Vivre sans lui – 3

5 mins

Et contre toute attente Emilie s’était entêtée et avait préféré mettre entre sa famille et ses soi-disant amis un certain nombre de kilomètres. Voici comment Emilie s’était retrouvée à Clermont-Ferrand, inscrite dans une faculté d’histoire de l’Art avec un petit boulot de serveuse dans un restaurant juste en face de la fac. Moyennant un petit salaire, elle avait eu droit à un deux pièces juste au-dessus de celui-ci. La propriétaire, Elise Malmeu, était une femme d’une cinquantaine d’années plutôt extravagante, originaire du Jura également. Elle était arrivée à Clermont-Ferrand dans les années 36 pensant que cette ville ne serait qu’une étape dans son voyage vers l’océan, destination finale de celui-ci mais elle avait rencontré celui qui allait partager sa vie pendant plus de vingt ans. Après son décès, elle y était restée et avait repris le restaurant créé par son compagnon où elle avait elle-même été serveuse, comptable et occasionnellement cuisinière. Deux années avant qu’Emilie ne soit embauchée, Elise était dans une phase de remise en cause totale. Le cuisinier avec lequel elle travaillait depuis quasiment dix années avait décidé de la quitter pour le sud de la France et elle ne savait plus si elle voulait continuer son activité. Elle ne se sentait plus le courage de chercher un autre cuisinier, d’un autre côté que pouvait-elle faire d’autre, vendre son restaurant, ça non plus, elle n’en avait pas le courage. Et c’est en discutant avec Emilie, cette gamine un peu paumée qu’Elise avait eu l’idée de transformer son resto en seconde cantine de la fac. Voilà comment Emilie avait été embauchée et avait secondée Elise jusqu’à son décès, et comment Margaux avait eu la chance d’avoir sa tatie Lise.

La maman de Margaux et sa tante lui avaient suggéré d’être à la fois vague et précise un peu comme avait pu l’être François. C’est la raison qui l’avait poussée à lui répondre sur un ton identique au sien. Elle en profitait pour lui souhaiter un bon anniversaire, puisqu’il avait lieu dix jours après le sien. Elle se souvient exactement de ce qu’elle lui avait écrit – aujourd’hui encore – mais au cas où elle aurait pu l’oublier, elle avait gardé les brouillons de sa correspondance avec François, qu’elle avait pris la peine de classer par date dans cette fameuse boite qu’elle n’avait pas ouverte depuis si longtemps. En replaçant la carte de François, et retire une feuille blanche pliée en quatre sur laquelle elle peut lire :

« Clermont-Ferrand, le 17 octobre 1983 

François,

Merci pour ta carte. Ne t’inquiète pas tu es mon seul équipier. J’ai eu la varicelle c’est la raison pour laquelle je ne suis pas venue en août à mon stage de voile, aujourd’hui c’est fini et je vais bien. A mon tour je te souhaite un bon anniversaire et j’espère à bientôt à Bénodet. Cela m’a fait plaisir de savoir que je t’avais manqué, je suis tout de même désolée pour toi que tu n’aies pas gagné de régate. Margaux ton équipière ».


Margaux s’adosse au pied de son lit et feuillette délicatement l’ensemble de la correspondance rangée dans la jolie boîte. Elle prend une nouvelle enveloppe qui contient cette fois une lettre de François, sa première réponse à la carte que Margaux lui avait aussi faite parvenir pour son anniversaire :

« Bénodet, le 30 octobre 1983

Margaux,

J’ai été très content aussi de recevoir ta réponse d’autant que je vois que tu n’as pas oublié mon anniversaire. Le temps sera bien long jusqu’au mois de février en espérant que tu seras suffisamment en forme pour venir faire ton stage à Bénodet. A part cela, j’espère que ta rentrée au lycée s’est bien passée. Poursuis-tu toujours tes cours aux Beaux-Arts ? Je ne te l’ai jamais dit mais j’ai toujours été admiratif lorsque tu prenais tes crayons et que tu croquais tout ce que tu voyais. Je n’ai aucun talent dans ce domaine et je le regrette, mais on ne peut pas être bon partout !!!! Je plaisante !!! Il me tarde que nous refassions ensemble des régates pour mettre une raclée aux équipes des Glénan. Durant ces vacances de la Toussaint, ce n’était pas la même chose sans toi. Mon équipier et bien moins doué que toi, il a fallu que je lui dise quoi faire tout le temps et bien entendu on n’a pas gagné contre les équipes des Glénan. J’attends ta réponse avec impatience. François ton équipier préféré ?? ».


Margaux se souvient qu’en recevant ce courrier elle avait espéré que François lui fasse une déclaration d’amour digne des contes de fées et pour cette raison, elle avait été un peu déçue en le lisant. Cependant elle n’en revenait toujours pas qu’après deux années de presque indifférence en dehors des moments de régates où une grande complicité se créait entre eux, François avait fait ce premier geste en lui envoyant cette carte d’anniversaire. Certes ce n’était pas une déclaration d’amour proprement dit mais qui sait, elle viendrait peut-être un jour prochain. En se remémorant ce souvenir, elle a un léger sourire au coin des lèvres, et trouve une certaine résonance au fond de son cœur qui pourtant aujourd’hui n’a pas envie d’être heureux. Néanmoins à cet instant en y repensant elle est heureuse avec le recul qu’il ait pris les devants. Sans aucun doute, elle n’aurait vraisemblablement pas osé le faire. Elle était beaucoup trop réservée et timide à quinze ans et à y réfléchir elle n’avait pas vraiment changé depuis. Elle est restée cette personne discrète qu’elle était à ce moment. Cependant c’était cette jeune fille qui avait réussi à faire tourner la tête de l’intello de la colo alors que toutes les filles ne demandaient que ça, certaines n’avaient pas hésité à lui tourner autour comme des abeilles autour d’un pot de miel. Margaux n’avait pas été si gentille aux vacances suivantes avec les autres filles, elle si distante, n’avait pas hésité à défendre son territoire comme une lionne en les comparer, uniquement dans sa tête, à des mouches à merde. Elle s’était d’un coup mise à les détester or l’expression qu’elle avait choisie pour les décrire ne lui avait pas plu. Son ami n’était pas un vilain tas de merde, c’était le plus beau garçon qu’elle avait rencontré. Elle avait eu du mal à comprendre pourquoi lui si parfait avait été séduit par elle, qui n’était même pas un joli papillon mais une chenille n’espérant pas une transformation aussi miraculeuse. Et pourtant …

Elle range le courrier de François et déplie une autre feuille correspondant au brouillon du message qu’elle lui avait fait parvenir. Elle se souvient qu’au moment de recopier son courrier, elle avait volontairement rayé un certain nombre de mots. Effectivement dans l’élan de son premier jet certains mots et phrases lui étaient apparus comme évidents cependant en les recopiant elle avait réalisé qu’elle avait quelque peu déliré et qu’elle ne pouvait pas se permettre d’effrayer ou de choquer François et de risquer de le perdre avant même de le savoir définitivement à elle. Margaux se souvient maintenant qu’elle aurait aimé rajouter qu’elle ne cessait de penser à lui, jour et nuit, et qu’elle l’embrassait tendrement voire un peu plus que tendrement. Or ce n’était pas à elle de prendre les devants, elle avait trop peur encore que tout ceci ne soit qu’un rêve sans plus.

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