Apprendre à s’oublier…

5 mins

Plus rien ne sera comme avant et la France sera définitivement métamorphosée. L’hexagone, aux allures  géométriques, ne sera plus qu’une figure informe et chaotique, une masse semblable à une bouse de bovidé dans laquelle on marche par inadvertance, lors d’une belle promenade de fin d’hiver, alors qu’on fuit les mouches. Ce 1er mars 2020 sonnera comme une alarme, anesthésiant une civilisation des plus sophistiquées tant sur le plan technique que sur celui des innovations. La planète bleue vient, en effet, d’être engloutie, laissant les astronautes de la base k quatre abasourdis par un tel bouleversement.

Lydia demeure bouche bée devant un tel spectacle de désolation, au point de laisser filer sa compotée d’asperges vertes, régime que prodigue l’Agence Spatiale afin de lutter contre la constipation occasionnée par l’absence de pesanteur dans les confins infinis de l’espace sidéral. Cela faisait certes des mois qu’elle se rendait à l’aspirateur hygiéniques de la station, vestiges d’une époque terrienne depuis longtemps révolue, car on avait envoyé le vaisseau bien avant les décisions gouvernementales prises en faveur de l’écologie.

« C’est la faute à ma mère », se surprit Lydia à penser, en se remémorant les désagréments que celle-ci avait naguère subis : une voisine d’étage indélicate de l’immeuble avait en effet l’accoutumée de jeter ses détritus dans la cuvette des toilettes. Elle y précipitait force poulets, salades, restes de croûtes de raclette aux flageolets… Vraiment, le moins que l’on puisse dire, c’est que tout y passait ! L’accumulation de tels immondices dans un cloaque aussi réduit avait fatalement fini par boucher les canalisations, si bien que la mère de Lydia, subissait le spectacle  malodorant d’une baignoire qui se remplissait de matières fécales. Elle habitait l’étage du dessous : toutes les ordures, par la force de gravité, tombaient dans les moindres interstices de sa maisonnée. Jeanne, pour se débarrasser de cette incommodante sentine, avait dû prendre ces détritus mêlés de suie à la main, les récoltants à la sortie d’un tuyau moribond, exhalant des odeurs âcres. Elle allait en vomir, mais sa dignité exigeait un tel sacrifice ; à mains nues elle prenait cette mélasse afin de l’évacuer par n’importe quel trou qui pouvait l’accueillir. Mais, après une visite de mise au point fort peu courtoise chez l’indélicate voisine, Jeanne avait décidé de militer dans le nouveau parti du retour à la vie naturelle, particulièrement attentive aux problèmes liés au traitement des déchets humains. Elle avait la naïve conviction que ce parti préserverait sa tapisserie toute neuve des odeurs putrides qui imprégnaient alors son appartement à cause de ces gens venus d’ailleurs qui habitaient l’étage jouxtant le sien, alors en plus si on ajoutait le bruit, cela lui était plus qu’insupportable et elle ne pouvait que devenir folle, selon le mot d’un politicien du temps jadis dont elle avait subi les assauts alors qu’elle passait des plats lors d’une convention dans sa ville septentrionale…

Lydia laissa alors son objet du septième ciel sur le côté : elle était prise de nausées. Depuis quelques temps, en effet, de nombreux objets célestes avaient fini par percuter son aéronef : la libéralisation de l’espace ayant ouvert la voie à toutes sortes d’artéfacts dangereux flottants dans le vide sidéral. En pensant à sa mère, Jeanne, elle finit par avoir le mal de « mère ». Comme dans une chambre, telle une adolescente en mal de plaisirs charnels (on est bien seul dans l’espace), la pièce qui lui était réservée formait des amas d’ustensiles plus ou moins révélateurs de sa personnalité. Elle vit sa bombe à raser traverser la pièce, tandis que ses hygiéniques tampons maculés de sang se collaient aux vitres épaisses de la station. Toute sa féminité flottait lui renvoyant l’image d’un miroir peu flatteur. Elle ne put alors s’empêcher d’éructer.

Sur Terre, cela faisait longtemps que le parti au pouvoir, élu à quelques voix près, avait promulgué des mesures pour éradiquer la pollution galopante d’un monde considéré comme inconscient. C’est pourquoi la suppression des lieux d’aisances individuels et particuliers avait été proclamée. Mais, finalement, cette décision pour limiter les déjections humaines avait provoqué de funestes conséquences, si bien qu’on se décida à éliminer tous les animaux producteurs de matières fécales. En même temps, comme disait l’autre, cela supprimait l’alimentation carnée au profit de la végétale pourtant plus productrice de méthane comme l’a toujours signalé le règne des grands herbivores. Mais qu’importe, le symbole passait largement l’efficacité ! En tout cas, la chose n’avait guère eu les effets escomptés car la population fut contrainte de se soulager dans la nature. Chaque jour, chaque nappe phréatique s’emplissait de déjections malsaines que ne traitaient plus les centres d’épuration. Le lisier finissait par s’accumuler et par retourner à la mer où il devenait un engrais nourrissant pour une algue maronnasse de la fosse océanique devenue septique. Jeanne avait beau regretté son choix en pensant à sa fille et au monde qu’elle lui lèguerait, mais elle était convaincue qu’elle était alors plus heureuse là où elle errait. D’ailleurs, à Dunkerque, où Jeanne vivait, l’odeur des égouts était si forte et nauséabonde que les habitants finissaient par déplorer l’époque du souffre à l’odeur d’œuf pourri que déversaient les usines. Patrick Bruel à cause de ces événements avait même été contraint d’annuler le concert du Kursaal qu’elle avait payé à prix d’or : « ben vrai, Jeanne se dit-elle alors, avec la faillite de Thomas Cook, cela fait mille euros dans l’sac ». Elle ruminait comme une vache malade à son arrêt de bus près de la piscine Asseman.

Pendant le trajet du retour, Jeanne décide de compulser son courrier journalier. Elle décacheta une lettre officielle des autorités : pour éradiquer le phénomène inquiétant de la prolifération des algues, il était désormais décidé que chaque habitant devrait se nourrir par perfusion liquide, l’anus devenu inutile, tout autant que les restaurants sur la digue, serait cousu par des infirmières diplômées.

Lydia, quant à elle, vit ses heures de gloire derrière elle. Elle sentait la fin de la civilisation venir. Elle avait 38 ans. Sa vie était derrière elle. Finissant par tituber sur son vomi, elle pensa à ce voisin qu’elle avait toujours aimé, quand elle n’avait que 18 ans, sur un malentendu d’une « boum ». Ce fut la première fois et la dernière qu’elle connut le plaisir charnel, un soir de carnaval au « Chat noir ». Les effets de l’alcool s’étant estompés, elle préféra alors passer ses plus belles années de jeunesse à l’université du littoral pour acquérir de brillants diplômes.

Pour oublier, elle écouta la « nuit de Saint Jean » de Patrick Bruel, mais elle savait qu’il fallait prendre une décision : les astéroïdes ne lui laissaient aucun choix…

Jeanne se rend à la clinique. La salle bondée augure qu’il lui faudra attendre longtemps avant de pouvoir se faire ligaturer l’anus. Mais c’est alors qu’elle rencontre Chantal, surnommée la Pouffiasse, qui osa la devancer de plusieurs places. Devant un tel manque de respect, Jeanne se mit à hurler : « Il faut un système de tickets ici ! Cette salope est passée devant moi, en plus c’est une malpropre ! Elle chie encore dans des cabinets ! En plus mon chien doit faire caca à cette heure-ci, ben vrai alors… »

Jeanne n’eut pas le temps de finir son esclandre. Un tsunami marronnasse recouvrit la ville, défigurant la côte à jamais. C’est alors qu’un astéroïde, un étron de l’espace comme disent les astronautes, percuta le système de navigation si bien que la station fut propulsée dans l’espace noir et lointain.

Alors que la Terre suffoquait, Lydia observant sa vie s’éloigner à une vitesse vertigineuse, finit par perdre connaissance, de sorte que, par peur et par relâchement, elle s’oublia : c’était vraiment bien la première fois qu’elle déféquait et de manière si abondante, en un lieu aussi aseptisé.

Elle se sentit soudainement régresser. Astronaute de renom, elle était devenue un bébé sans couche, les fesses mouillées de matières fécales. Pourquoi n’a-t-elle jamais eu une vie des plus faciles, une belle b…, non un mari et des enfants ? Pourquoi avoir voulu une vie si dissolue dans la complexité de son époque ?

C’est alors qu’elle eut l’idée de changer de culotte.

Mais elle sombra avant d’avoir pu exécuter son plan. Plusieurs jours plus tard, son vaisseau accosta dans l’atmosphère haute d’une planète bleue…. Se méprisant sur celle-ci, elle ouvrit le sas de la navette. Lydia prit une bonne lampée de cet air inédit : elle suffoqua immédiatement sous l’odeur de méthane qui lui rappelait vaguement les flatulences intempestives du chien de sa mère, Racer, lorsqu’il avait mangé le saucisson à l’ail que Jeanne lui avait donné malgré son interdiction formelle. Pourtant, ce méthane n’était pas celui des géantes bleues Neptune ou Uranus : c’était la Terre sur laquelle elle avait fini par être projetée. Elle reconnut un instant, dans son délire, la plage de son enfance, perdue dans un brouillard puant, promesse d’une nouvelle vie extrémophile.

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2 Commentaires
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Mathieu Jaye
4 années il y a

Tu devrais peut-être ajouter des espaces entre les paragraphes pour rendre le texte plus léger.

Équipe WikiPen
Administrateur
4 années il y a

Bonjour Rémy,
Ton Pen est ajouté au concours !

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