” Qu’est-ce qui définit un génie, selon-vous ?”
C’était un grand-homme.
Il dormait trois heures par nuit, sauf les weekends, parce qu’il divisait ce gâchis de temps par deux. Voir les heures défiler sans réussir à les posséder pour exprimer sa créativité le plongeait dans une mélancolie destructrice, et paradoxalement créatrice. Pourquoi dormir ? Il avait un chef-d’œuvre à créer.
Il ne possédait pas grand chose, pour ne pas dire presque rien. Une machine à écrire dont le rouleau commençait à fatiguer, la table en bois brute sur laquelle elle reposait, un vieux frigidaire défaillant – mais quelle importance puisqu’il était toujours vide ?-, un évier surmonté par un petit robinet rouillé et plic-ploquant, une chaise sans pieds et un petit lit sans draps. Il se lavait grâce au robinet, en buvait l’eau, et laissait la vieille gardienne d’à côté le nourrir, en échange de quelques vers flatteurs et parfumés de romance.
“Ô ma magnifique Catherine,
Douce appariation divine,
Vous feriez un homme heureux,
En salant votre pot-au-feu !”
Il avait une bourse, toujours vide. Il avait du papier et de l’encre, et passait ses journées à coucher l’une sur l’autre. Ses nuits aussi. Il écrivait des centaines de feuilles au quotidien, et passait des centaines d’épisodes nocturnes à les trier, les raturer, les jeter. Finalement, sur les milliers de feuillets arrachés à leurs arbres, il n’en gardait qu’une dizaine, qu’un censeur aigri laissait pourrir sur le coin de son bureau.
Effectivement, c’était un véritable génie. Bercé de solitude, au talent méconnu et ignoré, il gâchait sa santé à la recherche d’un idéal inatteignable.
Pas mal.
A mon avis finir avec "il gâchait sa santé à la recherche d’un idéal…" est préférable. Cela laisse une fin ouverte. Le "inatteignable" fait un peu commentaire d’une part et d’autre part nuit à cette histoire. (Il la détruit, je trouve) Sinon, on est pris par le récit et c’est plutôt sympa.