Aujourd’hui est un joli mot, chronique de l’an 22 (3/12)

3 mins

Circonspection – Combien sont-ils ? Soixante mille si l’on s’en tient à ceux qui font notre pain quotidien, de l’art de converser avec son prochain jusqu’à l’appréhension des mondes, qu’ils soient confidentiels, fantasmés ou savants. Dans une vie, à combien d’entre eux avons-nous recours, ne serait-ce qu’une fois, pour justement nommer tout ou son contraire, questionner, nuancer ? Si peu. Si peu de mots dits, tant par ignorance que par paresse. Ils sont petits, alambiqués, parfois composés ; simple comme le bonjour ou de formes rares, archaïques, régionales ou dialectales. Familiers du caniveau ou chéris des salons feutrés. Ils se tiennent tous là, ordonnés dans des dictionnaires empoussiérés. Il y a des millénaires de cela, des hommes s’ingéniaient à mélanger des pigments pour crayonner le monde tel qu’il était, multicolore, sur des roches caverneuses. Ils avaient le souci de l’esthétique et tout autant du réel. Aujourd’hui, alors que notre palette est infinie, nous nous limitons bien souvent à une pensée binaire : le bien et le mal, le masculin et le féminin, l’instant et l’éternité, le corps et l’âme, le 0 ou le 1 comme si nos 100 milliards de neurones n’avaient d’autres combinaisons que celle, unique, des systèmes informatiques. Jamais le monde n’a été aussi tortueux, complexe, brouillé et incertain et voilà qu’on nous somme de répondre par oui ou par non. Si l’en-même temps a bien fait sourire, le tout ou rien nous ferait juste pleurer. Gauche ou droite ? Blanc ou noir ? Apprenons plutôt les cinquante nuances de gris : taupe, anthracite, perle, acier, argent, tourdille, tourterelle, fer, bistre, ardoise… Alors aujourd’hui sera un joli mot. Ou nous appellerons un chat, un chat. Mais où nous saurons puiser dans le bocal aux mots pour jauger les cœurs et les têtes, panser les plaies et les cabosses. Savoir à nouveau tourner sept fois nos langues…

Ephémère – Un message qui arrive comme ça, à 8h43, ce mercredi 14 mars. Entre les notifications guerrières et le rappel à l’ordre de Doctolib pour faire cesser une toux tenace. Car il en va ainsi : des hommes tombent sous les bombes pendant que d’autres s’enrhument. Ne croyez donc jamais au malheur des hommes. Demandez-leur seulement s’ils peuvent dormir encore. Si oui, tout va bien ! Cela suffit. Voilà ce que disait Céline qui s’y connaissait en misères humaines. Ce message donc, que m’envoie mon Amie et qui arrive comme un cheveu sur une soupe de désolation : « bon Printemps des Poètes ! Cette année, la thématique est celle de l’éphémère. » Des images me viennent pour dessiner le frêle, les lucioles, de somptueux éclats : le sourire de cette femme sur ce passage piétonnier, un silence du soir sous les premières fleurs des cerisiers du regain, le tintement de mon verre avec celui de l’artiste, mon bravo à moi et son merci à lui, cette peur soudaine que ma vie ne soit qu’un tout ça pour ça, ces secondes où le corps jouit, fourmille et s’électrise dans l’au-delà de soi, la première gorgée de whisky après une semaine de chinoiseries, ces pages griffonnées qui, tels le flux et reflux, soulèvent, révèlent et tentent d’esquisser l’invisible. Et puis, aussi, l’hirondelle et le bourgeon, les instants rares où je les prends en garde. Le temps de me dire cela puis, j’ai rouvert le cahier rouge. Celui de mes premiers écrits, à l’âge des rimes au stylo appliqué. Croire encore aux cigales / C’est régal / Et puis Chagall / Pour que dalle / Lune-soleil / Sans pareil / Croire encore aux sirènes / De l’Eden / Et puis les phalènes / Pas la peine / A leur mystère / L’éphémère… C’était le 25 mars 1995, j’avais 30 ans. Je me souviens d’heures à chercher le mot, la phrase, une idée du joli. C’étaient de belles suspensions dans mes lundis, de cette époque où j’écrivais le mot bonheur qu’encadré de parenthèses, persuadé que si je le saisissais, ce serait bref comme la queue du Mickey. Longtemps après, j’aligne toujours voyelles et consonnes, pour retenir ce sable qui file entre les doigts, silice qui, ces jours derniers, nous est arrivée de par-delà l’océan, de l’autre rive.

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1 Commentaire
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bbbbbbb ccccccccccccc
bbbbbbb ccccccccccccc
2 années il y a

Un texte peu commun, et j’adhère à toutes les idées.
Un style poétique ou au vitriol, lucidité et constat amer.

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