L’Orbe de Renaissance, Chp V

14 mins

V

Au petit matin, les Gardiens avaient terminé le nettoyage. Oto avait rejoint le trio, et Harold avait récupéré son matériel de spécialisation coincé dans une petite besace. Le groupe s’était vu offrir des vêtements de voyage plus adaptés que les déguisements qu’ils possédaient, et de petites épées au cas où. Accompagnés d’une petite troupe de guerriers, ils se dirigèrent vers la sortie côté continent. Les discussions allaient bon train entre Oto et Harold. La joue de Sorn était encore douloureuse des coups reçus la veille. Dans sa tête, il avait un second combat perdu à son actif. Deux affrontements, deux défaites. Il se répétait qu’il gagnerait le prochain. Il n’avait jamais songé qu’il perdrait un combat, car la victoire était facile contre les mannequins de l’école.Il devait devenir un grand chevalier, il ne pouvait y avoir d’autre issue. Pour y parvenir, vaincre était primordial. Il se promit que le prochain combat serait conduit selon les règles. De la présentation à la défaite cuisante de l’adversaire. Il lui tardait de remettre le couvert.

Le jour finit par poindre au bout d’une allée. Le moment était venu de respirer un peu d’air frais. La lueur du jour vint leur chatouiller la rétine, et recouvrer la vue leur prit quelques secondes. Oto salua Harold, Ela et Sorn les un après les autres. Ela en profita pour s’excuser auprès du Maître pour les troubles causés par leur passage. Oto lui fît comprendre que cela faisait parti de son engagement et des lois qu’il suivait. Personne ne devait s’attaquer au réseau, encore moins mettre en péril une négociation. Sorn eût le droit à une petite baffe amicale sur sa joue endolorie en guise de salutation :
– Votre droit de passage est à présent incontestable, tant que vous ne dérogez pas à nos règles et tant que je serais le Maître de ces lieux. Dranac est dans cette direction, droit vers le sud-est. À pieds, vous devriez y être en moins de sept jours. Je vous souhaite bon vent. Que le hasard soit avec vous !
Sur ces mots, le groupe fît scission. Tels des chiens de prairies, les Gardiens retournèrent dans leur terrier. Pour rejoindre Dranac et plus encore Colver, la compagnie plongea au cœur de Verte-la-Forêt. Pour éviter toute mauvaise rencontre, ils faussèrent compagnie aux chemins balisés, préférant le longer en parallèle, protégés par une barrière vivante. Croiser de mauvaises gens était chose commune dans le coin, et ils n’avaient pas besoin de cela.

Voilà cinq jours qu’ils marchaient lorsqu’ils firent halte dans un petit bourg sans nom pour s’approvisionner. Autour d’un puits central, des maisonnettes couvertes de lierre portaient coquettement leurs cheminées éteintes. Sur la place au puits quelques marchands faisaient étalage de leurs produits, tandis que des gamins couraient après un chat noir en l’accusant d’être un sorcier. Une jeune femme vînt à leur rencontre, les prunelles inquiètes :
– Étrangers, ne vous enfoncez pas dans la forêt. Je vous avertis : le démon s’y cache !
– Le démon ?, demanda Harold.
– Depuis quelques jours le vent nous rapporte ses cris, et ses incantations. Parfois même, on dirait qu’il chante.
– Un démon qui chante ? C’est pas pire qu’un poisson qui parle !, ironisa Ela.
– Nous devons les aider ! C’est mon devoir de chevalier non ?, lança Sorn.
– Vraiment ? Vous pourriez quelque chose pour nous autre ?
– Certainement, et …
Il prît une gifle derrière la tête, et Ela tenta de désamorcer la situation :
– Cela aurait été avec plaisir madame, mais ce jeune homme est en plein examen de chevalerie et chaque seconde lui est précieuse alors vous comprenez….
– Je vous en prie, si vous pouvez réellement quelque chose pour nous, faites-le !
– Nous allons le faire madame. Je vous en donne ma parole !, annonça Sorn avec fierté réduisant la tentative de fuite d’Ela à néant.
Une autre gifle tomba. Harold leva les yeux au ciel, et Ela grimaça. Après tout, l’examen était celui de Sorn. Son temps lui appartenait, et ils le savaient. Sorn se frotta l’arrière du crâne et ses deux compagnons acquiescèrent à la requête. Ils iraient voir ce fameux démon.
La jeune femme leur avait indiqué la direction générale des bruits entendus dans la forêt, sa peur l’empêchait de les accompagner. Ils se mirent alors en quête de la bête. Au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans la forêt, la lumière fuyait la scène, et un calme étrange prenait ses quartiers. Sorn respirait de plus en plus rapidement. L’excitation de cette nouvelle confrontation prenait le dessus sur ses pensées. Il comptait bien essuyer l’affront ce ses deux défaites. Harold l’attrapa par le bras :
– J’ai comme l’impression que tu veux en découdre, mais nous devrions ralentir la cadence. Quelque chose ne tourne pas rond dans le coin. Nous ne sommes pas loin de midi, et c’est comme si le crépuscule était là.
– Qui plus est on ne sait rien de ce démon, ni même si il existe, ajouta Ela.
– Peut importe ce que l’on trouve. Je dois aider ces gens, je vais devenir chevalier après tout.
– C’est bien beau tout ça, mais est-ce que tu y connais quelque chose en démon ? Des cours de démonologie peut-être ? Est-ce que tu sais ce que c’est au moins ?
– Oui, oui. Le truc avec les démons là…
– Nous voilà bien !, se moqua Ela.
– Désolé, mais on ne pas tout savoir !; se défendit Sorn.
– Je ne savais pas, par contre, qu’il était possible de ne rien savoir du tout !
– On se calme tout le deux, tempera Harold. Pour faire simple, si vraiment nous tombons nez à nez avec un démon, autant dire que je ne donne pas cher de notre peau. Tu es sûr que c’est que tu veux Sorn ? Tu es prêt à risquer ton examen pour une confrontation totalement aléatoire ?
– J’en suis sûr.
– Dans ce cas, je te suis.
– Moi aussi, je ne voudrais surtout pas manquer de perdre la vie !, rajouta sarcastiquement Ela.
Ils progressèrent désormais prudemment, l’oreille tendue, les yeux grands ouverts. Il s’agissait de ne pas rater la bête. À pas de loup, ils inspectaient chaque recoin, les pierres étaient soulevées, les cimes examinées. Alors que Sorn déplaçait un énième caillou, un bruit de tout les diables retentit. Une longue complainte aiguë frappa leur tympan. Un cri déchirant suivit d’un balbutiement inaudible. Silence. Puis une mélodie vocalisée. Pas très jolie, mais proche de la compagnie. Ils serrèrent leur armes, et approchèrent le plus inaudiblement possible. La bête se terrait derrière un énorme chêne marqué par la vie, et elle chantait une chanson paillarde. Harold arma son pistolet à silex. Ils décidèrent de le prendre en tenaille, et Harold contourna l’arbre par le côté opposé. Il hurla  ‘MAINTENANT’, et ils se jetèrent sur la chose. Le pistolet de Harold fît grand bruit, le temps était à l’arrêt. La bête avait abaissé ses paupières pour ne pas affronter son destin. Harold avait finalement tiré en l’air. Au premier examen, la bête était humaine :
– La vache ! Vous m’avez foutu une de ces trouilles avec votre machin !, dit t-il la main sur le coeur. J’ai cru que mon palpitant allait exploser !
– Élégant personnage, commenta Ela.
– Élégant, élégant! Je voudrais bien vous y voir moi, la tête en bas comme un vulgaire cochon.
– Qui êtes vous ?, interrogea Sorn
– Autant pour moi ! En même temps après une telle entrée en matière, la politesse est secondaire non ?
– Vu les conneries que tu racontes, ça doit faire un petit moment que tu es dans cette position, non ?
– Un peu plus que cinq jours, j’ai la sève qui me monte à la tête.
– La sève ?, demanda Sorn.
– Oui, la sève grosse baluche ! Détachez moi maintenant !
Avant de le remettre sur pied, Harold vérifia qu’il n’était effectivement pas un démon, en lui collant sa croix d’Ulif sur le front. Trempée dans le Jus Sacré, celle-ci ne laissa aucune marque, soulageant le prêtre. Ils coupèrent la corde du jambon qui avait été pris dans un collet. Suspendu à une branche par le pied, la tête en bas, il s’abîma les vertèbres sur le sol dans un bruit de branches cassées et de feuilles mortes maltraitées :
– Merci ! Je commençais à voir flou.
– Tu m’as l’air plutôt en forme après un tel traitement, s’étonna Harold.
– Je suis un dieu local, ce n’est pas une suspension longue durée qui va me faire du mal.
– Un dieu local ! Après le poisson divin, il ne nous manquait plus que ça ! Au moins tu n’es pas un démon, dit Ela.
– Je suis Sorn, et voici Ela et Harold. Que pouvons nous faire pour te venir en aide ?
– Rien du tout, c’est moi qui vous doit une faveur. Foutu trappeur. Celui-là il n’est pas prêt de recevoir mes faveurs !
– Nous voulons récupérer l’Orbe de Renaissance, est-ce que vous pouvez faire quelque chose pour nous ?, demanda Harold. Après tout, si tu nous en dois une…
– Non, moi je suis dans le domaine de la faune et la flore, chasse et pêche tout ça quoi. J’administre Verte-la-Forêt, les prières, le quota animalier, en fait tout ce qui touche de prêt ou de loin à cet endroit. En dehors d’ici je suis pour ainsi dire, inutile.
– Pas de pouvoirs, de capacités particulières ?
– Si influer sur le destin d’êtres vivants n’est pas une capacité particulière, je ne sais pas ce que c’est ! Mais, à tout bien réfléchir, j’en ai une de capacité : je peux faire pousser des fleurs si j’en ai envie. Pas très utile, mais ça apporte une petite touche déco sympa, dit il en faisant pousser des fleurs aux pieds de Harold.
– Si nous ne pouvons plus rien faire pour toi, alors nous allons rebrousser chemin et prévenir les villageois que tout est réglé. Tu leur a filé la frousse à monologuer sous ton arbre.
– Je ferais en sorte que leur chasse soit bonne, ça me dédouanera. Je vous souhaite bon vent, et si vous avez besoin de quoi que ce soit quand vous êtes dans le coin, priez Umuss, et je vous entendrais !
Umuss regarda ses sauveurs retourner sur leur pas. Il était heureux d’avoir fait leur rencontre. Cela faisait quelques siècles qu’il n’avait pas parlé à un être doué de raison. La forêt retrouva son éclat de midi, les oiseaux avaient retrouvé leur la.

Le trio revînt au village triomphant. Les villageois présents les acclamèrent. Ils firent part de leur aventure, n’oubliant de mentionner la promesse d’Umuss. En guise de remerciement, les habitants leur offrirent des victuailles : fruits, fromage, œufs durs et un peu de viande séchée. Ils s’étaient ravitaillé pour pas un rond, et il y avait assez pour terminer la marche. Sorn avait le sentiment du devoir accompli, et il n’avait pas perdu tant de temps que ça.  Sous peine de complications, Harold prévint Sorn de ne pas manger les œufs à Colver. Le chemin les absorba de nouveau. Leurs sauveurs à peine évanouis, les villageois organisèrent une battue forestière. Il ne faudrait pas qu’ils se soient fait entourlouper par des étrangers. Les confronter aurait sans doute été trop dangereux, alors autant faire cela dans leur dos.

Après une bonne journée et demi de marche, la ville de Colver dressa ses bâtiments sur le chemin des voyageurs. Le temps était au beau fixe, mais la ville faisait froid dans le dos. Les constructions, bien qu’entretenues, étaient d’un gris sinistre. Des gardes patientaient aux portes de la principale entrée. Les gens qui quittaient le village avaient une mine morose. Au milieu de Verte-la-Forêt étincelante de couleurs, le contraste était saisissant. Les gardes aperçus au loin se révélèrent être des récupérateurs de taxes. Tout voyageur égaré était allégé. Des frissons se lancèrent à l’assaut de la colonne vertébrale d’Ela. Elle devait mettre la main à la poche, et cela inscrivait toujours un rictus de haine sur son visage. Délestés, ils furent introduit dans Colver où tout le monde faisait une tête de six pieds de long. Une colonne de moine de l’Orde de Cayuga serpentait dans les rues. Le nez fixé sur le sol, une robe grise sur le dos, ils ne se préoccupaient pas de quiconque se trouvant sur leur chemin. Le quidam avait pour devoir de s’écarter. Ils psalmodiaient dans une langue ininteligible par le commun des badeaux, et se frappaient le torse de la main droite, la gauche tenant l’épaule du moine précédent. Sorn ne prêta pas grande attention à cette file indienne, trop occupé à avoir le nez en l’air. La colonne le bouscula sans s’arrêter, et l’appendice facial de Sorn goûta la poussière. Il se releva, s’époussetant l’air hagard. Les moines continuaient de marmonner avant de s’évaporer au coin d’une tour ronde.

Dans l’eau d’une grande fontaine, Sorn entreprit de se rafraîchir. Tout le monde prenait repos, il était temps d’avaler quelque chose. Sorn savait qu’il restait un œuf dur, mais qu’il lui était interdit de le manger. Il le savait, mais la tentation était grande. L’idée de le déshabiller, et de caresser son tendre blanc le faisait saliver. À travers sa besace, il touchait la dure proéminence formée le désirable ovale. Ni tenant plus, il brisa la coquille petit à petit à travers le tissu de son sac. Chaque craquement avait pour effet d’accroître son envie. En prenant garde que ni Harold, ni Ela ne le regardent, il mis sa main dans son sac pour finir d’éplucher son vice. Il jouait avec la blanche et tendre chaire de l’oeuf sous ses doigts. Sa résistance craqua. Il cacha l’œuf dans le creux de sa main et le porta à sa bouche, prenant soin de cacher la friandise interdite. Ses dents croquèrent l’albumen, et le jaune atteint ses papilles en fondant délicatement. Sorn en frissonna de plaisir. Harold s’aperçu que quelque chose se tramait. Il se jeta sur Sorn, et tira sur son avant bras pour révéler ce que le malotru engloutissait. Sorn savait qu’il avait commis une erreur, et proférait des excuses la bouche pleine, postillonnant de l’œuf un peu partout. Trop tard le mal était fait. La fontaine fût immédiatement encerclée de soldats menaçants aux lances armées :
– Triple andouille ! Je t’avais prévenu pas d’œuf ici !
– Oui, mais pourquoi ?, dit-il la bouche encore pleine.
– Parce que c’est un blasphème ! Les œufs sont sacrés à Dranac !, s’énerva Harold. On ne t’apprend donc rien à l’école ?!
– Je ne savais pas désolé, s’excusa piteusement Sorn.
– C’est trop tard pour les excuses. Il n’y a plus qu’à prier pour qu’ils soient clément avec toi…
Il regarda piteusement ses compagnons qui ne pouvaient absolument rien pour lui alors que les soldats le saisissaient par les aisselles. Ses pieds traînaient sur le sol, et traçaient un sillon d’incompréhension. C’est ainsi que Sorn fût emmené par les soldats de Colver vers les geôles de la prison communale.
Le délinquant était coincé dans un trou, en sous-sol avec pour seule fenêtre un soupirail qui donnait sur la cour de la prison. Aucune des trois maximes de son guide ne sauraient lui venir en aide dans cette situation. La geôle mesurait moins de trois mètres sur trois, une planche de bois s’imaginait en lit de luxe et un seau troué prenait très à cœur son rôle de pot de chambre. Une araignée aux longues pattes, et un ou deux rats fréquentaient aussi les lieux. La cellule la plus proche de Sorn était habité, par un étrange personnage pas mal moche. Un joaillier, qui n’avait de cesse de jacter à propos d’une bague qu’un nain lui aurait subtilisée. De temps à autre, il adoptait une voix différente, et parlait comme si deux personne occupait la pièce, ce qui inquiétait pas mal Sorn. Depuis son installation, il tournait en rond, ressassant les évènements de la journée. Il se sentait idiot de ne pas avoir écouté les avertissements de Harold. Il aimerait revenir en arrière et se retenir d’avaler cet œuf ! Dans un autre coin de sa tête, sa quête le tarabustait. Cette mésaventure avait pour conséquence de le ralentir encore et cela le chagrinait. Il avait l’effroyable impression que le monde entier se liguait contre lui et qu’il n’achèverait pas son examen. Le pire étant que rien ne lui autorisait une quelconque projection temporelle, personne ne lui avait dit combien de temps il allait moisir ici. La serrure de la porte émis un bruit d’ouverture, et la porte de la cellule bascula. Une femme arborant une coiffure sophistiquée  fît son entrée. Elle toisa Sorn du regard. Pour elle, un tel affront ne pouvait être que de l’idiotie profonde.
– Bonjour. Je suis maître Orpington. Je suis chargée de votre défense au tribunal.
– C’est si grave que cela de manger un œuf ?
– On aurait pu vous inculper pour stupidité profonde, mais ce n’est malheureusement pas le cas.
– Cela ne m’avance pas vraiment.
– Pour un retardé, rien d’étonnant. Avancez je vous prie. Je vous conduis à votre procès.
Sorn sorti de sa geôle, et fût menotté par un soldat. Sous bonne escorte, il suivit la coiffure emplumée. Les gens sur son passage l’insultait et crachait par terre. Les plus enhardis s’essayaient au lancé de légumes. Sorn était devenu un ennemi pour le peuple. Il aperçut ses deux compères dans la foule. Harold lui fît comprendre qu’il était sur quelque chose. Sorn doutait que le temps les laisserait faire. Après tout, le procès aurait lieu dès que le tribunal serait atteint. En attendant, l’incompréhension régnait sans partage dans le cortex reptilien du jeune homme. Pour toute vérité, et bien qu’ils s’affairaient, Harold et Ela n’étaient sur aucune piste. Les hommes de loi répondaient négativement lorsqu’on leur posait la question d’une solution. Ce crime était le pire qui puisse être commis en ce royaume. Personne, jusqu’ici, n’était parvenue à éviter la peine capitale pour un tel chef d’accusation. Sorn montait les marches du tribunal avec le plus de noblesse possible, le menton bien haut, bien qu’intimement persuadé qu’il courait à sa perte. Un chevalier doit montrer l’exemple en toute circonstance. Les couloirs du tribunal étaient pavés de marbre, l’écusson à base de plumes croisées du royaume était brodé sur des étendards qui tenaient compagnie aux piliers de voûte. Le couloir menant au tribunal était vraiment très long, mais il semblait trop court pour Sorn. De l’intérieur, il entendait distinctement les invectives du dehors. Les talons claquaient en écho, sa respiration battait aussi fort que son cœur ne soufflait. Il allait vers une possible fin, son être le lui disait. Ses sueurs froides aussi. Le tribunal était plein. Sorn fût assis à la place de l’accusé, Orpington pris place à ses côtés. Elle lui expliqua qu’elle serait sa défense. Une nouvelle qui le laissa de nouveau sans voie :
– Qu’est-ce que je risque ?
– De perdre la tête rien de plus.
– Vous savez moi je veux juste devenir chevalier. Je ne connaît rien des coutumes de votre royaume. Je ne voulais pas faire quoi que ce soit de travers et…
– Pourtant vous n’y êtes pas allé de main morte. Si vous voulez mon avis, oubliez ces histoires de chevalier, ça n’est pas pour vous.
– Ce n’est pas la première fois que j’entends ça. Mon père me le disais souvent.
– Un homme d’une grande sagesse à n’en point douter. Maintenant, priez tout ce que vous pouvez, parce que ce n’est pas moi qui le ferait pour vous.
Leur discussion fût interrompue par trois coups de bâtons. Le public se leva comme un seul homme, et trois autorités firent leur entrée. Coiffé d’un petit chapeau à plume, et portant une veste en velours d’une couleur difficile à nommer, ils se courbèrent vers la salle en guise de salutations, et prirent place. Une voix vînt du haut de la salle. Sur le balcon un homme s’égosillait voluptueusement :
– Mesdames, Messieurs, citoyens de Colver, je vous prie d’accueillir votre bien aimé, merveilleux, sublime et fidèle roi : Tadorne 1er!
Du bras il indiqua une direction. Il courbetta et un homme engoncé dans des vêtements trop luxueux, et une perruque alourdies de gemmes fît son apparition. Il présenta son sceptre à tête de canard à la foule qui applaudit de joie. Dans un gros fauteuil remboursé, le bon roi écrasa son précieux postérieur.
– Le roi est assis. L’accusé est au trois juges !
L’assemblée se tourna vers les juges, qui ôtèrent leur couvre-chef. Celui du centre l’autorisa à s’asseoir ; ce qui fût fait dans une cacophonie légère. Le juge central prit la parole :
– Mes premières salutations iront à notre bon roi grâce à qui la justice peut être rendue et la paix maintenue.
Ce dernier acquiesça d’un mouvement de sceptre.
– Messieurs, dames bonjour. Je vois que vous vous êtes massivement déplacé, et nous vous en remercions. L’argent récolté ira à l’association de défense des palmipèdes orphelins du quartier du Cloaque.
La salle applaudit.
– L’affaire qui nous réunit aujourd’hui est d’une plus extrême violence. Un z’oeuf a été dévoré.
L’assemblée se mit à faire des messes basses tout haut.
– Silence je vous prie, ronfla le juge de droite.
La salle se tut.
– Merci, rétorqua le juge de gauche.
– Assassin, hurla-t-on de manière anonyme un citoyen aléatoire.
– Assez, réclama le juge central. Nous avons une affaire à traiter.
Sorn n’y croyait pas. Jugé pour un œuf, ses oreilles aurait aimé être sourdes. Quelles mœurs barbares pouvait bien consacrer un œuf ? Ela et Harold avaient rejoint la foule de pauvres qui de se tenait debout dans les hautes traverses, là où l’on ne voit qu’un bout de la scène.
– Madame la défense, qu’avez vous à dire.
– Et bien pas grand chose votre éminence. Mon client est un idiot, doublé d’un étranger. Il a mangé un z’oeuf, mais ignorait tout de nos coutumes.
La salle houhouta.
– Silence, asséna le juge de droite.
La salle s’exécuta.
– Merci, répondit le juge de gauche.
– Accusé, qu’avez vous à déclarer, demanda le juge central.
– Je demande pardon à la ville de Colver pour mon acte. J’ignorais tout de vos coutumes, et je ne recommencerais pas. Promis !, dit-il en levant la main droite.
– Aaah, fît la salle qui appréciait.
– Silence, asséna le juge de droite.
La salle se tut.
– Merci, dit le juge de gauche.
– Le débat est terminé, nous allons passer à la suite, enchaîna le juge du milieu.
– Les dé-liberations ! Les dé-libérations, s’excita la salle.
– Silence ! frappa le juge de droite.
– Merci, remercia le juge de gauche.
– Un jury est apparemment présent, si celui-ci a un avis qu’il se fasse entendre, déclara le juge central.
– Coupable, déclara donc le jury.
– Que déclare notre bon roi ?
Tadorne Ier leva lentement son royal avant-bras, tendit son pouce et d’un monarchique tour de poignet pointa le sol. L’égosilleur s’arracha mélodiquement les cordes vocales :
– Notre sagace roi à l’esprit affûté déclare l’accusé coupable !
– Ce sera donc la mort par décapitation à l’encontre de l’étranger naïf, acquiesça le juge central.
Les oreilles de Sorn bourdonnaient. La mort ! C’était tellement ilégendaire de trépasser comme cela, et plus encore pour ce motif. Il était sûr d’être la risée du cimetière, une honte pour la chevalerie. Le juge central termina :
– Si quelqu’un dans la salle n’est pas d’accord avec ce jugement, qu’il se lève et parle où bien qu’il se taise à jamais.
Ela, qui était déjà debout, s’exprima de façon capitale :
– JE REFUSE !!
Dans la salle, l’étonnement avait pris tout le monde par surprise. Jamais aucun quiconque ne s’était opposé à une sentence. Autour de Ela, tout le monde avait profil bas en s’asseyant à même le sol (et un peu les uns sur les autres à cause du manque d’espace). Après avoir repéré son interlocutrice le juge central demanda :
– Et Pourquoi donc, questionna le juge central.
– Parce que, rétorqua Ela.
– Et pourquoi parce que ?
– Parce que pourquoi pas.
– Comment ça parce que pourquoi pas ?
– Sans doute parce ce que ; non ?
– Sans doute, mais cela ne nous donne pas le pourquoi du comment !
– Comment cela ? Serait-ce parce que mon pourquoi pas est sans doute ?
– Elle est forte, marmonna le juge pour lui-même.
Tout haut le juge déclara :
– Bien nous allons conciliabuler.
Les trois juges formant un triangle impénétrable, dos à la foule, mais toujours sur l’estrade. Dans le tribunal tout le monde cherchait une logique à la passe d’arme entre le juge central et l’étrangère. Le suspense était a son comble. Soudain le juge central fît de nouveau face à l’assemblée :
– Nous avons conciliabulé : le coupable est innocent. Cependant, l’innocent devra avoir quitté Colver avant les premières lueurs de l’aube demain matin, sous peine d’être coupable à nouveau. Vous pouvez disposer.
Le juge central frappa du marteau sur son bureau, et la salle se fendit d’un soupir de soulagement, tout comme Sorn. Le roi applaudit, satisfait de la pièce qui s’était déroulée sous ses royaux globes oculaires. La défense serra la main de l’acquitté. Elle était vraiment heureuse d’avoir participé a ce procès, car grâce à ce verdict elle resterait à jamais dans les livres d’histoire pénaux Colverien. Harold serra Ela dans ses bras qui le repousssa sans ménagement. La salle se vida aussi rapidement qu’une respiration asthmatique, laissant Sorn seul au milieu de tout. Le jeune homme ne broncha pas pendant un bon laps de temps, et se furent ses deux compagnons de route qui le sortirent de sa torpeur. Ela, Sorn et Harold se regardèrent dans le blanc des yeux sans savoir quoi dire. La gente féminine brisa le malaise :
– On va fêter ça peut-être ?
Sorn, heureux mais penaud acquiesça.

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