler ce qu’était une vie sans eux. 

Depuis qu’ils s’étaient retrouvés seuls son père et lui, leur relation, déjà très tendue, était allée en s’empirant jusqu’à ce qu’elle devienne quasi inexistante, ils se saluaient, s’échangeaient des « comment tu vas » et des « et ta journée », se disaient « bon appétit » et enfin, se souhaitaient « bonne nuit », s’en était devenu plus que monotone. Ces pensées le torturaient de plus en plus chaque jour, il en souffrait tant que des larmes auraient pu s’échapper de ses yeux en de gigantesques cascades salées, mais hélas, longtemps avait passé depuis que sa dernière larme avait perlée sur ses joues pâles sous le coup de grâce du chagrin. 

Son réveil le sortit finalement de ses pensées, « pin…pin… », 6 :15 AM. Il poussa un soupire en passant une main tremblante dans sa chevelure châtain claire avant de saisir son sac à dos accroché à une patère près de son bureau. Doucement, il sortit de sa chambre, son sac en mains et le regard fixé sur le sol.

Le salon était immense, fait de murs blancs décorés de motifs floraux noirs et de meubles en bois vernis et de verre encastré, posés sur un sol où reposait un marbre blanc impeccablement poli. Aéré par quatre fenêtres coulissantes, il s’éclairait au fur et à mesure qu’avançait le jour. Un sofa en cuir noir de six place ornait le centre de la pièce et jouxtait deux autres sofas de quatre places chacun et deux grands fauteuils. Au milieu d’eux trônait une table basse en verre que décoraient de multiples bibelots en porcelaine à l’effigie d’animaux domestiques de toutes sortes. Ils faisaient partie de la décoration de la maison depuis son achat, à certains endroits, on pouvait voir des fissures, apparues avec le temps, et des morceaux manquants, résultat des quelques mille et unes espiègleries de Conrad et Merrill durant leur enfance.

En le voyant, Conrad, qui s’était arrêté dans les escaliers, se souvint de l’époque où ce même salon était coloré et décoré avec goût, ces trois dernières années, il avait viré progressivement au beige, au gris, puis, au noir, et n’avait pas bougé depuis. Lorsqu’il pénétra dans la pièce, Conrad trouva son père déjà habillé et chaussé, son corps svelte et longiligne recourbé sur une pile de dossiers, il feuilletait le contenu d’un classeur posé sur la table basse du salon, et jetait de temps à autres un œil sur sa montre, remettant inlassablement sa paire de lunettes de lecture en place. En voyant Conrad, il cessa toute activité et rangea ses documents, l’on aurait dit qu’il l’attendait :

 

_ Bonjour papa. Avait presque murmuré le jeune homme.

_ Bonjour, il fait frais dehors, tu devrais mettre quelque chose de plus chaud, avait bafouillé ce dernier en rangeant ses classeurs.

_ Ma veste est accrochée dans l’entrée, je la passerai en sortant, le rassura Conrad.

_ Bien, dans ce cas, allons-y. Avait-il simplement répondu en se levant.

 

Le trajet en voiture jusqu’au lycée se fit comme à l’accoutumé, Conrad les yeux rivés sur le paysage qui défilait de l’autre côté de la vitre, installé strictement dans le siège passager, tandis que son père fixait la route à travers le parebrise embué, les deux mains sur le volant, dans un silence mortuaire. Sur le chemin qu’empruntait la voiture jusqu’au lycée où apprenait Conrad, des dizaines de pâtés de maisons se succédaient sur quelques centaines de mètres, toutes semblables à la sienne, de grands murs blancs, un grand jardin, de belles fenêtres de verre et de grands garages d’où sortaient des voitures magnifiques. Puis, des magasins et des restaurants jonchaient le trottoir le long de la rue principale. Conrad laissait son regard aller et venir sur leurs murs, ricocher sur leurs couleurs et s’attarder sur les passants tous plus pressés les uns que les autres, tandis que la voiture tournait à gauche après la bibliothèque académique Charles & Matthew et, quelques mètres plus loin, Conrad vit apparaitre au loin les gigantesques murs vivement colorés de bleu et de vert qui constituaient les barreaux de la prison qu’était son lycée. 

 

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Sacko Birahima
Sacko Birahima
2 années il y a

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