Phoenix – Trente ans déjà que Francis Fukuyama décrétait hâtivement la Fin de l’Histoire. Tout juste les derniers éboulis du Mur étaient-ils pelletés que notre prophète voyait l’heure arrivée de l’avènement d’une concorde mondiale où, pensait-il, le globe allait communier autour d’un bel et nouvel aujourd’hui ordonnancé par la démocratie et le marché (à moins que ce ne soit l’inverse). Tout le reste, les grands soirs, les gueules de bois, les diktats et autres évangiles étaient, comme le siècle, en bout de course, finissant. Ainsi, Francis donnait-il raison à Ronald et Margaret qui, une décennie plus tôt, avaient assené que non et non, il n’y avait décidément pas d’alternative. Fin de discussion. Certes, en réaction à cette promesse d’une aube nouvelle, il y eut bien quelques rebelles qui, à l’instar de Samuel Huntington, répliquèrent que le monde n’en avait point fini de tourner et qu’il y aurait longtemps encore des princes et des gueux, des étoiles et des trous noirs. Quand on y songe, l’annonce de Fukuyama était triste à mourir. Pas à cause de sa foi béate en l’homme ou son marché, mais par le nouveau mur qu’elle nous opposait et qui fermait la porte à tous les possibles, aux lendemains qui chantent. Aujourd’hui, mardi 22 février 2022 est un joli mot. Malgré tout. Le 22.2.2022, joli palindrome. Joli malgré les bruits de bottes et la grenaille qui s’abat sur l’Est de l’Europe et malgré les cinglés qui éructent une parole rance. Non seulement l’Histoire n’est pas finie mais elle bégaie. Tels les phœnix renaissant de leurs cendres, Pierre le Grand et Ivan le Terrible d’un côté, Colomb de l’autre, inspirent les maîtres du monde de ce début de millénaire. Sans oublier le Maréchal chez l’un des aspirants chef gaulois Partout, les peuples semblent incapables d’écrire une suite digne à leur roman national. A la hauteur des attentes des enfants du siècle.
Reviviscence – Nous avons la chance de vivre sous un ciel mesuré, loin des terres brûlées ou glacées, entre deux mers, à l’abri entre des sapins vosgiens et des ifs méditerranéens, des cirques et des marais, des paysages où tournent d’élégants moulins d’acier et, çà et là, des cathédrales à bons dieux et de longs rubans d’asphalte qui relient nos points de chute. Le tableau est joli dîtes-vous ? Questions de point de vue et de point de vie. Tous les cinq ans, nous choisissons un jardinier (il faudra entendre qu’une jardinière n’est pas qu’un pot de fleurs…) qui promet de modeler le paysage à sa guise avec cinquante nuances de gris. Pointilliste, animalier ou parfois vulgaire barbouilleur, à petites touches ou muni de balais brosses. Depuis que nous sommes enfants, ce grand pré où nous nous ébattons connait tour à tour les frimas, le regain, l’ombre qui s’allonge au zénith et, enfin, la jolie révérence de la feuille qui tourbillonne et s’abandonne au sol. La ronde des saisons, inexorable. Cette fois encore, voilà qu’avec la fin-février, l’hiver pâlit sous notre tropique et que, d’un jour à l’autre, s’opposent à la nuit quelques minutes d’ensoleillement supplémentaires. D’ici, de là, faune et flore émergent de longs mois d’une hébétude engourdie et régénératrice. Quant à nous, cette fois, le doute est là. Au terme de deux longs hivers où nous sommes restés terrés dans nos confins, où nous n’avons point quittés nos masques, avons mis des barrières à tous nos gestes et nous sommes pliés docilement au pistage et dépistage, allons-nous savoir sortir à nouveau le nez au vent et renifler le printemps et ses hirondelles ? Peut-être nous faut-il y aller doucement, à petits pas, taupe aveuglée au sortir d’une galerie longue et sombre. Peut-être nous faut-il réapprendre le goût des autres, la douceur de la peau à baiser et la simplicité de la main tendue et serrée, gestes tendres et affectueux qui nous font les jours bons. Peut-être nous faut-il, au premier chant du coucou, nous laisser aller, caressés par les premiers rayons qui, n’en doutons pas, seront aussi doux dans ce monde de l’après.
Je suis fan, quel talent!
La fin de l’histoire ou la pensée unique,contre le choc des civilisations.
Nos petites décennies ne sont rien à l’échelle de l’histoire qui est éternel recommencement des mêmes erreurs.