Quelque part dans le sud de la France, part 1, Chap 2

7 mins

PARTIE 1



CHAPITRE 2


   Dépensant l’argent durement gagné lors de leur partie endiablée, Jeff et Yann sont posés contre le comptoir avec pour compagnie un verre de Ricard. Lorsqu’ils ne jouaient pas à la pétanque, ils passaient le plus clair de leurs temps dans le bar de Miche. L’endroit était vieillot mais avait un sacré potentiel. C’était spacieux. Il y avait même une petite scène au fond du bistrot parfait pour faire venir un groupe. Chose qui n’était pas arrivé depuis bien 10 ans. Faut dire que Miche n’était plus très jeune et avait perdu toute sa motivation au fil des années. Cela faisait bien quarante ans qu’il tenait ce bar, qui appartenait à l’époque à sa mère. Pas qu’il était malheureux mais il pensait sérieusement à raccrocher. Il avait mis assez d’argent de côté pour arrêter, et consacrer le reste de son temps à sa passion : La pêche. Il s’était acheté récemment un float-tube, un engin pneumatique propulsé à l’aide de palmes. Il avait pour projet de passer la fin de sa vie dans l’Aillier pour pêcher dans la Sioule, l’une des plus belles rivières du Massif Central. Le problème, c’est qu’il galérait à trouver un repreneur. Qui voudrait d’un bar à Cachouac ? On peut dire que le village n’était pas très attirant et en plus de ça Miche était exigeant. Il voulait quelqu’un qui tienne la route car il avait une grande attache émotionnelle pour ses lieux. Depuis qu’ils le connaissaient, Miche vivait seul. Ceci est sans doute aussi un frein à la vente de son bistrot. La peur de la solitude qui était pour le moment estompée par ses clients. Mais en toute honnêteté il était temps qu’il se décide à le vendre. Miche ne faisait plus aucun effort pour entretenir ses locaux. La décoration était douteuse. Elle datait du siècle dernier. On retrouvait accroché au mur des têtes de sangliers, de chevreuils empaillées, ce qui mettait mal à l’aise les nouveaux clients qui avaient l’impression d’être observés en permanence. Seuls les amis de Miche et les derniers habitués se rejoignaient ici pour boire l’apéro, dont bien évidemment nos deux comparses.
-Félicitation les jeunes, vous vous améliorez, teh ! Les complimente Miche.
-Si on continue comme ça, on a nos chances pour le championnat d’Aveyron, se vante Yann.
Dépités, Dodge et Roger font leur apparition dans le bar. Yann ne peut s‘empêcher de les chambrer de nouveau.
-Alors, on fait moins les malins les blaireaux, vos 30 ans de carrières vous ont pas suffi à nous prendre on dirait.
Sans un mot, les deux hommes traversent le bistrot, têtes baissées, remplis de honte. La pétanque était ce qu’ils avaient de plus cher au monde. Cette défaite était vécue comme une humiliation. Ils s’installent le plus loin possible de Yann pour éviter ces moqueries.
-Allez laisse les un peu, pas besoin d’en rajouter, tempère Jeff.
-Quelle bande de trou du cul.
Etant les deux seuls jeunes qui venaient régulièrement au bar, Miche les apprécié. Discuter avec eux lui permettait de faire un bon dans sa jeunesse. Ces vieux tatouages de prisonniers montraient à quel point elle devait être mouvementée. Il avait connu la grande époque où les bars fourmillaient de monde. Où les concerts avaient lieu chaque week-end. Sur ses bras on pouvait distinguer une femme nue parmi différents objets marins (encre, bateau, canne à pêche…) ou encore une toile d’araignée située au niveau du coude qui avait pour signification que la personne est restée si longtemps assise qu’une araignée a eu le temps de tisser une toile. Il en avait une autre imposante qui lui recouvrait le cou. Toute sa vie dans ce bar, tu m’étonnes qu’elles ont eu le temps de se tisser.
– Vous avez un truc de prévu les jeunes ce week-end ?
-Ouep. Je suis en congé cette semaine. On va en profiter pour aller au festival des « Forget all Worries » à Bacares. On va enfin pouvoir se lâcher et prendre du bon temps ! Je suis comme un fou, s’enthousiasme Yann qui attend cet événement comme le messie de sa vie.
-Vous avez raison, profitez bien tant que vous le pouvez.
-Calme toi Yann, on sait toujours pas comment on va y aller encore.
-Quand on veut, on peut toujours…
Yann s’enfile son verre avant d’en commander de nouveau.
-Deux autres riflons s’te plait Miche.
Jeff refuse. Sa bonne conscience lui dit de rentrer. Il a une multitude de tâche à faire demain. Rien qui ne l’enchante, ni ne le passionne mais bon faut les faire. Ceci fait partie des obligations d’une vie en société. Yann insiste lourdement. Il n’a pas eu son compte, il y a encore de l’argent dans l’enveloppe et puis Jeff ne va pas le duper. Il est le plus gros branleur que la terre n’est jamais portée même si vous voulez mon avis Yann n’est pas si mal placé non plus.
Jeff commence à hésiter. Yann sentant une faille, en profite pour sortir sa phrase fétiche.
-Fait pas chier, on a qu’une vie !
-Bon, beh c’est le dernier alors, y a Amy qui va m’attendre.
-Ce n’est pas une excuse ça, j’ai envie de chier depuis 4 heures et je fais pas autant d’histoire.
C’est une défense qui paraissait valable aux yeux de Jeff. Yann encaissait mal la pression malgré sa grande gueule. Il n’avait pas fallu deux parties de pétanques pour que le bougre avait déjà envie de chier. Vous vous dites pourquoi il n’y a pas été ? Par ce que vous n’avez jamais mis les pieds dans les chiottes de « L’embuscade ». Les clients avaient pris l’habitude de pisser dehors, même les femmes. Si t’avais le malheur de t’asseoir sur la cuvette, tu ne savais pas combien de putain de maladie tu pouvais chopper. Même les pires chiottes d’Edimbourg (référence à Trainspotting) paraissaient irréprochables au niveau de l’hygiène. Et puis l’odeur… T’y rentrais pour chier, t’en re-sortais pour vomir.
Lorsque le barman servit un nouveau verre à Jeff, ce dernier se doutait qu’il était engané pour quelques heures de plus. Au fil des discussions, il oublia rapidement sa conscience et Amy par la même occasion. Il vivait avec elle depuis environ 9 ans dans une petite maisonnette à, à peine 2 km du bistrot. Ils s’étaient rencontrés à 17 ans et ne s’était plus jamais quitté. Ils étaient comme accros l’un de l’autre, et ne pouvaient pas passer 10 minutes sans l’autre. Un amour fou que la banalité du quotidien avait écrasée pour laisser place à la platitude extrême.
Pendant qu’ils discutaient de tout et surtout de rien, un jeune homme, Lenny accoutré comme un rappeur tout droit sorti des années 90, habillé d’un survet’ trop grand et coiffé d’une casquette à l’envers, fit son apparition dans le bar, avec un élan d’assurance. Il se pose contre le comptoir et commande un Ice-Tea à Miche sans la moindre politesse.
Son arrivé rend Jeff mal à l’aise. Il tente de se cacher derrière l’imposant gabarit de Yann. Jeff connaissait Lenny depuis le primaire et ils s’entendaient plutôt bien durant sa jeunesse. C’était un gamin assez réservé qui n’avait pas eu la vie facile. Son père était le plus gros pochtron du village et n’arrêtait pas de fritter sa mère dès qu’il mettait les pieds chez lui. Lenny avait complètement changé de caractère lorsqu’il se mit à traîner avec des gars plus âgés. Peut-être bien pour chercher un vrai repère paternel auquel s’identifier. Le problème était que ces mecs ne valaient pas mieux que son père. Il est devenu une vraie crapule, se prenant pour l’exact opposé de ce qu’il était réellement. Au fond, Jeff ne pensait pas que c’était un mauvais bougre mais les fréquentations changent un homme.
-Qu’est-ce qui te prend ? Demande Yann à Jeff.
La réponse est toute simple. Récemment, Lenny est devenu le dealer attitré de marijuana de Jeff et ce dernier lui doit un sacré paquet de pognon.
-T’y dois combien ? L’interroge Yann.
-De la dernière fois ou depuis le début ? Jeff n’en a aucune idée mais sait de toute façon qu’il n’a pas l’argent pour le rembourser.
-T’es pas croyable ! Répond Yann en se tapant une bonne tranche de rire.
Malgré tous les efforts de Jeff pour passer inaperçu, Lenny sait pertinemment que ce dernier se trouve dans les parages. La moyenne d’âge avoisinant les 60 ans, il ne tarde pas à lui mettre la main dessus.
-Putain de merde je suis grillé !
-Tu veux que je m’en mêle ?
-Non, non, mec n’aggrave pas la situation.
Avec assurance, Lenny se dirige vers le duo d’amis, comme si balancer ses bras et ses jambes étaient un signe d’intimidation. Avec son accent tout droit sorti des cités du 95, alors que qu’il n’avait jamais mit un pied en dehors de Cachouac, il commence son numéro d’intimidation.
-Tu te souviens que tu me dois du fric, sale bâtard ?
-Oui, oui, bien sur, on en parlait justement.
-J’en ai rien à foutre frère, t’es entrain de picoler comme un trou avec le fric que tu me dois, t’es sérieux pédé?
-Non, non c’est pas ce que tu crois. C’est Yann qui vient de me payer un coup, je n’ai pas une thune en ce moment.
-J’en ai rien à foutre de tes histoires, je veux mon fric dans la semaine frère, sinon je te jure qu’avec mes potes on va t’attraper, fils de pute.
-Y’a pas de soucis, je vais te les rendre le plus rapidement possible.
Pendant que Lenny continue de mettre la pression à Jeff, Yann, nerveux de nature, sirote son verre, silencieux, un sourire nerveux crispé aux lèvres, à deux doigt d’exploser. Ressentant cela comme un signe de provocation, Lenny, faisant bien une tête de moins que Yann, se met sur la pointe des pieds pour atteindre son visage et le confronter.
-Wesh, t’as quelque chose à me dire toi ?!
Yann reste silencieux.
-C’est ça, retourne te cacher derrière les jupons de ta mère. Je vous préviens jouer pas aux cons avec moi, j’ai du monde derrière, si c’est les emmerdes que vous voulez, y’a pas de soucis.
Yann qui se contenait jusqu’alors, ne peut s’empêcher de faire un commentaire dans un calme surprenant.
-Tu te répètes.
Lenny devient fou de rage.
-Quoi ?! Qu’est-ce que t’as dis ?!
Son visage est rouge sang. Celui de Yann n’est pas beaucoup plus pâle. La différence entre les deux n’est d’autre que Lenny n’a aucune réelle haine envers Yann. Tandis que pour ce dernier, elle n’a pas arrêté de monter au fil de la conversation. Connaissant son tempérament, Jeff passe sa main sur le torse de son ami pour tenter de l’apaiser. Observant la tension montée au fil de la discussion, Miche décide d’intervenir avec son charisme naturel pour éviter que tout cela finisse à la bagarre.
-Maintenant ça suffit les jeunes. Tu finis ton verre et tu t’en vas. Personne ne vient foutre la merde dans mon bar. C’est un lieu convivial ici.
Lenny continue de défier Yann du regard. Il prend son Ice-Tea et le finit d’un trait.
-J’en ai pas fini avec toi, je veux mon blé t’as compris ?!
Jeff hoche la tête pour acquiescer mais au fond il s’en fout royalement. C’était un « je-m’en-foutiste » de nature et très peu de chose pouvait l’atteindre et surtout pas une petite racaille aux affaires trop longues. Sur ses derniers mots, Lenny quitte enfin les lieux. En soufflant, Yann le regarde partir, tapant dans ses mains à la manière de Bernard Blier dans les tontons flingueurs, lançant un tas d’insultes en son encontre lui permettant de relâcher ses nerfs. Jeff dans son calme habituel, fait la part des choses, reconnaissant qu’il était en tort sur ce coup-là. Au vu de sa consommation journalière de marijuana qu’il ne payait pas depuis des semaines, il lui devait sans doute un sacré paquet de pognon. De toute manière quoi que tu fasses tu ne le rendras pas plus intelligent. Et puis ça ne sert à rien d’en débattre, c’est déjà du passé tout ça, il faut penser à rentrer.
– Oh ! Pop ! Pop !, c’est la tournée du patron » se met à hurler Miche.
« Merde » se dit Jeff, « celle-là, elle ne se refuse pas. »

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