Accantu

10 mins

J’ai écrit ça sur mon iphone de base, mais je me suis dis qu’il fallait que je laisse ça quelque part, si jamais mon téléphone mourrait. 

Le silence se fait sur la vallée, laissée comme interdite par les événements auxquels elle venait de faire face. Le vent souffle légèrement, quelques minutes après l’apocalypse. Les maisons et leurs volets sont clos, quand elles ne sont pas en ruines. Les feuilles gisent, fraîchement déchirées de leur propriétaire avachi.

Les gens restent cloîtrés chez eux, mais s’ils ne le sont pas, ils ne le seront évidemment plus jamais. La terre est inondée comme elle ne l’avait jamais été, les arbres vivent l’automne avant l’heure. Peut-être même est-ce l’hiver pour certains.

Le sol est noir et boueux, l’air humide et lourd. Des branches massacrées, déchirées comme des feuilles de papier, mourantes, restent gisantes en travers de la route abîmée, crevassée et trempée, à un point tout à fait spectaculaire.

Tout d’un coup, deux enfants sortent d’une habitation, au bout de la rue principale, habillés d’imperméables

Le soleil pointe son nez, méfiant. Les nuages se blanchissent, le monde reprend des couleurs. Les jeunes gens accompagnent le retour à la vie de ce microcosme. C’est une renaissance, le printemps fait son grand retour. Le soleil est de nouveau rayonnant, le vent souffle toujours, caressant doucement les cheveux juvéniles de nos Anges salvateurs en veste de pluie.

Tout le monde est riant, joyeux, extasié. Le dieu Dupa a de nouveau apporté sa bénédiction en cette contrée reculée. Des larmes de soleil pleuvent dans le cœur des locaux.

Des gens sortent de leurs bunkers, recollent des tuiles, enlèvent des branches menaçantes. Certains font le guet, placés sur le toit dans une position de rapace.

Tandis que cette scène se fait, les enfants jouent dehors, et les travailleurs partent voir si tout va bien. Les agriculteurs sécurisent les serres. Les employés appellent l’employeur. Et les instituteurs appellent le directeur. Tout le monde est tendu, méfiant.

Le Ciel, d’un coup, hurle sa rage. Peut-être que sa fille, la Terre, lui a encore fait une misère. Le tonnerre gronde au loin, et les enfants savent ce qui s’approche d’eux. Le soleil retourne dans sa maison blanche avec des volets rouges, tandis que les nuages se font gris et impertinents. Sans aucune pause, les géants grisonnants se rapprochent rapidement des enfants. L’air semble trembler de froid.

Les volets qui s’étaient ouverts se referment aussitôt. Les promeneurs courent dans les habitations les plus proches, où les propriétaires les accueillent d’un air pressé. Les deux enfants lâchent un soupir, font une mine ennuyée, puis s’en retournent chez eux en vitesse. C’est l’au revoir de nos Anges.

Les portes sont closes, le Ciel est complètement assombri. Son enfant l’a vraiment énervé, je pense. Un silence pesant règne sur le vieux village bordant l’océan.

Dans les maisons, on entend des sonorités domestiques. Les télévisions s’éteignent, les radios prennent le relais. Dans les chambres, on entend de la musique. Tous semblent attendre quelque chose, avec peur mais surtout dépit. Et puis de l’appréhension…

Une très grande appréhension à l’approche de ce que tous connaissent si bien.

Voilà qu’un bruit lointain se fait entendre. La voilà. La brise devient d’une violence qui dépasse celle d’une quinzaine de mistrals. Des tourbillons se forment, partout, pullulant comme de l’acné sur le visage d’un adolescent. Les branches jusque-là endormies se relèvent brutalement et dansent tous ensemble leur valse infernale. Les arbres craquèlent, certains trébuchent. Dans certaines foyers, des cris de désespoir se font entendre, tandis que des tuiles rejoignent les oiseaux.

Tout d’un coup, des Icares se manifestent au-dessus des habitations. On les voit voler, mais on sait déjà qu’ils ne seront plus capables de revenir. Ils rejoindront le doux Seigneur et ses culturistes d’apôtres, pour les siècles des siècles.

Oui, c’est fait. L’Apocalypse recommence. Le cyclone revient après une courte pause, encore une fois. Encore une année. De nouveau, des familles déchirées. Des maisons en ruines. Encore, toujours, et à jamais.

Ici, dans ce petit monde, le temps semble toujours être le même. Et la Terre tourne, oui, elle tourne…

                                                           ***

Amelia a 36 ans. Elle est mère de deux enfants, qu’elle a laissé sortir lors d’une des nombreuses Passes.

Chaque mois, la même scène, précédemment décrite, se répète deux ou trois fois, sporadiquement. Le reste du temps, il pleut. Des fois à peine, des fois très fort. Puis il y a un cyclone. Une journée entière de cataclysme divin, une heure de Passe, retour à l’Apocalypse.

Amelia ne vient pas du Village. Elle est née dans une autre île de la Terre.

À une époque, la planète était constituée de pays. 195, a-on coutume de croire, ainsi que six continents. Amelia venait de ce qui, fut un temps, était nommé l’Angleterre. Elle en était partie par goût d’aventure. Il y a treize ans, elle s’était échouée sur l’Île du Village. Ce que les gens nommaient la Corse, fut un temps.

Depuis près de cinquante ans (même si le processus était supposé avoir commencé un siècle avant), le climat avait brutalement changé. Pas à cause des voitures, ni rien. C’était juste la nature qui semblait vouloir reprendre ses droits. Dans les régions fortement pluvieuses, il ne pleuvait plus et dans celles qui étaient menacées de désertification, comme la « Corse », il pleuvait à présent en permanence.

Amelia était née pendant le Grand Chaos. Son père était mort juste avant qu’elle naisse, et sa mère juste après. Ils étaient parmi les militants pacifistes, qui cherchaient à conserver la paix sur Terre, et leur paix s’acheva dans la guerre. Malheureux monde que celui-là ! Elle fut recueillie par ses grands-parents jusqu’à ses dix ans, année où ce fut à leur tour de rejoindre Dieu. Son oncle l’adopta avec joie. Elle termina sa jeunesse, environnée quotidiennement par la mort, dans cette troisième famille.

Elle est très cultivée, capable de résoudre jusqu’aux équations les plus complexes. Elle adore lire, tricoter des écharpes très mignonnes, manger des petits plats préparés par son mari et passer le balai. Pas que cela redore l’image des femmes, elle le sait bien, mais elle le fait plus par ennui que par force. Elle travaille comme factrice.

Elle est mariée avec Andrea.

Ce dernier était de la génération pré-Chaos. Il est dans les environs de la cinquantaine, mais en parait moitié moins. Contrairement à ce que son physique présage, c’est un homme calme, gentil, agréable, serviable. Chose étonnante, il adore cuisiner et faire des tâches ménagères. Malgré les demandes de sa femme, il n’a consenti à lui céder que le balai. Il est patron d’une boîte d’informatique, la seule de toute l’île. Comme il a coutume de dire:

« Si z’avez un blême avé votre PC, hésitez pas à m’appeler, ô fratè ! »

Et cela se vérifie, c’est un excellent informaticien, reconnu de tous (même si on le prend souvent pour un réparateur, étonnamment)

Sa femme est une petite dame brune au visage couvert de taches de rousseur, tandis que lui est un immense gaillard, dépassant deux mètres dix. Il est blond comme du beurre, et en a le caractère tout comme. Ses yeux sont bleus comme la mer autour de leur village.

Ce petit couple a deux enfants,  ceux-là même prénommés Anges un peu plus haut.

Marie, l’aînée, a onze ans. Elle est blonde comme le père, mais c’est bien leur seul point commun, car elle a surtout pris de la mère. Elle est de taille moyenne, d’un physique ordinaire, d’un caractère cependant très provocateur. Elle adore l’humour grivois, et sait exactement comment rendre les garçons fous d’elles. Au delà de cela, rien de remarquable à dire, sinon qu’elle est très populaire au collège où elle va.

Son petit frère, Yuki, de trois ans son cadet, est l’inverse de sa soeur. Cheveux noir de jais qu’il a, en permanence, en épis désordonnés, yeux bridés, noirs et profonds, tout petits.

Et pourtant, Dieu sait qu’il n’avait pas été adopté. Sa soeur l’avait vu naître. Ses parents, et tout le monde sur l’île, l’avait vu naître. Il était, même si cela paraît impossible, le fils biologique d’Amelia et Andrea et le frère tout aussi biologique de Marie.

Seulement, il n’était physiquement pas leur enfant pour un sou. Même mentalement, il tranchait radicalement avec le reste de ses proches. Il n’avait avec eux que le sang de commun, ainsi que le fait d’être une famille soudée, qui s’aimait profondément. La famille avant tout, voilà le slogan du foyer.

Yuki… Ses parents avaient directement vus ses yeux bridés à sa naissance, et ils avaient directement décidé d’un nom convenable pour un Bridé. Pas par racisme, ou parce qu’ils ne l’aimaient pas, non ! Simplement, aucun nom français, corse, arabe, ni rien, ne lui allait. Jean le vieillissait, Rachid le transformait en imbécile, Sacha lui donnait un air d’intello qui ne sait rien. Et c’était comme ça avec n’importe quel prénom.

Et puis, une vieille Bridée, Mama du village, Hina, avait proposé le prénom Yuki, pour que le petit Bridé ait du courage dans la vie.

Les parents, très entousiasutes, remercièrent la vieille dame de tout leur coeur, et ainsi fut le nom attribué à leur fils.

Le petit garçon, pendant quelques temps, n’avait pas aimé son prénom. Et puis, à cinq ans, il avait rencontré la Mama. Elle lui avait raconté cette histoire, et tous avaient approuvés ce qu’elle lui disait. Même sa soeur.

Ils vivent donc en bordure de la rue principale du village, qui file droit depuis le bord de mer au sommet de la montagne.

Ce lieu se nomme Accantu. Personne ne sait l’origine du nom de ce lieu, ni sa date de création. Presque rien, à vrai dire. Tout ce qui est su, c’est que ce village existait déjà plus de six siècles auparavant. Peut-être même était-il encore plus vieux.

Depuis le Grand Changement, qui a bouleversé le climat jusqu’en ses bas-fonds, il y a eu beaucoup de modifications dans tout ce qui concerne les gens. Il n’y a plus d’États, ou de grandes civilisations. Plus rien de cet Ancien Régime.

À Accantu, toutes les rues sont bordées de larges et profondes gouttières qui amènent l’eau dans des réservoirs et dans les serres, mais aussi à la mer et dans les installations domestiques des mille habitants du lieu.

Il n’y a pas de voitures, parce qu’il pleut et vente bien trop pour pouvoir en user. Pas de train. Des bateaux une fois par mois. Il n’y a plus d’avions.

Il y a toujours une école, qui commence à trois ans et finit à onze. Ensuite, les jeunes gens partent au collège de l’île voisine, à dix kilomètres de là. Ils y restent jusqu’à quinze ans. De seize à dix-huit, ils iront au lycée de l’archipel, puis se séparent entre ceux qui partent à l’université située à cent kilomètres d’Accantu, et ceux qui retournent au bercail.

Sans nous étendre sur ce qui n’est pas sur la petite île, l’école fonctionne au gré des Passes, qui sont les moments où il ne pleut pas, les seuls où il est possible de marcher sans risquer sa vie à chaque pas.

Ils ne durent souvent pas longtemps, alors il y a un vieux bus qui vient chercher les enfants dans chaque maison. Il n’y a pas une minute à perdre, et tous le savent. Le bus s’arrête une minute devant chaque maison, et il repart, retard ou pas retard.

Les cours durent de dix heures à midi, et de midi à seize heures. Ce peu d’horaires est compensé par une quantité astronomique de devoirs maison.

Le village est régi entièrement par ces Passes, même hors de l’école. Les adultes travaillent tous, toute la journée, à horaires fixes, depuis la première passe à la dernière passe en journée. Le travail de nuit est interdit. Il y a les Agriculteurs, qui cultivent dans de grandes serres. Les Éducateurs, qui se chargent d’instruire les enfants. Les Goujats, qui travaillent comme structure politique du village.

Les Artisans, qui s’occupent de fabriquer des produits imperméables et solides.

Et puis, il y a la Mama. Quand c’est un homme, c’est le Papa. Pour le devenir, il faut avoir entre quarante et soixante-cinq ans lors de son premier mandat. Ensuite, on voit qui pourrait adhérer à vos idées. Si personne ne vous soutient, alors vous retournez travailler dans le silence. Si on vous accepte, vous rejoignez le Conseil des Autres.

Dans ce groupe, les membres élisent l’un d’entre eux qui dirigera la commune. La subjectivité est interdite dans ce vote, il faut penser au bien public avant le sien. Et si on persiste à vouloir en faire à sa tête, on est « déchargé ».

Ce dirigeant, donc, est nommé « Mama » ou « Papa », et est élu pour une période de dix ans. S’il n’a pas su être à la hauteur de ses charges, ou s’il est trop vieux, voire décédé, on réorganise un vote, avec l’ancien chef interdit de se représenter pour « faute communale ».

Mais si le chef a été excellent et apprécié de tous, il est réélu, tant qu’il a toute sa tête.

L’actuelle Mama, en poste depuis cinq mandats, se nommait donc Hina. C’était une vieille Bridée, âgée de l’âge tout à fait respectable de cent cinquante-sept ans.

Elle avait vécu à travers toute la crise mondiale, et parlait avec nostalgie de son pays natal, le curieux Japon, qui n’avait pas attendu d’être noyé sous les eaux pour s’éteindre.

La vieille dame venait d’un tout petit village, au milieu de la préfecture d’Aomori. Le contexte de sa naissance est un peu particulier. C’était un jour d’hiver, il faisait froid. Et surtout, tout le monde semblait sombre. Ils l’étaient vraiment: leur nation venait officiellement de s’effondrer, après une très longue crise économique. À la place du Japon, ce serait une nouvelle nation. Dirigée par un homme autoritaire nommé Goro Sazaki, elle avait pour principe:

“Chassons tous les immigrés et redevenons le vrai peuple Japonais !”

Le nouvel hymne parlait de la glorieuse Révolution, de la grande exécution du cruel empereur vendu aux traîtres capitalistes occidentaux, de la beauté de la race Japonaise, de son savoir-faire, de sa suprématie mondiale. Pendant cinq minutes, des louanges au héros de la nation, Goro Sazaki et à son glorieux régime.

Hina Yoyobashi était née durant ces jours-là, cent cinquante-sept ans avant notre récit, dans une famille d’opposants au régime.

Elle avait donc été élevée à rebours des autres, ce qui l’isola énormément. Elle avait cependant quelques amis, mais rien de trop voyant. Très rares étaient les opposants. Et très rares étaient ceux qui vivaient assez pour avoir des enfants.

Mais les parents de la Mama d’Accantu devaient la vie sauve à un fait très surprenant: la mère Yoyobashi était la grande soeur de Goro, pour lequel ce dernier avait plus de respect encore que la Nation.

D’ailleurs, c’était uniquement grâce à cela que le régime était vivable. Il y avait énormément de propagande, de culte de la personnalité, de lois imposées de force, mais il subsistait des principes libéraux: les enfants étaient chacun orienté vers la filière qui leur correspondait le mieux, sans pour autant les obliger et faire pression sur eux. S’ils avaient des capacités extraordinaires en arts divers ou en géopolitique, ils étaient soutenus par le régime comme des exemples pour Tous.

Goro avait, hors de cette influence sympathique, changé énormément le régime.

Il y avait un tract, dit des “ Commandements Libérateurs”, qui transmettait son idéologie mieux que n’importe quel autre support. Nous avons pris la liberté de vous retranscrire cela ci-dessous en tant que narrateurs.

“ Bonjour, citoyens ! Avec nous, marchez vers un meilleur avenir ! […]

Voici nos principaux buts:

-Déchoir la nationalité japonaise à toute personne n’ayant pas de la famille japonaise sur les trois derniers siècles. 

-Ramener le taux de taxe à un taux acceptable pour vous et pour nous. 

-Mener des campagnes pour empêcher votre suicide, et le leur.

-Peine de mort, à tout crime, est assortie.

-Les seules sexualités permises sont l’hétérosexualité, l’homosexualité et la bisexualité. Tout autre est considéré comme troublé psychique. Le séjour est évidemment offert.

-Nous aurons tous forcément un travail, même si cela ne fait pas plaisir à certains.

-Notre nouvel hymne pour votre nouveau Japon.

-Seul notre parti existera, afin de vous permettre une transparence maximale.

-À bas la société de consommation qui pollue nos villes et nos compagnes.

-Tout opposant au régime le payera, et le payera vraiment très cher.

-Toutes religions acceptées, avec interdiction de la manifester en dehors des lieux de culte. Si vous ne nous écoutez pas, nous ne vous écouterons pas non plus.

-l’école est obligatoire et doit avoir pour fonction d’instruire et les profs, et les élèves. […] »

Elle avait grandi donc assez seule, détentrice d’une opinion juste mais inacceptable par les autorités et la société. Aucun ami, aucun petit ami, rien d’autre que sa famille et sa fratrie. 

Arrivée à trente ans, elle avait obtenu son doctorat en médecine.

Comme elle n’avait plus rien à faire dans son pays, elle devint médecin itinérant pour le compte d’une ONG internationale.

Elle vécut toute une carrière dans de nombreux pays, voyageant aux quatre coins du monde, depuis la riche France aux confins de l’Afghanistan sauvage, en passant par le pauvre Burundi. 195 états existaient, et elle les visita tous.

Pourtant, quand vint le moment de la retraite, vers quatre-vingt ans, elle ne se retira ni au Japon, ni en France, ni en Afghanistan. Non, elle s’en alla vivre à Accantu, qui était un hameau d’un bourg en « Haute-Corse ».

Là, elle s’installa, se fit des amis pour la première fois après huit décennies de solitude.

Et elle devint Mama, enfin, à cent ans passés.

                           ***
[Suite à venir, mais je ne l’ai pas encore rédigée]

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