À son réveil, il se retrouva dans son lit, bien au chaud, et le jour venait de se lever.
Ne sachant pas vraiment ce qu’il s’était passé et ressassant les derniers événements, il haussa les épaules en concluant que Nyx avait sûrement raté son sort.
Il se leva, pris d’une faim dévorante, s’habilla et descendit à la cuisine afin de remplir son estomac qui criait famine.
En arrivant dans la cuisine, il trouva ses parents en grande discussion avec Nyx. Lorsqu’ils virent le jeune homme, ils restèrent silencieux, ce qui ne présageait rien de bon pour Durlip.
La dernière fois que ses parents l’ont regardé en silence, il avait été puni pendant un mois après avoir cassé une cornue dans laquelle son père faisait une expérience qui durait depuis des semaines.
En y regardant de plus près, il vit que ses parents semblaient inquiets et Nyx mal à l’aise.
“Bon, qu’est-ce qu’il se passe ?” demanda-t-il abruptement.
Nyx prit la parole : J’ai d’abord quelques questions à te poser, ensuite nous verrons ce qu’il en est. Allez, je t’écoute !
Hier, que te souviens-tu ?
Je me souviens que tu as commencé à lancer ton sort, j’ai eu très mal à la tête et je me suis évanoui.
Bien, je vais lancer un sort mineur, je veux que tu me dises ce que tu ressens pendant que je le fais.
Elle commença à incanter dans une longue et calme litanie tout en fixant Durlip.
Dès le début, Durlip sentit ce flot de pouvoir se déverser en lui, mais plus lentement et beaucoup plus maîtrisé que la dernière fois.
Durlip essaya d’expliquer ce qu’il avait ressenti.
Alors, pour la première fois de sa vie, Durlip vit sa mère pleurer. Elle pleurait à chaudes larmes, mais pourtant son visage n’exprimait pas de tristesse.
Bon, on va me répondre à la fin, qu’est-ce qui se passe ?
Eh bien, disons que tu es spécial.
Mais encore !!! s’impatienta-t-il.
Eh bien, tu perçois la magie, tu es sensible à l’art.
Je dois d’abord t’expliquer certaines choses. Les utilisateurs de la magie sont répartis en trois grandes catégories.
Les deux principales sont, en premier lieu, les magiciens, qui étudient l’art et font en sorte d’apprendre à l’utiliser.
Ensuite, viennent les prêtres, qui utilisent une magie liée à leur divinité tutélaire et dont l’énergie vient de leur prière. Mais ils ont cela en commun avec les magiciens qu’ils doivent passer par une longue période d’apprentissage avant de faire quoi que ce soit.
Enfin, il y a la troisième catégorie, ce sont des lanceurs de sorts innés dénommés ensorceleurs ou sorciers. Ils peuvent lancer des sortilèges comme les magiciens, mais ils n’ont pas besoin de les mémoriser ni d’un livre de sorts. Ils ont un répertoire plus limité, mais ils ont la capacité de lancer encore et encore le même sortilège, un peu comme les sorts propres aux races à fort potentiel magique, comme les gnomes.
Bien souvent, ce sont des descendants de quelque puissante créature, telle que des dragons ou des planaires, qui leur ont laissé en héritage une connexion particulière avec la toile ou un élément en particulier.
Te concernant, je n’en suis pas sûre, mais je pense que tu fais partie de la dernière catégorie.
Durlip éclata de rire.
Elle est bien bonne celle-là, et je serais un descendant de dragon alors ?
Il regarda sa mère et dit : “Maman, petite cachottière, tu fricotes avec les lézards maintenant ? Je croyais que mon ours de papa te suffisait.”
L’intéressée sourit à la boutade.
“Non, rassure-toi, tu es bien notre fils. Il n’y a eu personne d’autre dans ma vie que ton père. Mais ta grand-mère, par contre, ne m’a jamais dit qui était mon père, ce qui lui a valu une mauvaise réputation dans la communauté.
Durlip se rappela que sa grand-mère faisait souvent l’objet de regards en coin lorsqu’elle sortait faire ses emplettes, mais jusqu’à maintenant, Durlip n’y avait jamais prêté attention, d’autant plus que sa grand-mère était plutôt farfelue.
Celle-ci aimait rassembler des objets hétéroclites sans aucune utilité et sans chercher à leur en donner une, les faisant trôner dans sa maison au milieu de tout un fatras accumulé au fil des ans.
De plus, tu as sûrement remarqué un détail particulier chez moi dont tu as hérité !
Durlip comprit immédiatement qu’elle faisait référence au blanc de ses yeux qui, chez eux deux, était de couleur ambrée. Ce détail passait relativement inaperçu car les gnomes vivent dans la pénombre presque toute la journée, mais en plein jour, cela marquait immanquablement leur vis-à-vis, souvent mal à l’aise devant un regard si pénétrant.
Narrateur “Ça explique le charisme de l’ahurie,” dit-il en plaisantant, “parce qu’un nabot normalement ça n’en impose pas des masses, surtout un raz motte qui ne dépasse à peine le mètre. Mais là, si c’était une elfe, elle pencherait sous le poids de sa heu… personnalité, vous voyez !”
“Oui, je vois, mais de là à dire que l’on descend d’une puissante créature versée dans les arcanes, il y a de la marge, non ?” demanda Durlip.
“En effet,” répondit Nyx, “mais peu importe, en fait. L’important est que tu as un don particulier et que tu dois le maîtriser pour ne pas faire de mal à ton entourage.
Tu as une grande affinité avec la magie, et dans peu de temps, celle-ci risque de se manifester de manière aussi imprévue que dangereuse.
La plupart des ensorceleurs le découvrent lorsqu’il est trop tard, après s’être mis en colère et en provoquant une catastrophe, tant pour les autres que pour eux-mêmes. Ce genre de pouvoir peut te tuer si tu ne le maîtrises pas.”
“Allez bon, quel intérêt d’avoir des pouvoirs à faire trembler les royaumes si ça me tue à la première crise de nerfs,” railla Durlip.
“C’est pour cela que je viens de parler avec tes parents. Il faut que tu ailles chez mon père pour apprendre à maîtriser tes talents encore latents, au moins pour en garder le contrôle, si tu ne souhaites pas t’engager dans la voie de l’art.”
Durlip comprit enfin la gravité de la situation. Il n’avait jamais été séparé de ses parents, et il n’avait jamais quitté la ville à plus d’une journée de route. Cependant, il savait que Nyx avait parcouru les routes pendant cinq jours pour venir vivre avec eux.
Soudain, pour se rassurer, il lança : “Bah, c’est l’histoire de quelques jours, le temps de régler cette affaire
Je suis désolée, mais même si tu es particulièrement doué, cela risque de prendre plusieurs années, voire davantage en fonction de la puissance de ton don. Je suis désolée de te le dire, mais c’est cela ou prendre le risque de faire du mal à tes proches, voire à toi-même.”
Abasourdi, Durlip se laissa tomber sur le tabouret derrière lui, et soudain un flot ininterrompu de larmes coula de ses joues. Ses parents passèrent des heures à le rassurer et à lui assurer qu’ils feraient le nécessaire pour lui rendre visite, surtout en été lorsque les routes seraient plus faciles à parcourir et que les stocks seraient épuisés.
Ses parents lui dirent à quel point ils étaient fiers que leur fils soit promis à un si bel avenir. Les lanceurs de sorts chez les gnomes sont rares, malgré leur affinité naturelle, car leur nature ne les porte pas vers les longues études nécessaires à la magie. Pourtant, ce rôle est éminemment prestigieux, et ceux qui ont fait leurs preuves sont souvent conseillers à la cour ou occupent des postes d’officiers dans les armées.
Sa nature joviale l’emporta sur la tristesse de quitter ses parents pour une longue période, et il se mit à rêver d’une vie aventureuse pleine de découvertes.
Cependant, il ne quitta pas immédiatement ses parents. L’hiver était bien installé, et les routes n’étaient pas praticables. Nyx avertit son maître avec un sort de communication mentale dont les émanations lui donnèrent un bon mal de crâne, mais Calaster était ravi de l’accueillir au printemps prochain. Celui-ci se morfondait seul dans sa tour. Contrairement à la plupart des magiciens, il aimait la compagnie et préférait enseigner plutôt que de passer ses belles années le nez dans des grimoires poussiéreux à la recherche d’un quelconque sortilège antique.
Nyx rassura Durlip sur son maître en lui expliquant qu’il n’avait rien des stéréotypes des magiciens. De nature joyeuse, le mage Calaster était un maître patient et passionné qui aimait la magie pour elle-même, sans pour autant rechercher le pouvoir. Il préférait ce qu’il appelait la “belle magie”, celle qui devient utile pour les autres et qui crée plutôt que celle qui détruit.
Le portrait de son futur précepteur rassura un peu plus le jeune garçon, qui se résolut à donner le meilleur de lui-même dans ses études afin de rendre son apprentissage le plus court possible.
Les adieux entre Durlip et ses parents furent déchirants. Les larmes inondaient les visages de tous les membres de la famille. Durlip se serra contre ses parents, les serrant aussi fort qu’il le pouvait. Les mots étaient superflus dans ce moment de déchirement, mais les regards remplis d’amour et de fierté suffisaient à transmettre tout ce qu’ils ressentaient.
Son père, les yeux embués de larmes, lui offrit une ceinture spéciale munie de nombreuses poches. C’était un cadeau précieux pour un apprenti magicien, car il lui permettrait de stocker soigneusement ses composants magiques et ses parchemins. Chaque poche avait été conçue avec minutie pour faciliter l’accès aux différents objets nécessaires à la pratique de la magie. Durlip sentit la chaleur de l’amour paternel dans ce geste attentionné.
Sa mère, le visage teinté de tristesse mêlée d’espoir, lui remit un livre ancien légué par sa grand-mère. Le livre était mystérieux, ses pages remplies de symboles et de runes indéchiffrables. Personne ne savait pourquoi ce livre avait été transmis de génération en génération, ni ce qu’il contenait réellement. Pourtant, il représentait un lien profond avec les ancêtres de Durlip et la magie qui coulait dans ses veines. Sa mère lui expliqua l’importance de cette relique familiale, même si son contenu restait un mystère. Elle lui fit promettre de le conserver précieusement et d’essayer de percer son secret au fil de son propre parcours magique.
Le jour du départ arriva enfin. Durlip prit place dans une calèche inconfortable qui allait l’emmener jusqu’à la tour du magicien Calaster. Les cinq jours de voyage s’annonçaient longs et éprouvants. La calèche grinçait et secouait violemment à chaque cahot du chemin accidenté. Les secousses incessantes rendaient difficile le sommeil, et chaque nuit, Durlip se réveillait avec des courbatures et des muscles endoloris.
La nourriture était modeste et les conditions de voyage rudimentaires. Les routes étaient souvent boueuses et glissantes, ce qui ralentissait le convoi. La calèche était également surchargée avec les affaires de Durlip, les bagages étant empilés dans un espace exigu. Malgré ces inconforts, Durlip gardait en tête la vision de sa future vie d’apprenti magicien, ce qui lui donnait la force de persévérer.
Finalement, après cinq jours interminables, la calèche arriva à destination. Durlip descendit de la calèche, sentant ses jambes flageoler après le voyage épuisant. Devant lui se dressait la majestueuse tour du magicien Calaster. C’était un bâtiment imposant, aux pierres grises et orné de symboles magiques. Durlip sentit à la fois une pointe d’excitation et une certaine appréhension à l’idée de commencer sa formation sous la tutelle de ce célèbre mage.
Il prit une profonde inspiration, resserra sa prise sur la ceinture offerte par son père et tint fermement le mystérieux livre de sa grand-mère. Le voyage avait été éprouvant, mais il était prêt à affronter les défis qui l’attendaient. Durlip gravit les marches de la tour avec détermination, prêt à entamer son apprentissage et à percer les secrets de la magie.