Au Starbuck
15h30.
Perdu dans la contemplation de cette inconnue, j’écoute à peine Charly qui me parle. Celle qui m’a chamboulé, m’a fait perdre mon centre de gravité et oublié Laure en entrant est en train de discuter avec l’homme qui l’accompagne. Un métis foncé au physique avantageux et à son style soigné, travailler et remarquable au premier coup d’œil. À première vue, elle a la personnalité effacée, timide, pudique et authentique de Laure. Cela se voit en premier lieu à son style vestimentaire. Elle porte des vêtements amples et noirs. En dehors de ses mains et de son visage, aucune autre partie de son corps n’est visible. Puis en second par ses réactions.
Elle n’apprécie pas les contacts physiques et ne regarde jamais son interlocuteur dans les yeux. Elle les baisse ou l’évite du regard et rougit avec facilité. Tout comme elle ne semble pas à l’aise dans les lieux publics. Sa jambe gauche tremble avec nervosité. Elle tripote et tire aussi la manche de son pull d’hiver avec lequel elle joue sous la table pour canaliser son stress et son malaise. En fait, plus je la regarde et plus elle ressemble à Laure. Ou du moins, à l’image que je me fais d’elle. Pourquoi ? Je l’ignore. C’est sans doute dû à cette sensation étrange de la connaître depuis toujours que je ressens et ne me quitte pas. Ou alors, c’est parce que je suis en train tout mélangé dans ma tête et que je n’arrive plus à y voir clair.
Charly finit par être agacée par mon manque d’attention. Pour me sortir de ma torpeur, elle utilise une méthode veille comme le monde, mais efficace. Elle me donne un coup de pied sous la table, ce qui me fait décrocher mon regard de cette inconnue et poser mes yeux sur elle.
— Ah bah quand même ! Tu me remarques, enfin !, me lance-t-elle. Dis-le, si tu t’emmerdes avec moi ?
— Ne dis pas n’importe quoi. J’aime bien passer du temps avec toi.
— Sauf qu’aujourd’hui cette femme, t’intéresse plus que moi. C’est ça ?
— Pas du tout.
— Ne me prends pas pour une idiote, tu veux ? Depuis que nous sommes rentrés, tu ne l’as pas lâché du regard. Qu’est-ce ce qu’il y a ? Tu la connais ?
— Non. C’est la première fois que je la vois.
— Donc c’est l’homme qui l’accompagne que tu connais ?
— Je ne le connais pas, non plus.
— Alors, pourquoi tu les fixes comme ça ?
— Je l’ignore.
— Val m’avait dit que tu étais taciturne, mais je ne pensais pas que c’était à ce point. Tu m’inquiètes.
Ceci dit, elle boit une gorgée de son café et je fais de même. Bien que j’ignore quand, ils ont été commandés ou même apportés. Tellement, j’étais obsédé par cette inconnue.
— Dis-moi, comment ça se passe avec Laure ? Ça avance ? Est-ce qu’elle a accepté de te rencontrer en IRL, samedi ?, change-t-elle de sujet.
— Comment tu…, je commence à m’étonner avant de me raviser à la suite d’une illumination soudaine. C’est Valentin qui t’en a parlé ?
Elle acquiesce avec plusieurs hochements de tête en buvant son café. Je vais le tuer. Non seulement, il invite Laure sur un coup de tête sans me consulter. Mais il parle aussi d’elle et de notre relation à sa sœur. Tu parles d’un ami… C’est une vraie commère, oui. Dans un sens, ça ne m’étonne pas. Cet imbécile heureux est mon opposé. Il m’agace au plus haut point, autant que je l’apprécie. Et ces sentiments contradictoires à son égard m’énervent.
— Bien. On peut dire ça et oui, elle a acceptée, je lui réponds dans un soupir.
En une fraction de seconde, Charly passe d’un état calme à surexciter. Elle sautille sur sa chaise et tape des pieds en rythme sous la table. Je sens venir la crise d’hystérie et le cri de joie à grands pas pour mon grand dam.
— Par pitié, contiens-toi. Je ne veux pas d’effusion de joie incontrôlée. Tu le feras loin de moi et chez toi si tu veux, mais pas ici, je l’implore, désespéré.
La sœur de Valentin lutte contre elle-même pour se contrôler de longues minutes avant d’y parvenir. Enfin, presque. Puisqu’elle me saute au cou et me serre dans ses bras sans prévenir. Je reste insensible à son étreinte. Elle la fait perdurer un moment puis, elle m’en libère et se rassoit comme si de rien était.
— Il faut fêter ça !, s’exclame-t-elle.
Elle prend un papier dans son sac, un stylo rose fluo à plume et écrit une adresse suivie d’un numéro de téléphone.
— Ce soir, 20h à cette adresse. Et c’est non négociable !, m’annonce-t-elle en tendant le bout de papier.
Je suis sûr le point de répondre lorsque j’entends des chaises, glissées sur le parquet flottant. Interloqué, je détourne la tête et mon regard croise celui de mon inconnue. Il remplit de colère, d’énervement et de jalousie. Ou du moins, cela y ressemble. Pour une raison que j’ignore, je ressens le besoin de me justifier. De lui parler et d’éclairer ce malentendu. Sauf que je n’en ai pas l’occasion. Car elle se dirige vers la porte avec l’homme qui l’accompagne pour s’en aller. Contre toute attente, ce qu’elle a ressenti à l’instant, je le ressens aussi. Et j’imagine très bien la suite des événements entre eux, ce qui ne m’aide pas à relativiser.
Incapable de bouger, je les regarde partir ensemble. Puis s’éloigner dans la rue à travers la baie vitrée près de notre table et ce, jusqu’à ce qu’ils sortent de mon champ de vision. Je reste stoïque est imperturbable d’un point de vue extérieur. Mais à l’intérieur, je bous comme un volcan en éruption en ne comprenant ce qui m’arrive. Pourquoi je suis comme ça et ma réaction vis-à-vis de cette femme. Sois une personne lambda que j’aurais pu croiser n’importe où, n’importe quels moments et à n’importe quelle heure dans les rues de Paris. Alors, pourquoi elle me fait cet effet ? Au point de me faire oublier Laure. Celle qui représente énormément pour moi dont je suis amoureux, mais aussi de la comparer à elle. Qu’est-ce que tout cela signifie ?
Je cogite et cherche des réponses à mes questions pendant je ne sais pas combien de temps avant de craquer. Je me lève d’un bond sans prévenir, ce qui surprend Charly et la fait sursauter.
— Allez, lèves-toi. Je te ramène.
— Déjà ? Mais tu n’as même pas fini ton café !, s’étonne-t-elle.
— Je le boirais en chemin.