♤ Damon ♤
08 juin 2019,
À la villa du groupe.
Il y a quelques semaines la tournée mondiale des Virgin Scared s’est achevé et notre première partie aussi. Nous sommes donc retournés à Miami pour enregistrer notre sixième album. Grâce à ce voyage d’un an, nous avons pu renaître de nos cendres et regagner notre notoriété perdue. Sauf que depuis la semaine dernière nous n’avons pu le cœur à la fête, mais en peine. Isaac nous a annoncé qu’il posait ses baguettes et quitter le groupe pour vivre son histoire d’amour avec Siragan. Un journaliste d’origine arménienne installé en France depuis trois ans et qu’il a rencontré sur la tournée. Encore traumatisé par le scandale dont il a été la victime dix-huit mois plus tôt, Isaac avait eu beaucoup de mal à accepter son attirance et son coup de foudre pour Siragan. Il avait passé son temps à être détestable, dénigrant voire presque insultant avec lui pour le garder à distance. Malgré cela, Siragan s’est montré tenace, attentionné, patient, tolérant et respectueux envers Isaac et il a obtenu son cœur et sa confiance petit à petit. Pour ce qui est de son corps, cela a mis plus de temps. Ils ont passé leur première nuit ensemble, il y a seulement quelques semaines. Maintenant, ils filent le parfait amour sans aucune zone d’ombre à l’horizon. De mon côté, cohabiter avec Jared pendant un an et accepter sa relation avec Andreas n’a pas été simple.
Mes démons sont revenus et mes nuits sont agitées et hantées par les souvenirs de l’accident. Je me revois perdre le contrôle, ressentir chaque tonneau de la voiture. J’entends la taule se froisser, les vitres explosées en morceaux. Je sens l’odeur de l’essence, de la gomme des pneus abîmés, de l’alcool présent sur mes vêtements et de sang, il y en beaucoup. Surtout, celui de Jared. J’ai la nausée, je me sens mal, oppressé et je suffoque. C’est trop dur, trop violent. Je l’appelle désespérément, mais sans succès. Il est inconscient, le tableau de bord bloque ses jambes et sa portière est encastrée dans son flanc. Il est blessé à la tête et recouvert de sang. Je le secoue un peu brusquement, je m’acharne à le réveiller. J’ai les joues inondées de larmes, leur goût salé se mélange à celui du métal que j’ai dans la bouche. Paniqué, je cherche son pouls au niveau de son poignet à tâtons, mais je ne le trouve pas. J’inspire, j’expire, je tente de calmer les battements de mon cœur affolés qui raisonnent dans mes oreilles et m’assourdissent pour retrouver un minimum mon calme. Puis, j’essaie encore et encore jusqu’à perdre la notion du temps, sauf que je ne le trouve toujours pas. Son corps commence à devenir froid, se raidir…
— Dem’ ! Dem !, m’appelle Zane, paniqué et inquiet.
Perdu dans ce cauchemar sans fin, je ne l’entends pas. Les images tournent en boucle dans ma tête, tel un vinyle rayé et rien ne semble pouvoir m’en extirper. Depuis l’accident, tout a changé. J’ai changé… Je brûle la chandelle par les deux bouts et mise ma vie à la roulette russe en attendant mon heure, mais elle peine à arriver. Sincèrement, j’ai tout essayé. Les médicaments, la pendaison, les lames de rasoir, la drogue, la vitesse et j’en passe ! Malheureusement, toutes mes tentatives ont échoué. Dieu ne semble pas vouloir me rappeler à lui et l’Enfer ne veut pas de moi. Parce que je suis déjà prisonnier du mien et il s’appelle : Jared Green. Le seul homme que j’ai véritablement aimé sans jamais réellement lui dire ni lui prouver. À l’époque, il était mon héroïne et ma kryptonite et c’est toujours le cas. J’ai eu beau baiser la planète entière pour me désintoxiquer et me sevrer de lui, je n’ai pas réussi. Telle l’encre indélébile que j’ai sur le corps, il est ancré en moi à tout jamais.
— Putain Dem’, reviens !
La seconde d’après, sa main s’échoue sur ma joue avec vivacité. Le claquement de sa paume sur ma peau me sort dans ma torpeur cauchemardesque et je croise les iris grise-vertes affolés de Zane. Un de mes plans Q, parmi tant d’autres dans cette ville et que j’enchaîne depuis je suis revenu. Certains, sont dans mon lit durant deux nuits d’affilés et d’autres, n’en passent qu’une. Sauf lui, qui est une exception à la règle. Cela fait une semaine qu’il dort et ce réveil avec moi, car il me fait penser à Jared lorsqu’il était plus jeune. Je sais qu’il ne voit pas les choses de la même façon et je ne devrais pas lui accorder autant de privilège, mais c’est plus fort que moi. Tout en lui me fait penser à Jared, son attitude, son besoin constant d’attention. De s’installer dans ma vie, mon quotidien. De sortir avec moi pour aller au restaurant, au cinéma, en boîte de nuit et d’aller le voir jouer avec son groupe dans leur bar. En résumé, des activités de couple comme celles que j’avais avec Jared, auparavant.
Malheureusement depuis l’accident, ce sont des choses que je ne veux plus avoir avec qui ce soit, mais le lâche que je suis est incapable de lui dire parce que j’ai besoin de sa présence. Elle attise mon Enfer, autant qu’elle m’apporte une sorte de rédemption et d’accalmie addictive et masochiste. Alors, je le manipule en lui donnant le minimum et de l’espoir. Puis, je lui enlève le tout avant de le culpabiliser. Tout en m’assurant de peser mes mots de manière insidieuse pour qu’il revienne vers moi en rampant et me supplie de le reprendre. Je sais… c’est immonde, dégueulasse, pervers, malsain et inhumain comme procédé. Cependant, cela ne semble pas le déranger puisqu’il est encore là et qu’il s’accroche moi. Je ne cherche pas à me justifier ni à me dédouaner en disant cela, bien au contraire. Je sais que je suis le seul fautif de cette situation, car je lui ai délibérément et volontairement coupé les ailes par pur égoïsme.
— Qu’est-ce que tu as à t’exciter comme ça dès le matin ?, l’interroge-je. Tu veux ta baise matinale ?
— Va te faire foutre, espèce de connard !, s’insurge-t-il avant de se lever.
Il récupère ses vêtements éparpillés dans ma chambre, parmi mes fringues et les plumes des oreillers et du matelas qu’il a déchiqueté cette nuit pendant que je le prenais avec violence et qu’il hurlait mon prénom à s’en abîmer les cordes vocales. Il commence à se rhabiller de façon désordonnée, les nerfs à vifs en reniflant et s’énerve lorsqu’il n’arrive pas à enfiler son tee-shirt, ni à fermer son pantalon tout en insultant la terre entière. D’ordinaire, je me fiche de son état et le voir comme ça me fait sourire, mais pas ce matin. J’ai la désagréable sensation d’avoir fait une connerie et pour une raison que j’ignore, ça me fait mal. Je me lève et le rejoins dans mon plus simple appareil.
— Laisse… Je vais t’aider, lui annonce-je en le voyant se débattre avec son tee-shirt.
— Ne me touche pas !, m’intime-t-il. Je vais me débrouiller seul, je n’ai pas besoin de toi. Occupe-toi, plutôt de tes avants-bras et fous-moi la paix !
Mes avants-bras ? Qu’est-ce qu’ils ont mes…
Je m’interromps dans ma pensée lorsque mes yeux se posent dessus. Ils sont recouverts d’entailles fraîches et sanguinolentes. D’instinct, je détourne la tête vers mon lit pour trouver l’objet responsable, mais Zane m’apporte la réponse avant même que je la cherche.
— Si tu cherches le morceau de verre avec lequel tu t’es mutilé à l’instant, je l’ai mis à la poubelle avec la flûte à champagne qu’on a cassé hier soir, après avoir réussi à te l’enlever des mains.
Il termine de boutonner et de remonter la fermeture éclair de son pantalon avant de se retourner vers moi.
— Zane, je…
— Ne te fatigue pas, je connais la sortie, me coupe-t-il la parole en tendant le bras pour récupérer son blouson en cuir, posé sur le dessus du fauteuil.
Zane l’enfile et attrape son casque de moto et ses gants, qui ne sont pas loin.
— Et ne t’inquiète pas, je ne risque pas de me faire baiser par toi ce soir, ni dans les jours à venir, déclare-t-il en appuyant bien sur le mot « baiser ».
J’ai à peine le temps d’entrouvrir la bouche pour parler qu’il quitte ma chambre en claquant la porte.
Putain, la journée commence bien…