Le point de non-retour

3 mins

Image de couverture : joseph_Berardi (disponible sur le site pixabay)

 

Elle s’approche du vide, observe la mer par-dessus la rambarde. Cette mer qui fut déjà à maintes reprises le lieu idéal de ses prédécesseurs pour jouer à l’ange déchu, non pas dans l’objectif de creuser les prochains cercles de l’enfer, mais plutôt en vue de rejoindre le royaume des oubliés, en plus des prochaines statistiques. L’abime se reflète dans son regard insipide où la dernière flamme vient d’être balayée par la bise. La bise de la camarde, dont la coupe ne sera probablement jamais pleine. Celle-là même, avide du reste de la vitalité des souffrants. Sa peau, n’ayant sûrement plus aperçu le soleil depuis des lustres, est aussi blanche que le marbre de Carrare. Ses yeux, eux, sont rougi par les flots incessants de larmes qu’elle a dû essuyer à de nombreuses reprises.

Hésitante depuis plusieurs longues minutes, elle s’effondra sur ses pauvres genoux et supplia le père de lui faire savoir de quel mal était-elle l’origine pour être condamnée à l’errance éternelle dans le royaume du chagrin. Pourquoi ? Se dit-elle. Quel type de pénitence devait elle accomplir afin d’atteindre un tant soit peu le bonheur ? Notre bonne figure paternelle sadique lui fit comprendre qu’il était futile de s’obstiner à chercher le bonheur. En fin de compte, elle était, malgré son innocence, marquée du sceau de la perpétuelle mélancolie.

Mais bientôt, la douleur rongeant son esprit et qui ne lui permet plus d’être maître de son corps aura complètement disparu, au prix bien sûr, de sa propre vie. Bien que le coût de l’entreprise soit trop élevé, elle préfère couper les derniers liens qu’elle entretient encore avec son existence, au lieu de mener une vie similaire à une Mater Doloresa en accumulant les peines et les échecs qui lui transpercent le cœur. Il est malheureux qu’une aussi jeune fleur d’à peine vingt ans, doive déjà perdre ses pétales. Si seulement on ne lui avait pas fait aussi souvent de l’ombre, elle aurait sans doute pu éclore en une rose magnifique. Bien qu’elle ait pu pousser jusqu’à sa vingtaine, privée de lumière et de chaleur humaine, elle ne pourra en aucun cas se développer convenablement. L’avantage de cette situation, si l’on est forcé d’en nommer un, c’est qu’elle restera éternellement une fleur bleue, préservée de la brutalité d’une quelconque abeille qui voudrait lui récolter son précieux pollen de force. Il est évident que si un tel malheur lui était tombé au visage, elle se serait déjà probablement emparée du sécateur !

DONG ! DONG ! Son esprit, sous l’emprise de l’incommensurable chagrin, vient de sonner le glas. Plus aucun retour en arrière n’est possible, elle a perdu le contrôle de son âme.

Il est à présent l’heure de gravir la rambarde sous l’œil fuyant des passants, qui font mine de ne rien voir. Ils ne s’arrêteront pas. Après tout, ce spectacle n’est pas assez divertissant pour leurs petites mirettes.

DONG ! DONG ! Voici les derniers sont de cloches, la triste demoiselle se tient debout sur la rambarde, les bras en croix, les yeux fermés. Le vent souffle… Elle tombe… se laissant emporter par la brise…

Cette fois,

                  les anges

                                  ne la retiendront pas,

                                                                       bien qu’ils ne l’aient jamais

                                                                                                                   fait auparav… POUF !

La malheureuse vient de s’écraser sur la frontière des deux mondes. Hélas, la chute ne l’a pas achevé sur le coup. S’ensuit alors une agonie plus terrible que la mort, avant de sombrer au fond de la mer jusqu’à atterrir entre les mains de la camarde qui se réjouissait d’avance du sort de la jeune fille. C’est alors que la dernière once de vie parcourant son corps s’échappa, laissant derrière elle une âme dont le visage ne possédait encore aucune ride. Espérons qu’elle puisse se frayer un chemin vers l’apaisement et que Dante ait eu tort à propos du sort des suicidés en enfer.

 

Note post-mortem :

Merci d’avoir lu ! N’hésitez pas à me faire savoir ce que vous en pensez. Que ce soit en bien ou en mal (du temps que c’est constructif bien sûr). J’ai eu l’idée d’écrire ce petit texte en écoutant la chanson “절망의 새벽 (Dawn of despair)” du groupe Sad Legend qui (allez savoir pourquoi) me fait penser à chaque fois que je l’écoute, à une jeune femme qui s’écrase sur de la glace en se jetant d’un pont. La couverture de l’album y est aussi sûrement pour quelque chose.

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