Simulation (partie 1)

4 mins

8h10.

Le brouillard pesait sur la ville. Une couche épaisse d’un gaz importun, avalant impunément gare et bâtiments de la place Louis Armand. Voitures, taxis et camions roulaient au ralenti sur le boulevard Diderot, encore groggy. Les piétons emmitouflés dans d’épais manteaux, tentaient de se frayer un chemin, le long des chaussées humides. Hier encore, le soleil balayait les terrasses de café de sa douceur automnale. Le lendemain, la grisaille hivernale s’immisçait dans nos vies, aussi collante qu’une rhinite chronique. Et en un instant, Paris redevenait cette ville que j’avais quittée, quatre ans plus tôt.

Le panneau d’affichage indiquait un départ dans quatre minutes.

Sur le quai, les derniers passagers en profitait pour saluer chaleureusement leurs proches.

J’effleurai la poche de mon pantalon espérant que mon portable se mette subitement à vibrer.

8h13.

Nerveuse, je pris le téléphone et l’inspectai minutieusement. Aucun appel manqué, ni texto.

Le quai était à présent désert. Seul un homme, coiffé d’une casquette blanche ornée d’un ruban rouge, s’écartait lentement de la locomotive, un sifflet à la bouche.

Je m’élançai dans sa direction.

« Attendez ! ».

(Il se retourna.)

C’était un homme au visage doux, mais ayant probablement exercé son métier trop longtemps. Il arborait une veste de blazer au col abîmé, ainsi qu’une cravate de couleur fade.

« Monsieur, dis-je en tendant mon billet, je ne trouve pas la voiture six, pourriez-vous m’aider ? »

Il mit l’objet métallique dans sa poche, décorna le ticket, puis se racla la gorge.

«Pour ce trajet à bord du TGV n°7740 à destination de Bordeaux Saint Jean, les trois voitures premières classes se situent à l’arrière du train, repère G. Ici, vous êtes repère B et …. , (il soupira), votre billet n’est pas composté. »

Il examina sa montre.

-Je vous invite à monter immédiatement Madame. Une fois installée, vous l’indiquerez au contrôleur.

« Monsieur, mon compagnon est en chemin, j’ai son billet avec moi », dis-je, inquiète.

Le front de l’homme se plissa, laissant apparaître de profondes stries.

« Il est au niveau de la porte maillot, il devrait arriver d’une seconde à l’autre .

-Impossible », rétorqua le chef de gare. Le tunnel est fermé au niveau de la rocade sud. Le contourner prend facilement vingt minutes.

Un bourdonnement considérable se fit entendre.

« Faites attention à la fermeture des portes », dit-il en me tendant mon billet d’une main, l’autre fouillait sa poche.

Bill va le manquer, Aline part au bloc dans une heure. Misère.

Aussitôt, mon cœur se serra. Je plongeai la main dans la poche de mon manteau et en tirai un cachet que j avalai.

« Tout va bien Madame ? »

Ce n’est pas possible….dis-je en me précipitant vers les voitures secondaires.

« Madame, où allez-vous ? »

Ce n’est pas possible répétai-je, incapable de faire demi-tour.

« Madame, vous êtes assise de l’autre côté ! ».

Je l’entendais accélérer le pas.

«Madame, s’il vous plaît ! ».

Je dois arrêter ce train…

« Madame ! », dit-il d’un ton furieux.

Deux coups de sifflets retentirent.

Punaise, cet idiot a ordonné le dé…

Les portes se refermèrent avant que je n’ai pu terminer ma phrase. Mes jambes se mirent à courir à toute vitesse.

Le TGV commença à s’ébranler doucement tandis que mon rythme cardiaque augmentait gravement. Fenêtre après fenêtre, les passagers me dévisageaient, incrédule. L’un d’eux, un jeune homme maigrichon, la tête plaquée contre la vitre, me souriait bêtement, comme s’il éprouvait une joie cruelle à me regarder m’époumoner.

Plus qu’une rame,

La distance à parcourir ne m’avait jamais paru aussi longue. Cette voiture de tête n’était plus qu’à une longueur de bras, pourtant toujours hors de portée. Et mes pieds semblaient peser dix kilos supplémentaires.

Ne pas se retourner. Je ne dois pas me retourner.

Je percevais les mouvements du petit homme dans mon dos, son souffle amer sur ma nuque. J’accélérai, poussai de toutes mes forces sur mes talons instables. J’enrageais.

A hauteur de la locomotive,

Je jetai un coup d’œil furtif à la cabine conducteur. Il y avait là un homme debout, portant une chemise blanche à manche courte ainsi qu’une cravate rouge. Ses mains étaient plaquées sur le tableau de bord et sa bouche près d’un micro.

Aussitôt, j’attrapai ma valise de mes deux mains, puis exerçai un mouvement de balancier. Le petit homme plongea en avant, au moment même où l’inertie du mouvement me fit lâcher la valise, qui alla s’écraser sur les rails.

Je l’entendis hurler.

Un léger craquement se fit entendre. La valise, posée sur la tranche s’ouvrit en deux. Les deux compartiments évacuèrent mes affaires intimes, gisants piteusement le long des rails.

Ce n’est pas possible…

La sueur de mon front dégoulinait sur mon chandail tandis que mon cœur jouait des percussions.

Ce n’est pas possible… ce n’est pas moi qui….. une terroriste, voila ce que je suis, une terroriste.

Soudain, une main moite agrippa mon bras.

Je me retournai lentement, faisant face à mon assaillant ; son visage hurlait l’effroi. Morte de peur, je me débattais telle une furie. Mais, il ne se laissa pas démonter ; d’un revers de la main, ce dernier m’envoya une gifle étourdissante.

Je restai là silencieuse, les yeux dans les siens.

Puis, machinalement, ma main se posa sur ma joue à vif. Quelques gouttes de sang descendaient de ma pommette. Un peu en deçà, ma mâchoire n’avait pas bougé, ce qui était bon signe, eu égard à la violence du coup. J’essuyai lentement le liquide, encore chaud, avec la paume de ma main, avant d’attraper mon téléphone. 

A son tour, le regard fuyant, il sortit un talkie-walkie de sa veste, qu’il alluma.

« Dave tu me reçois ? »

Une voix inaudible sortit de l’engin.

«Dave, freine ! »

Pas de réponse. Son regard se fixa sur la locomotive, qui continuait sa mise en mouvement.

« Dave, freine immédiatement ! »

Le petit homme serra d’avantage mon biceps.

« Dave, freine, nom de dieu ! »

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