Texte à thème prédéfinit par une personne extérieure.
Toutes les nuits, je la vois. Elle vient doucement danser sous mes paupières closes. Je sens ses caresses aussi douces que glacées le long de mon bras. Elle murmure des mots magnifiquement hypocrites au creux de mon oreille, qui me font voyager bien loin. Mais c’est un aller simple sans retour, comme lorsque l’on conduit dans l’obscurité totale, les phares en panne. Et puis, j’ouvre les yeux. Elle disparaît chaque matin.
Quand le soleil se lève, je me lève avec lui au son du réveil. Alors, ma journée commence. Il faut manger la tartine à la confiture de prune, boire le verre de lait de soja, sans lactose évidemment, et laver la vaisselle. Après, il faut se laver, mais vite !- sinon on n’aura pas le temps d’enfiler l’uniforme et de lacer soigneusement les chaussures. Une fois cette routine matinale achevée, je n’ai qu’à monter dans mon camion et aller à la fourrière. C’est pareil tous les jours, sauf le dimanche. C’est le jour du Seigneur, ce serait un blasphème de travailler. C’est ma mère qui me l’a expliqué, quand j’étais enfant et qu’elle était vivante. Quand j’arrive à la fourrière, je dis bonjour à Sam. C’est mon patron, mais il préfère qu’on l’appelle Sam plutôt que Patron. Il me félicite pour mon bon travail, parce que je suis un très bon dépanneur-remorqueur, parce que je respecte le jour du Seigneur et les jours fériés, et que je n’applique pas l’augmentation des tarifs de 25% la nuit comme le stipule le décret affiché au bureau. Il aime mon humanité et ma compassion qui “sont preuve d’une grande intelligence !”. Je bois ensuite mon café tranquillement dans la salle de pause, tout en regardant les infos qui passent à la télé dans le coin supérieur de la pièce. Aujourd’hui, les prix du pétrole ont encore augmenté, une nouvelle femme a été retrouvée étranglée et abandonnée au bord de la route et les prisons sont en surpopulation au point que la situation devient inquiétante pour les autorités qui craignent une émeute. Ce n’est pas très joyeux. Quand l’heure de mon service arrive, je remonte dans mon camion et pars chercher et dépanner les voitures des gens. Les gens sont souvent gentils et compréhensifs, très gais. C’est bizarre pour des gens qui viennent de casser leur voiture, mais je préfère ça. Je n’aime pas les personnes méchantes, ma mère m’a dit de ne pas m’en approcher pour ne pas devenir une brebis égarée. Je ne veux pas être un pécheur aux yeux du Seigneur.
Ma journée finie, je fais mon rapport à Sam. Il me félicite à nouveau en complimentant la vitesse avec laquelle je viens en aide à nos clients. Après, je peux rentrer à la maison. La maison est grande et vieille. C’est la maison de ma mère. Elle l’a hérité de son père, qui l’a obtenue de son père qui l’a construite de ses mains, avec des planches, des briques et des choses du genre je pense. On ne m’a jamais donné le détail des matériaux de construction de la vieille maison du père, du père de ma mère. Je sais juste qu’elle est grande, parce qu’il voulait avoir beaucoup d’enfants avec sa femme. Mais elle est morte en accouchant de leur fils. Ce fils voulait peu d’enfants, mais ma mère a 4 frères avant elle, et après. Ma mère voulait une sœur. Elle m’a dit que c’est la preuve qu’on n’a jamais ce qu’on veut dans la vie, et qu’il ne faut pas s’en insurger. Alors je ne me fâche jamais. On est une bonne personne quand on est calme. Je suis une bonne personne.
J’ouvre la porte avec le gros trousseau de clefs et essuie mes pieds sur le paillasson. Je fais chauffer la conserve de saucisses aux lentilles dans une grande casserole en fonte et je mets le couvert, et le pain. Le pain est tendre, très bon. Je l’ai fait hier. Si je n’avais pas déjà mon travail à la fourrière, j’aurais pu être boulanger. C’est maman qui le dit dès qu’elle mange mon bon pain. Tata a encore appelé, mais j’étais au travail, elle le sait, elle ne devrait pas appeler alors qu’elle sait que je suis au travail avec Sam qui ne veut pas être appelé patron. Elle a laissé un message, alors je mets le répondeur en route pendant que je mange. Les lentilles sont bonnes, comme tous les jours, parce que les lentilles sont toujours bonnes. Tata parle beaucoup, c’est agaçant. Maman est silencieuse, elle, surtout depuis qu’elle est morte. Elle parle et je vois les lentilles bouillir. Elles brûlent. Les lentilles sont toujours bonnes, tous les jours. Tous les jours, les lentilles. Sam est mon patron, il ne veut pas être appelé patron. Je suis une bonne personne. Je fais du pain. Tout va bien. Maman m’aime. Maman m’aimera toujours parce que les lentilles tous les jours sont bonnes. Il faut que ça s’arrête.
Je me lève et coupe le répondeur. Il faut qu’elle se taise. Il faut que tata arrête de parler. Ce n’est pas bien de parler. Je vois très bien dans ma tête sa bouche rouge cerise parler et parler et encore et toujours. Et puis ses cheveux de soleil qui éblouissent l’été au parc quand on est en vacances avec les cousins et qu’il fait trop chaud et qu’elle arrive avec des glaces à la pistache comme ses yeux qui sont de grandes pistaches. Il faut que ça s’arrête.
Je sors, je marche, je cours. L’air est froid, c’est agréable. Maman est là, elle est toujours là quand il faut que tout s’arrête. Elle est belle, maman. Elle a de courts cheveux bruns, et des yeux toujours fermés. Une bouche blanche de laquelle les mots ne sortent jamais. Et sa peau est pâle, un peu bleue à cause du froid, parce que maman est plongée dans le froid. Et puis, maman me tend les bras. Elle me dit “réchauffe moi s’il te plaît”. Je la serre, pour la réchauffer. Elle s’écarte, me montre une pâte à pain. Elle me dit “pétrit la, et jette la dans le four s’il te plaît”. Je la roule, la travaille pour la rendre solide et ferme, élastique, et puis je la jette dans le four. Et le réveil sonne. Le répondeur diffuse un nouveau message de Tata.
“ Arthur, mon grand, écoute moi s’il te plaît. Deux agents sont venus à la maison ce matin. Tes empreintes ont été retrouvées sur le corps de la jeune femme… Mon dieu, je n’arrive pas à croire ce que je suis en train de dire ! Tu as tué ces femmes, comme tu as tué ta mère ! Je ne peux plus me taire, c’est horrible, je suis désolée. Il est temps que tu ouvres les yeux, tu es un meurtrier, un monstre ! Je t’en prie, vois la vérité en face… Pardon, je suis désolée. Tu n’es pas un monstre, je t’en prie… Va voir la police, assume tes actes, bats toi contre tes foutues pulsions ! Je ne veux pas encore vivre ça.”