Un conte d’ombre et de lumière
Il était une fois deux sœurs jumelle : Ténébris et Luxa. L’une était l’Ombre, l’autre était la Lumière. L’une avait la protection de la Lune, l’autre, la bénédiction du Soleil.
Leur état de divinité n’effaçait en rien leur ennui cependant. Tout ce qu’elles avaient à faire pour accomplir leur rôle… était d’exister. Bien évidemment, elles avaient quelques avantages. Luxa pouvait créer des éruptions solaires plus ou moins grandes, plus ou moins dévastatrices, tandis que Ténébris se faisait régulièrement un plaisir de faire danser les étoiles tout autour de la Terre. Quand les deux sœurs voulaient se distraire autrement, elles se mettaient à observer l’être vivant le plus complexe et intéressant que le Créateur ait inventé : l’Homme.
D’ordinaire, elles ne se lassaient pas de ce spectacle sans fin depuis les cieux. Cependant, un jour, Ténébris eut une demande qui interpella immédiatement Luxa.
“Dis sœurette… pourquoi ne pouvons-nous pas vivre comme eux, nous ? Manger, dormir, s’amuser, vivre ! Avec nos dons et notre sagesse, nous pourrions même leur montrer comment rendre leur monde meilleur!”
Luxa avait alors eu un sourire triste. Malgré le fait qu’elles aient été créées ensembles, l’allégorie de la lumière avait toujours eu l’impression d’avoir plus de maturité… moins d’innocence que sa sœur.
“Tout simplement parce que nous ne vivrions pas comme eux, Bris. Vivre ici ou sur Terre dans nos conditions actuelles… Réfléchis, nous ne pouvons, ni ressentir quoi que ce soit de physique, ni goûter à quelconque nourriture, et nos apparences sont loin d’être quelconques pour eux. Regarde-toi, tu es aussi pâle que la Lune, et les étoiles se reflètent dans tes cheveux, tandis que le Soleil illumine les miens. Les humains ne pourraient pas me regarder sans que leur pupilles ne soit brûlées instantanément !”
Il y eut un silence, jusqu’à ce que Ténébris se lève d’un coup, un immense sourire au lèvre, et le regard perdu dans ses rêves.
“Pourquoi ne pas vivre temporairement dans la peau d’un mortel alors ? Nous pourrions demander cela au Créateur, tu ne penses pas ? Il a créé la vie, l’Univers, et tout le reste, alors pourquoi ne pas nous offrir les plaisirs auxquels les humains ont accès ? Il en est forcément capable !”
La Lumière, moins optimiste que son alter ego, allait de nouveau répondre, mais se tut en voyant le bonheur irradier du visage de sa sœur. Si il y avait bien une chose qui lui tenait plus à cœur que son rôle, c’était bien de rendre Ténébris heureuse. Cette-dernière, toujours plongée dans ses rêveries, n’avait pas remarqué l’expression troublée de Luxa, et n’avait pas cessé son monologue sur ce qu’elle comptait faire sur Terre.
“… pourrait voir les étoiles, et les aurores boréales depuis la Terre, tu te rends compte ? Et faire des souhaits, lorsque je ferai défiler des comètes au ras de l’atmosphère !”
Luxa se contenta de sourire. La vie parmi les humains, cela ne devait pas être si difficile que ça, non ?
Ainsi, au lever du jour suivant leur demande, les deux jeunes filles se réveillèrent dans le monde des mortels, les paroles du Créateur fermement ancrées dans leur esprit.
Vos âmes sont immortelles, vous ne vieillirez pas. Cependant, gare aux blessures, ou aux maladies. Vos corps peuvent être détruits. Si cela arrive, vous retournerez vivre dans les cieux à jamais.
Luxa regarda sa sœur et lui adressa un tendre sourire : Ténébris ne pouvait s’empêcher de jubiler, découvrant sa nouvelle vie, alors qu’elle-même contenait sa curiosité face à ce nouveau monde qui les entourait.
“Sœurette ! Sœurette ! Regarde l’herbe, comme elle est douce et humide !”
Et cela continua un certains temps. L’Obscurité, fascinait, exprimait sa joie de découvrir cet étrange environnement dans lequel elles était, et s’extasiait devant la découverte des divers sens, dont elle avait longtemps été privée. Luxa, fidèle à elle-même, ne put s’empêcher une remarque, espérant que Ténébris prendrait conscience de leur situation.
“Bris… Ne t’attache pas trop à ce monde. Nous n’avons qu’une vie ici, et je n’ai pas envie de te voir ruminer le reste de notre éternité là-haut.
– … je sais. Mais puisque nous n’avons qu’une vie… pourquoi ne pas la vivre pleinement, justement ? C’est un rêve que je réalise, pourquoi ne pas en profiter ?”
Les filles partagèrent un sourire, puis continuèrent à explorer la forêt dans laquelle elles avaient apparu. Tout en regardant tendrement sa sœur, Luxa se promit de ne pas gâcher ce rêve impossible qui venait de se réaliser.
Les premiers humains qu’elles rencontrèrent furent des enfants jouant sur une place publique. Le crépuscule était déjà bien avancé, et Ténébris vit alors une occasion de briller. L’incarnation de la Lumière n’eut pas le temps de la retenir qu’elle partit en direction des enfants qui étaient sur le point de rentrer chez eux.
Après de brèves paroles que Luxa n’entendit point, Ténébris pointa le ciel du doigt aux jeunes humains, et comme peignant dans cette immensité sombre parsemée de petites lumières, traça les trajectoires des étoiles filantes. Alors que les enfants étaient émerveillés face à cette démonstration irréelle, les parents et les voisins qui avaient observé la scène de loin crièrent sans une once d’hésitation à la sorcellerie.
Luxa n’eut pas le temps de réagir lorsque les humains agrippèrent Ténébris pour la livrer à l’inquisiteur de la ville. Aucune des sœurs ne comprirent ce qu’ils se passait, et les accusations fusèrent de toute part.
“Sorcière !” “Pécheresse !” “Vile tentatrice !”
L’Obscurité, touchée en plein cœur par ces mots, s’écroula, en larmes, et cessa de lutter. Elle ne se leva pas, ne se défendit pas. Quand, finalement, la milice l’emmena vers le bûcher, elle paniqua.
“Non… Non ! Luxa ! Sœurette ! A l’aide ! Je ne veux pas ! Pas maintenant ! On n’a même pas vu d’aurores boréales ! Et… Je veux vivre plus longtemps ! Non ! Je ne sais encore rien de ce monde !”
L’incarnation de la Lumière, paralysée par l’horreur, vit ces hommes cruels allumer le brasier. Elle finit par se reprendre, et essayer d’éteindre le feu, mais hélas… Luxa était la lumière, pas la chaleur… Elle assista, impuissante, à la fin prématurée et particulièrement douloureuse de sa sœur adorée et de son plus grand rêve.
Les yeux rivés sur les flammes, elle fulminait. Ténébris, par pure générosité, avait voulu descendre sur Terre afin d’aider les Hommes à bâtir un monde meilleur, et ceux-ci l’avaient brûlée ! Levant les yeux au ciel, la Lumière sentit sa rage et sa frustration monter encore d’un cran : il faisait encore nuit, elle n’était pas au plus haut de sa puissance. Puis elle se calma…en apparence. D’après ce qu’elle avait observé depuis tant de temps, elle avait appris une chose. C’est que les humains apportaient une très grande importance à leur succession…
Le jour se leva enfin, et tous les habitants du village firent face à une vision des plus…surprenantes.
Luxa se tenait au-dessus des restes du bûcher de la malheureuse Ténébris, le regard sombre, et incliné vers le bas. Une fois qu’elle fut sûre qu’elle avait l’attention d’un bon nombre d’humains, elle prit la parole d’une voix glaciale.
“Ainsi, c’est comme ça que vous accueillez un cadeau divin…”
Elle se tut un instant.
“Nous sommes descendues sur Terre, pour savoir ce que cela faisait… d’être humain. Je suppose que je ne comprendrai jamais votre espèce en fin de compte… Tant de haine… Tant d’intolérance !”
Elle leva la tête, les yeux rougeoyant d’un profond désir de vengeance.
“Nous étions à peine arrivées, et vous avez déjà commis l’irréparable !”
Puis, levant la main vers son public paralysé par la peur, elle s’adressa d’une voix rauque.
Vous sortirez indemnes de notre confrontation
Ce qui ne sera pas le cas pour une prochaine génération !
Des mois, des siècles, des années
Qu’importe dans combien de temps, je reviendrai !
Et alors que leurs yeux brûleront,
Ils regretteront l’injuste assassinat de l’Ombre !
Sur ce, Luxa disparut dans un éclair de lumière, laissant peser cette lourde prophétie sur Terre.
Pendant ce temps, une figure de l’ombre pleurait l’absence de clémence de sa sœur. C’était elle, le dernier espoir de la vie sur Terre.