Cauchemar – 36

3 mins

                            VINGT-SEPT — ALEXANDRE (suite)

    À la fin des cours, Maëlle me raccompagna chez moi, notre relation s’est beaucoup amélioré depuis notre dispute, car elle m’a pardonné de lui cacher des choses, elle ne peut pas se séparer de moi, elle a trop besoin de m’aider. Nous discutions en mangeant des gâteaux sur le canapé, mais nous n’abordions pas le sujet de mon déménagement, car nous savions que je ne pourrais quitter l’appartement que le lendemain.
    Alors que nous parlions de la nourriture à la cantine, son téléphone vibra. Elle le regarda plus par réflexe que par intéressement, mais en découvrant la nature du message, elle se dressa d’un bond. Je la regardais, inquiet et curieux.
    – Maman t’invite à dîner ce soir, lâcha-t-elle.
     J’étais consterné. Mme Stern voulait que je passe la soirée en sa compagnie, ce qui signifiait qu’elle n’avait pas fini de me tester.
    – Mais je ne suis pas préparé, protestai-je.
    – Ce n’est pas grave. Maintenant, il faut que tu les habitues à ta vraie personnalité.
    – Quoi ? Mais ils ne vont plus m’apprécier.
    – Mais bien sûr que si ? s’exclama-t-elle, pourquoi ils ne t’apprécieraient pas ?
    – Eh bien, parce que je suis sombre, mélancolique, peu bavard, et souvent de mauvaise humeur.
    – Oui, mais tu es aussi courageux, responsable, tu racontes bien les histoires, et surtout, tu es différent. C’est ça qui intéresse ma famille, c’est ça qui m’attire, tu es différent et tu ne t’en caches pas !
    Elle avait peut-être raison, mais je n’étais pas convaincu. Je racontais bien les histoires ? Mais d’où est-ce qu’elle sortait ça ? Mais bon, de toute façon, je n’avais pas le choix, je devais me rendre à ce dîner et donner le meilleur de moi-même.

    Devant la porte d’entrée des Stern, j’inspirai un grand coup et fis un signe de tête à Maëlle pour lui indiquer que j’étais prêt, elle sonna.
    Je m’attendais à voir la silhouette sévère et longiligne de la propriétaire mais, à la place, ce fut le sourire réjoui de Nathan qui m’accueillit. Je répondis à son sourire presque malgré moi, sa joie était communicative.
    Lorsqu’il ferma la porte derrière nous, je remarquai que le hall était vide. Maëlle, qui s’en était aussi aperçu, jeta un regard interrogatif à son frère qui lui répondit par une série de signes.
    – Ils nous attendent dans le salon, me murmura-t-elle dans l’oreille.  
    Je hochai la tête distraitement, trop concentré à garder mon calme. Nathan, qui avait perçu mon trouble, s’approcha de moi, me prit la main et la serra en me souriant pour me souhaiter bonne chance. Et il ouvrit la voie vers le salon.
    Le couple était assis sur l’un des canapés à droite, ils nous attendaient et se levèrent à notre arrivée. Nous échangeâmes les politesses et nous nous assîmes, Nathan s’installa à côté de son père pour pouvoir observer mes réactions tandis que je m’assis à côté de Maëlle sur l’autre canapé.
    – Bon Alexandre, tu as appris la nouvelle ? demanda gaiement M. Stern.
    – Oui. Je vous remercie de prendre cette décision, répondis-je.
    – C’est vrai que j’ai mis un certain temps à me décider, concéda Mme Stern.
    – Ce qui est tout à fait normal, répliquai-je.
    Elle sourit.
    – Bien. Je constate que tu as encore ton plâtre. Combien de temps le garderas-tu ? demanda le patriarche.
    – Je l’enlèverai dans deux semaines. Mais je n’ai plus mal maintenant.
    Un silence suivit ma déclaration, personne ne savait quel sujet aborder.
    – Et si nous passions à table, proposa finalement Mme Stern.
    Une fois installés (les places étaient les mêmes que la dernière fois), on servit l’entrée, qui était une salade de pomme de terre délicieuse. La conversation était tranquille et personne n’abordait le sujet de l’emménagement. Le plat principal n’était pas aussi consistant que la dernière fois, c’était du riz avec des épinards et du poisson.
    En voyant Nathan participer activement à la conversation avec des signes, je me promis d’apprendre ce langage.
    M. Stern proposa de prendre du fromage et il en fut ainsi. Je n’aimais pas vraiment le fromage, surtout le coulant, mais j’en mangeai quand même. Le dessert arriva enfin, c’était une mousse au chocolat exquise.
    Nous continuâmes à discuter autour de la table après le repas.
    – Eh bien, remarqua M. Stern, tu es bien silencieux Alexandre.
    – Oui. C’était vraiment très bon et je prends le temps de digérer.
    – Gérer, s’exclama l’homme.
    – Euh… Pardon ?
    – Tu m’as demandé de dire « gérer » alors j’ai dit « gérer ».
    Je ne comprenais pas du tout ce qu’il voulait dire. Heureusement, Maëlle se porta à mon secours.
    – C’est une blague. Tu as dit « digérer » alors Papa a dit « gérer », c’est de l’humour.
    Je venais de comprendre. Mais elle me regardait toujours avec insistance. Alors je feignis de rire, et M. Stern rit avec moi.
    Le reste de la soirée se passa sans incident et il fut l’heure de partir. Ils m’accompagnèrent dans le hall, me dirent « à demain » avec un sourire et je sortis avec Maëlle sur les talons.

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