Extrait du texte : Le prophète 1923
Alors Al-Mitra reprit la parole, en disant : “A présent nous aimerions t’interroger sur la Mort”.
Et il dit :
” Vous voudriez percer le secret de la mort.
Mais comment y parvenir sans aller le chercher au cœur de la vie ?
Le hibou qui vit à l’orée de la nuit est aveugle au jour et ses yeux ne peuvent dévoiler le mystère de la lumière.
Si vous brûlez de voir l’esprit de la mort, ouvrez grand votre cœur dans le corps de la vie.
Car la vie et la mort ne font qu’un, tout comme la rivière et la mer ne font qu’un.
Dans les profondeurs de vos espoirs et de vos désirs sommeille votre silencieuse connaissance de l’au-delà ;
Et comme la semence rêve sous la neige, votre cœur rêve des épousailles du printemps.
Faites confiance aux rêves, car en eux sont cachées les clés de l’éternité.
Votre effroi face à la mort n’est que ce tremblement du berger quand le roi lui fait l’honneur de le recevoir et s’apprête à poser sa main sur sa tête.
Or, en allant recevoir l’insigne du roi le berger ne sait-il pas qu’un frison de joie s’éveille déjà sous sa frayeur ?
N’est-il pas encore plus conscient de sa peur ?
Qu’est-ce donc que mourir si ce n’est s’offrir nu au vent et s’évaporer au soleil ?
Et qu’est-ce donc que cesser de respirer si ce n’est se libérer du souffle de ses perpétuelles marées, afin de s’élever sans le poids de la chair et de s’exhaler à la recherche de Dieu ?
Lorsque vous aurez bu à la rivière du silence, alors seulement vous pourrez véritablement chanter.
Et quand vous aurez atteint le sommet de la montagne, vous commencerez à monter.
Et dès lors que la terre aura réclamé votre corps, vous saurez enfin danser”.