Le gris bled

4 mins

”Sei, réveille-toi, tu vas rater l’école !” 
”Oui, Maman…”
Je me frotte les yeux, m’apprête à les ouvrir. Je viens de me souvenir que ma mère ne me réveillait plus ainsi depuis longtemps…
Quand mes yeux s’ouvrent sur le matin calme de ce bled tout gris, je me demande souvent pourquoi je m’obstine à continuer de les ouvrir. Ah, j’y suis pourtant bien obligé ! C’est que je dois encore faire passer douze heures de cette journée minable !

La haine est partout, tout est trop dur, trop compliqué. Tant de mots pour juste éviter d’avoir à taffer. Et le temps qui passe, passe sans même avancer, car tout est fixe, et rien n’a de sens, sinon le rien. 

J’ai bien essayé de travailler un jour.  Mais les métiers de gueux, non merci ! Ma digne existence daignait uniquement obtenir un poste à sa hauteur. Au final, Sa Majesté a fini l’été à lire des mangas de merde sur un site tout pourri. J’avais tant envie de tout casser.

D’ailleurs, c’est ce que j’ai fait. J’ai cassé les couilles de ma famille jusqu’à ce que mort s’ensuive. J’ai cassé leurs économies dans des figurines et des body pillow. J’ai cassé toutes mes relations amicales. J’ai mon appart’, que je paie avec une pension d’invalidité que je mérite pas plus que je mérite la vie

Des fois, je fais des débats à la con. On parle d’un peu tout, surtout de rien. Le réchauffement climatique, les IA, la Guerre d’Europe, …
Je n’arrive même pas à me dire que c’est la faute de la société, ou que je suis une victime, que dalle. Je sais que je suis responsable de tout. Et je me laisse couler…

J’aimerais bien vous dire, avec un sourire et les yeux brillants :
”Le monde ira mieux, croyez moi ! Il suffit de transformer radicalement notre rapport aux biens de consommation et de logement pour parvenir à éviter l’endettement et le réchauffement climatique (et le reste) ! Même si nous n’aurons plus rien après cette guerre fratricide, nous serons tous heureux ! Et au moins, même si la société s’effondre, cela permettra juste l’établissement d’un nouvel ordre mondial, plus juste, plus équitable, plus humain ! Il suffit d’y croire, il suffit de le souhaiter !”

Mais de qui je me fous ? Vous croyez sérieusement à ce baratinage ? Regardez.
Même si j’arrêtais de consommer un kilo de pain, ce n’est pas ça qui arrêterait le réchauffement climatique. Renoncer à être propriétaire ne sauvera pas les forêts amazoniennes. Un petit jardin, même dans un 10m2 comme celui de ma pote Aïcha, fera diminuer les monocultures pesticidées. Et si on réutilisait les palettes quand il y a besoin de bois quelque part, alors on couperait moins de forêts primaires. Mais tout ça, c’est des choix et des propriétés qui nous appartiennent.

Mais si jamais la société s’effondre, alors qu’est-ce qu’il nous restera pour nous, qui soit à nous ? Les riches pourront tout prendre. On pourra enfin revenir à un système de merde, où on sera des esclaves et eux, nos maîtres. Des femmes pleins les trottoirs, des mecs payés au lance-pierres. Et les gens comme moi, qu’est-ce qu’il va leur arriver ? 

Je suis déjà face au bâtard équipé d’une faux dans un système qui tient. Une fois qu’il ne sera plus, qu’est-ce que je ferais ? 

Est-il souhaitable que mon pays (et ses alliés), qui a déjà mobilisé tous les hommes valides, continue à se battre contre des pays supérieurs ? On va tout perdre, ils le savent autant que moi. Et moi, je n’aurais même pas le droit à une mort digne. Tout n’aura été que vide et malheur. 

J’aurais dû travailler à l’école. Avoir un diplôme, trouver un travail. J’aurais dû continuer à fréquenter mes amis. J’aurais dû être sympa avec ma famille. Trouver l’amour, en fonder une, voyager de partout avec eux. Me promener en montagne, acheter une belle maison dans la campagne…
 Et au lieu de tout ça, je n’ai rien fait. Je me suis caché toute ma vie derrière des nuages d’excuses pitoyables. Je suis coincé dans mon 30 m2, perdu dans un bled gris où tous les jours sont les mêmes. J’ai été harcelé une seule fois parce que j’ai traité un type de pédé, et j’ai toujours pris ça comme une bonne raison pour être homophobe et refuser de travailler sous une autorité masculine, ou masculinisée. J’ai joué là-dessus pour dire à mes parents que le lycée servait à rien et abandonner. Et après, j’ai rien trouvé de mieux que parasiter ma chambre et lire de la merde pendant tout le temps où j’aurais dû faire quelque chose.

Quand je suis arrivé à trente ans, je me suis rendu compte que c’était trop tard, et j’ai acheté un appartement de merde pour jouer au mec indépendant, après avoir reçu le droit à l’invalidité pour ”dépression et autres troubles sévères du comportement et de l’attention”.

Que dalle, j’étais juste une sous merde qui voulait rien faire d’autre que passer ma vie à me branler sur Megumin ! J’étais juste un branleur sans avenir ! J’avais juste à me regarder dans un miroir pour le comprendre, ça…

Alors, vous savez quoi, j’aimerais juste crier une dernière fois au monde que je l’aime, que je ne veux pas qu’il s’haïsse. Que je veux le voir revivre et foutre des torgnoles aux petits cons dans mon genre avant qu’il ne soit trop tard. 
Je veux vous crier qu’il faut se calmer sur la protection des minorités. Que si nous ne sommes même pas capables de nous sauver par nous-mêmes, alors il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on disparaisse ! Y’en a marre des bobos qui nous prennent pour des mômes !
Il faut juste s’aimer ! Rien ne l’empêche, hormis l’influence de gens qui vous vantent les vertus des insectes comme aliment. Ou qu’être propriétaire ne vous rendra jamais vraiment heureux, puisque c’est ”céder au consumérisme hypercapitaliste” que de l’être.  Luttons ensemble pour de vrais problèmes !
Que faire des chômeurs ? Comment sauver les SDF ? Comment faire pour que tout homme ait le droit à une femme ? Comment lutter contre les fraudes, et les multimilliardaires  ? 

Je veux arrêter d’avoir à crier seul dans le vide de l’espace. Je veux qu’on s’aime. Je veux qu’on m’aime. Je ne veux pas qu’on nous découpe comme des rayons dans un konbini. Je suis un homme. Un homme raté, mais un homme tout de même.
Tout le monde a sa propre Essence, et la laisser être corrompue par tous ces malades, c’est pire qu’un viol de bébé, selon moi. 
Je ne suis pas juste un homophobe néonazi en obésité morbide. Mon essence, c’est que je suis Sei Ichigawa, un type en fin de trentaine qui a tout raté. Et que je souhaite juste que des gens comme moi ne soient plus aussi nombreux.

CRASH ! en…fin…CRAATCH ! GARGL !  GREEEEEUUUU ! ME LÂCHE PAS ! IIIAAARRRR ! CRAAAAC !  BA-BAM ! 

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*Nothing really matters…
Anyone can see…
Nothing really maaatters, to meeeeeeeeeeee*

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