Chapitre 3 : à double tranchant

9 mins

Lorsque je m’entretenais avec Sofia, elle avait l’air nerveuse. Sa jambe droite tremblait et son regard était perdu dans ses pensées. Mais cette fois-là, le mercredi 23 février, elle dégainait une marche différente, je dirais un déhanché plus assuré. Elle ne portait plus cette robe noire et était souriante. Elle rentra en remerciant la gardienne de l’avoir raccompagner et me salua cordialement. En prenant place, elle me dit :

– Vous devez être le docteur Müller ? Je suis ravie de vous rencontrer enfin !  

Subjuguée par cette enthousiasme et je compris que j’avais en face de moi, une personnalité inconnue. Elle prit un un miroir qu’elle avait dans la poche de son jeans, le tint avec sa main droite et se regarda dedans. Ses cheveux arborait une tresse sur le côté droit et elle me dit : 

– J’aime bien cet endroit mais dommage que je n’ai pas mon maquillage. C’est important pour une femme de se sentir belle, même dans les pires situations. 

Je fixai cette personne tel un spectacle. J’entrai tout de même dans son jeu et lui répondis : 

– C’est vrai, c’est important de bien se sentir dans sa peau. Mais je suis intriguée… Je parle à qui au fait ? 

– Ah ! oui désolé, je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Daphné, je suis une bonne amie à Sofia. La pauvre, elle est dans une position vraiment compliqué.

Elle rangea son petit miroir, qu’elle avait emprunté sûrement à une codétenue. Les matons n’étaient pas si méticuleux pour les contrôles. Et puis, Sofia ne montrait pas de dangerosité envers les autres ou elle-même. 

Je ne sus pas trop comment m’y prendre. J’avais déjà eu des patients souffrant du dédoublement de la personnalité ou de schizophrénie, il m’était dur de conclure à une simple hypothèse. Je ne devais pas oublier qu’elle était inculpé de meurtre. Je poursuivis donc notre discussion :

– Où est Sofia ? J’ai besoin de lui parler. 

– Oh ! Je comprends docteur, mais elle se repose. Vous pouvez me parler…

– OK… dites moi vous savez ce qu’il s’est passé le vendredi 28 janvier ?

– Ouf, c’est une question à laquelle je ne saurais vous répondre. Tout ce que je peux vous affirmer, c’est que Sofia n’a rien à voir dans cette histoire.

– Pourtant ce sont ses empruntes qu’on a retrouvé. Et que pouvez-vous me dire à propos d’Ariane ?

– Ariane ! Vous l’avez croisée ? Bah, tout ce que je connais d’elle, c’est que c’est une dure à cuire. Elle a beaucoup galéré mais a toujours su se relever.

– Vous êtes de bonnes amies vous trois ?

– Comme je vous l’ai déjà dit, je suis une bonne amie à Sofia. Ariane, on va dire que j’en ai surtout entendu parlé.

Je voyais que je n’arrivais pas à grand chose en parlant des autres. Mais elle était bavarde alors je décrétai qu’il était préférable d’en apprendre plus sur cette « Daphné ». Je dus laissé mes préjugés sur cette affaire. 

– Pouvez-vous me parler de vous, alors ? 

– ça tombe bien, j’adore quand on parle de moi !

– Quel est votre rapport amical avec Sofia ? Vous êtes plutôt proches ou juste des connaissances ? 

– Et bien, elle venait beaucoup se confier à moi. Je suis comme la grande sœur qu’elle n’a pas eu. Ou la tante, vu mon âge…

Après une courte pause, elle se lança dans un discours intéressant : 

– J’ai assez d’expériences dans ma vie pour savoir ce que veut un homme. J’ai travaillée dans beaucoup de domaines, et je lui ai prodiguée les meilleurs conseils que je pouvais. Seulement, Sofia se laisse vite influencer par les autres. On peut être féministe sans forcément détester les hommes. Cependant, c’est compréhensible vu leurs parcours. 

– à Sofia et Ariane ?

– Pas qu’elles… et quand Sofia sera prête, elle vous en parlera.

Elle était assise, avec le croisement d’une jambe sur l’autre et avait ce regard satisfait. Je lui demandai donc si elle connaissait le passé de Sofia ; son internement en psychiatrie et sa fugue. À cet instant, son visage changea d’humeur. Elle arrêta de sourire bêtement et son regard devint triste. Elle me rétorqua que le passé devait rester là où il était et que ce n’était pas si important que ça. Je lui confiai alors ce que Ariane m’exposa : 

– Ariane m’a parlé d’un compromis. Vous en pensez quoi ? 

– haha… cela ne m’étonne pas d’elle. Il faut toujours qu’elle mette son nez partout. Me dit-elle en riant.

Je touchais un point essentiel et compris que si effectivement, Sofia était habité par plusieurs personnalités, elles ne s’entendaient pas forcément entre elles.  

La séance passait plus vite avec Daphné et on finit par bavarder de la pluie et du beau temps. Sans brûler les étapes, je la laissai se dévoiler à moi. Elle m’évoqua une anecdote captivante :

– Sofia m’a avoué ce qu’il s’était passé quand elle n’était qu’une enfant. Ce gars la touché de manière perverse. Et ses parents ne l’ont pas protégés. J’avais mal pour elle… 

Enfin, elle termina par un mutisme avant que la gardienne ne revienne la chercher. 

En se dirigeant vers la sortie, elle me salua de nouveau, comme si de rien était. Son grand sourire revint et elle regagna sa cellule avec cet air, toujours, satisfait.

Il n’y avait qu’à Ralph que je me confiais, en cette période. Il était le seul à pouvoir m’apporter des réponses, sans jugement. Quand je lui fis part de cette entrevue, il me dit :

– C’est intéressant et rare ce genre de cas. Est-ce que tu as parlé au début avec Sofia ? Parce qu’il est possible qu’elle ne soit même pas au courant de ce qu’il se passe en réalité. Et si ses alter-ego ont pris le contrôle, Sofia n’est même pas consciente des meurtres. Mais encore une fois, il faut être sûr de sa démence. 

En fait, je n’avais aucune idée des ressentis de Sofia. Il fallait que je trouve le moyen de rentrer en contact avec celle-ci. J’entendis parlé de l’hypnose comme solution au trouble dissociatif de l’identité mais je n’avais jamais eu recours à cette technique. J’entrepris alors de l’étudier afin d’essayer de démêler le vrai du faux. 

Le lendemain, je reçus l’appel du juge d’instruction, qui me parus bizarre. Il prit des nouvelles de l’avancement des rendez-vous avec Sofia. Ensuite, il me dit qu’une date était fixé pour le procès. Il était pour le 4 mars, au palais de justice, en huis-clos, afin de savoir si la suspecte était apte à passer devant le tribunal d’assise. Je le rassurai sur la finalité de mon compte rendu pour ce jour-là. Je sentis l’envie de boucler l’affaire rapidement. Il exigea de ne pas m’attarder sur une pathologie quelconque et de me concentrer juste sur les faits. Je ne voulais pas me précipiter sur ce dossier pour faire plaisir à un juge. J’avais prêté le serment d’Hippocrate, pour le bien de mes patients, et si Sofia souffrait vraiment du trouble dissociatif de la personnalité, il était de mon devoir de prendre en compte sa démence. 

Par le biais d’internet et quelques articles sur l’hypnose, je pus avoir un avant-goût du déroulé de ce processus. Malheureusement, le temps jouait contre moi et je n’avançais pas avec Sofia. Tout en m’informant des démarches à suivre sur l’hypnose, je rencontrais Sofia, avec ses différentes personnalités. Quand je me retrouvais avec Ariane, on conversait sans soucis et elle décida de s’ouvrir. Je me souviendrais de ce moment, qui me fis prendre conscience que cette jeune femme suspectée de meurtre avait besoin d’aide.  

Quand je lui demandai enfin ce que signifiait pour elle cette longue robe noire, je saisis qu’Ariane avait son histoire à raconter. 

– Pourquoi avoir porter cette robe par dessus vos vêtements ? 

– C’est un habit traditionnel dans mon clan. On le porte quand on est triste mais aussi pour rester pudique. Il est aussi élégant pour se rendre chez des amies. Il en existe en plusieurs couleurs mais le noir me va si bien !

– Ce n’est pas plutôt pour le deuil, le noir ?

– Pas toujours. Dans certaine contrée, c’est le blanc que l’on porte pour un deuil.

– C’est vrai, mais je parlais du fait que Sofia a perdu son enfant et son conjoint…

Ariane leva les yeux vers le plafond, puis elle prit une respiration profonde pour me dire : 

– Moi je n’ai pas perdu d’enfant, il grandit en moi et je suis de nature pudique. On m’a élevé de tel manière. 

Je reçus le test de grossesse qui était négatif mais quand je lui annonçai cela, sa nervosité reprit : 

– Vous ne comprenez vraiment rien ! Je vous ai fait confiance et c’est comme ça que vous me remercier ! Je ne suis pas Sofia, bien sûr que vous aurez des résultats faussé ! 

Elle était persuadé d’être une personne à part entière. J’expliquai à Ariane que tant que je ne parlai pas à Sofia, je ne pouvais pas être certaine de ce qu’elle avançait. Après un moment, elle dit : 

– OK, je l’en informerais mais je vous préviens, elle est faible. 

C’était ainsi qu’au bout de la troisième semaine, je vis enfin Sofia, la vraie. Elle se présenta à moi, amaigrie avec un air d’incompréhension. Elle n’avait pas de manière prétentieuse, ni nerveuse. Elle était juste affaiblie, elle rentra dans le bureau en admirant la pièce, comme si elle la découvrait. Elle s’assit et me fixa en attendant que je prenne la parole : 

– Bonjour, je suis le docteur Müller. Vous devez être Sofia ? 

Elle hocha de la tête simplement. 

– Vous savez pourquoi vous êtes là ? 

Elle ne répondit pas, alors je lui racontai où elle se trouvait et pourquoi elle avait été arrêter. Sofia se mit à pleurer et me dit : 

– Je ne sais pas de quoi vous parlez… Je n’ai aucun souvenir. Mais Salia est morte ? 

– Oui, elle n’a pas survécu. Quand vous l’avez amenée à l’hôpital, elle avait déjà succombé aux coups. 

-Oh mon Dieu ! Et ça c’est passé il y a trois semaines, vous me dites ? Me dit-elle d’un air effrayé. 

Je lui contai tout ce qui s’était déroulé et ma rencontre avec Ariane et Daphné. Surprise elle me répondit : 

– Sérieusement ? Vous les avez vus ? J’ai vraiment des amies en or. Elles vous ont dit quoi alors ?

– Pas grand chose…Vous le saviez ?

– De quoi ?

– Et bien qu’elles sont vos personnalités…

– Vous voulez dire qu’elles habitent en moi ? Hum… Non je les côtoies dans ma vie de tous les jours.

Sofia n’avait pas connaissance de son trouble de la personnalité multiple. Elle les voyait dans sa réalité, mais cela se passait dans son esprit. Elle n’avait aucun souvenir des meurtres et comment pouvait-elle ? Mais cette fois, j’en avais la preuve. Il restait une semaine avant de devoir de remettre mon rapport final. Ce lundi 28 février, j’avertis mon collègue et ami Ralph de ma décision. Il douta encore de la démence de Sofia. Il me demanda que si cette conclusion était approuvé par le procureur, que se passerait-il pour Sofia. Je n’y avais pas pensé à cet instant, hors je croyais dur comme fer que Sofia devait être encadrer.  

Le vendredi 4 mars arriva et je croisai Sofia pour la dernière fois, à Berkendael, la veille. Elle me soutenait qu’elle ne se rappelait pas de la journée du vendredi 28 janvier. Elle m’affirma : 

– Comment voulez-vous que je m’en prenne à un homme de plus de 1m80. Vous avez vu comment il est taillé ? Avec une balayette, il m’aurait mis à terre. Et jamais je ne m’en serais prise à ma petite, je l’aimais tellement. Elle est ma raison de vivre… 

Avec ce témoignage, je n’imaginais pas qu’une femme frêle comme elle, avait pu battre à mort deux individus. Malgré les empruntes et les preuves accablantes, je ne pouvais laisser une personne souffrant de maladie mentale, terminer sa vie en prison. Alors, je fis un choix, pour moi, logique à cette époque.  

Pendant le débat avec le juge, les avocats ainsi que le procureur du roi me fixèrent et on me demanda si mon choix était sûr. Je pris un petit temps avant de répondre de manière assuré que, oui. J’évoquai mon diagnostic final :

– La suspecte présente des symptômes marquants d’amnésie et un trouble dissociatif de l’identité évident. Elle n’a donc pas conscience des homicides. Je pense qu’elle devrait être interner dans un centre qui lui permettra d’être soigner. Aussi, elle a besoin d’être suivi à temps complet et cela pour une durée indéterminée.

Sur ces derniers mots, le procès s’était conclu. Le juge allait me donner le verdict une semaine après. En fin d’après-midi, John m’appela. Il était inspecteur de police et je ne sus pour quelle raison, il s’impliqua dans le dossier dont je me chargeais. Après quelques formules de politesse, il me balança : 

– Alors, tu as dit quoi au juge ? J’espère que tu n’as pas demandé à ce qu’elle soit interné dans ta clinique… 

Je me dis qu’il avait une audace de dingue pour me déclarer ça. Je répondis calmement : 

– Et bien, figures toi que j’ai donné un diagnostic qui va dans ce sens là. Pourquoi tu t’intéresses à cette affaire, en fait ? 

– Non, je comprends. C’est pour toi… je veux pas que tu prennes en charge une personne trop complexe. Je veux dire ce sera pas facile si elle te manipule.

– Ah oui…ne t’inquiètes pas pour moi, je m’en sortirais.

Il pensait que j’étais trop fragile pour m’occuper d’un cas comme celui-là. Ou alors, il était sûr qu’elle était trop dangereuse pour se faire enfermer dans un hôpital psychiatrique, comme si c’était le Club Med. Je ne concevais pas qu’il puisse réfléchir de cette façon. Et même si notre histoire avait duré plus de dix ans, je n’arrivais pas à croire qu’il pouvait songer de cette manière. Pour oublier cet incident, je téléphonai à Ralph afin d’aller nous détendre suite à ces trois semaines intensifs.

J’accueillis Sofia Bechar, dans ma clinique à Uccle, le lundi 21 mars 2011. Elle avait l’air intimidé par le complexe et pendant la visite, elle contempla l’endroit tel une enfant. Elle ne prononça aucun mot et lorsque je l’amenai à sa chambre je lui demandai si elle avait des questions. Elle me dit que non et s’allongea sur le lit. En fermant sa porte, Ralph me répéta si je pris la bonne décision. Je lui confirmai que le temps nous le révélera.

A notre première session, cet après-midi, je lui suggérai de tenir un journal qui pouvait l’aider. Comme elle était constamment convaincu que ses personnalités étaient des amies à elle, je lui avais sollicité de raconter leur vie, à chacune d’entre elle.

Ce carnet allait être le déclencheur de vérités insoupçonnées. Cela me prit presque dix ans pour tout découvrir. Des histoires qui, les unes après les autres, me laissaient entrevoir une fenêtre à peine ouverte.

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