Ne me croyez pas mort, je suis plein d’énergie

6 mins

C’est un tout petit parc, trois immeubles l’entourent et un parking qui clôt, celui des résidents. Des rez-de-chaussée-jardin entourés de cyprès, et des  appartements avec de grandes terrasses, les arbres montent assez haut pour ne voir que les cimes, pas de rue tout en bas et pas de vis-à-vis, juste des espaces verts quelques bancs çà et là pour ceux qui se promènent, des chemins empierrés serpentent entre les troncs, c’est là que j’ai fait tache et je suis toujours là.
Mon dernier souvenir, j’étais sur ma terrasse un verre dans la main, le téléphone dans l’autre.
Une mauvaise soirée déjà dans l’ascenseur, des voisins de palier reprochaient la musique que je mettais trop fort sans soucis des horaires, mes heures de décalage quand je rentrais chez moi, le jour ou bien la nuit sans respect du voisin, ne pas les saluer ou venir s’excuser juste par civilité, je suis rentré chez moi et j’ai claqué la porte en mettant un CD.
Et puis il y a cette fille, que j’ai au bout du fil, ce n’est pas la première sûrement pas la dernière qui ne comprenait rien aux besoins de l’usage. Elle n’avait plus envie de servir à ma guise, avait enfin compris le respect qu’elle m’inspire, mes seules envies d’humeur ne lui convenaient plus.
J’étais dans une rage folle quand elle a raccroché, il était bien trop tard pour pouvoir dormir seul, j’ai vidé mon alcool j’allais poser mon verre et je me suis penché, je crois que j’ai glissé.
Quelle drôle de sensation tous ces gens qui regardent, je vois un corps meurtri je crois que c’est le mien, on le couvre d’un drap je suis juste au-dessus. Au bout d’un certain temps, des gens en blouse blanche emportent la chose meurtrie, je tente de les  suivre, je n’y arrive pas, je me sens enchaîné à l’endroit de la chute, je regarde en haut, je regarde en bas, un relent de croyance pour le ciel et l’enfer, je ne vois aucunes portes, je reste là à attendre, aucunes sensations aucun mal ni envie, je n’ai pas de besoins, tout le monde est parti, il n’y a plus rien à voir. Quelqu’un revient enfin, un seau une serpillière, les traces que j’ai laissées disparaissent du chemin il ne reste que de l’eau, je regarde dans la flaque une toute petite lueur, un reflet d’étincelle, je suis devenu ça, si je pouvais pleurer, mais je n’ai pas de larmes et tout ce qui va autour, je tente de m’éloigner, c’est toujours impossible, je reste autour de moi, je suis un condamné enchaîné ou je suis et si rien ne se passe, l’éternité devient autre chose qu’un mot.
L’arrosage se déclenche, comme toutes les nuits d’ailleurs, tout le parc s’arrose, je m’étais fait surprendre plusieurs fois antérieures quand je rentrais très tard, mais là c’est autre chose je n’ai que ça à faire, regarder les gouttelettes qui tombent sur le sol. Ma flaque n’existe plus, et pourtant on dirait que je peux m’éloigner, je m’avance plus loin sans doute un mot impropre, vers l’immeuble le plus proche, quelquefois je me bute, je commence à  comprendre en faisant des essais, je ne peux cheminer qu’en suivant les endroits qui sont les plus humides. J’arrive ainsi devant la porte de l’immeuble, tout est sec derrière, je suis bloqué devant, je rebrousse chemin, ma fuite me semble vaine, les lampadaires reflètent les endroits de ma voie, mon aire de déplacement se limite à de l’eau. Je monte vers la lumière pour prendre de la hauteur, tout le mat est humide je suis juste arrivé tout près d’un éclairage protégé par une cloche, je pénètre dedans, je suis dessous l’ampoule on dirait un tunnel, je rentre dans un flot, je suis dans le courant, je deviens énergie, j’avance à toute vitesse, là je suis à l’entrée, on dirait les sonnettes, ici les caméras, là des prises de courant, je suis dans les apparts, je peux aller partout tant que je suis le flot. Si ça peut m’occuper j’ai du temps devant moi, et si rien ne se passe, je ne me voyais pas juste après mon trépas, si la mort est ainsi à devenir voyeur, Je regarde des gens à travers une prise, tous les points électriques me servent de serrure, la plupart sous les draps, d’autres devant la télé, certains poussent des cris je reconnais les bruits des gestes de l’amour, toutes ces vies différentes, à cette heure de la nuit, je ne connais personne, ici ils se chamaillent, plus loin elle est au lit, lui sur le canapé à regarder un match, là je suis chez des vieux, chacun dans une chambre, il est en train de ronfler elle se bouche les oreilles et regarde en pleurant les pages d’un album, mon trépas va être long avec ces horizons.
D’un seul coup ça me tire, je reviens en arrière, je suis dans le courant je reviens sur ma flaque l’arrosage s’arrête je n’ai plus de passage je suis au point de chute à hanter mon trépas.
C’est ainsi tous les jours, c’est ainsi toutes les nuits, quand le temps est humide j’ai droit à un peu plus de sorties électriques, ça dure depuis des mois peut-être des années, mais j’ai perdu le fil à compter les journées et les nuits de voyage. Regarder par les trous, par les fils d’énergie, les gens venir, partir, tous ceux qui vivent ici, je découvre des vies que je ne connaissais, certains que j’ai croisé dans une vie antérieure, et d’autres qui arrivent tout autour de ma mort.
Je n’ai plus à rien à faire, j’ai fini de penser à mon utilité, il me reste le temps de pénétrer ces vies, d’apprendre à les connaître et de considérer, du temps de mon solide que j’avais dédaigné, des pleins de sentiments, des gens qui s’apprécient, des gens qui s’accompagnent pour supporter leur vie, j’ai fini égoïste j’apprends à me changer, je ne peux plus faire mal, autant s’intéresser.
Je n’ai rien à donner, je n’ai plus les moyens devenu étincelle j’ai découvert des vies, je me suis attaché à pouvoir les aider, comme chez ce jeune couple, lui devant la télé devant les matchs de foot, elle au lit l’attendant, j’ai coupé le courant plusieurs fois certains soirs, ils se sont retrouvés, se cherchant dans le noir, je me suis retiré quand ils se sont aimés.
Il y avait aussi ces deux personnes âgées, murées dans le silence, ils ne se parlaient plus, j’ai remonté les fils des chargeurs téléphone, envoyé quelques mots comme s’ils venaient de l’autre, ils n’ont jamais compris de qui venaient les phrases, ils se sont mis à rire, la glace était brisée.
J’ai le gentil souvenir d’un vieux monsieur sans âge, il s’était isolé du reste de sa famille, n’osant leur avouer ses ennuis pécuniaires, on allait le virer pour défauts de paiements. J’ai fouillé ses dossiers en remontant le fil, envoyé des copies comme une petite erreur. Ils ont tous appelé et se sont déplacés, ils venaient de comprendre sa fierté mal placée, ils ont tous proposé de loger l’indigent, ça c’est fini en larmes, je ne savais plus faire.
J’ai bien aimé cette fille, au moins elle a su faire, un peu avec mon aide, je n’en suis pas peu fier comme un vieux souvenir d’un passé peu glorieux.
Certains soirs elle partait, revenait au matin les yeux plein de fatigue d’une nuit agitée, je n’avais rien à faire elle avait l’air heureuse, ce que je supposais. J’ai compris un peu tard quand un jour par hasard, elle éclate en sanglots en regardant son phone. Je ne pouvais rien lire, je ne saisissais pas ce qu’elle cherchait à voir, il fallait qu’elle le charge pour que je puisse voir, mais là j’ai un problème, c’est une charge magnétique et je ne peux rien faire pour entrer sans un fil. Quand elle le pose sur socle, je coupe le courant, trois ou quatre fois de suite, j’espérai qu’elle le fasse avec un câble normal qu’elle en possède encore. En ouvrant un tiroir, elle en sort un chargeur, je deviens son intime et je me mets à lire, et là je comprends tout. Pas mal de temps plus tôt j’avais le même langage, un SMS bref pour dire que je suis là et qu’elle peut arriver, rien de plus en retour, même pas un mot gentil, je sais comment agir avec ce personnage, je l’avais côtoyé, je sais quoi lui répondre et j’efface mon message. A chaque fois qu’il appelle, je clos la sonnerie, à chaque fois qu’il écrit, je supprime le mot, je prends sur mon état les abonnés absents. Elle était sous la douche quand la porte a sonné, elle ne peut donner suite. Il est resté un temps, soit il tente d’appeler, j’ai fait ce qu’il fallait, soit il tente le code de son appartement et je fais la même chose, mais je suis bien conscient que je ne peux pas rester, je n’avais pas prévu qu’il vienne la voir chez elle, du temps de mon vivant je ne l’aurais pas fait, serait-il mieux que moi ?
Elle sort pour se sécher, je remets tout en place, elle lui ouvre la porte, il lui demande pardon, elle se met à pleurer, il la prend dans ses bras, dehors le temps est sec, il est temps de partir.
Une des dernières fois que je suis repassé, ils étaient enlacés tous les deux dans son lit, je crois qu’il vit ici jusqu’à une prochaine fois, la vie est un courant qui ne s’arrête pas.
Depuis j’ai aperçu, mais je ne crois en rien, une porte tout en haut, un passage tout en bas, je suis bien au milieu, j’adore le purgatoire.

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14 Commentaires
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Mathieu Jaye
4 années il y a

10 minutes de lecture, c’est déjà bien !
J’ai trouvé quelques petites coquille effectivement ?.

Mathieu Jaye
4 années il y a

Cependant, j’apprécie fortement ton histoire ! ?

Alvyane Kermoal
4 années il y a

Je viens de lire, sans analyser mdrrr en exploit pour moi. J’ai vraiment plongé dans l’histoire pour devenir tout aussi électrique, esprit qui se change et offre ce qu’il n’a pas fait de son vivant.

J’ai souri, j’ai eu des émotions qui m’ont traversé. Pour les fautes, je ne sais pas, je ne suis pas très bonne, mais cela ne m’a pas gêné.

Alvyane Kermoal
4 années il y a

Michel Wine, j’aime bien cette faculté de créer de peu. Ne surtout pas se limiter. 😉
Il n’y a aucune honte à écrire de l’érotisme, tu en as même dans une plume. J’en aime sa classe et sa délicatesse, même si on considère que c’est désuet.

Alvyane Kermoal
4 années il y a

j’avais cru le sentir, mais n’est-ce pas cela la magie de l’écriture ? Cette sensualité, cette beauté que l’on peut exprimer sans le faire "exprès" 😉

Alvyane Kermoal
4 années il y a

Tu me donnes une idée 🙂

Équipe WikiPen
Administrateur
4 années il y a

Bonjour Michel,
Félicitations pour votre participation au concours !

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