« Clermont-Ferrand, le 14 novembre 1983
François,
Comment pourrais-je oublier ton anniversaire puisqu’il est dix jours après le mien ?
Tu es dans mes pensées en permanence. Maman a préféré que je ne participe pas au stage de voile de la Toussaints, pourtant j’aurais bien aimé venir. Normalement je devrais revenir en février prochain, dès que j’en saurais plus c’est-à-dire dès que maman n’aura donné son accord, je te préviendrai. Tu seras le premier à le savoir car tu es le seul à qui j’aurais envie de le dire. Et oui, ma rentrée au lycée s’est bien passée malgré mon absence de quinze jours en septembre. Je me suis inscrite dans une classe Arts-Etudes, c’est une section expérimentale à Clermont-Ferrand. En plus de mes cours, je suis aux Beaux-Arts dix heures réparties en cinq heures d’histoire de l’art et cinq heures d’arts-plastiques (dessin, sculpture et photo). Tu dois pouvoir imaginer que ces heures ne sont que du bonheur pour moi. Toutefois le proviseur du lycée nous a prévenus (les douze élèves concernés par ce projet) que nous devions avoir des notes plus que correctes pour espérer être repris en première. Inutile de te dire que j’ai l’intention de faire le nécessaire pour ça. Je n’avais jamais remarqué que tu portais un quelconque intérêt à ce que je dessinais à l’UCPA, nous nous sommes si rarement croisés en dehors de notre entraînement ou des régates. Pourtant plusieurs fois j’aurais aimé me mettre face à toi pour dessiner ton beau visage et ton corps si parfait. Je suis heureuse de le savoir, cela dit sache que de mon côté aussi, je t’admire pour ton intelligence, je n’ai jamais rencontré une personne comme toi et je suis fière d’être ta partenaire de régates et ton amie j’espère et qui sait peut-être ta petite-amie un jour. A très vite. J’attends ta réponse avec impatience également. Et oui tu es mon équipier préféré.
Margaux ton équipière préférée ?? ».
Margaux rit en relisant son brouillon. Elle était déjà très amoureuse de François à cette époque et le temps n’avait fait que renforcer cet amour, pense-t-elle en ouvrant la quatrième enveloppe :
« Nancy, le 29 novembre 1983
Margaux,
Je souhaite de tout cœur que ta mère accepte que tu reviennes faire ton stage en février si ta santé te le permet. Je suis certain que tu vas faire des merveilles dans la section Arts-Etudes dans laquelle tu as été admise. Tu peux compter d’ores et déjà sur un admirateur de ton travail. Et si tu le souhaites, je serai à ta disposition la prochaine fois que nous nous verrons pour être ton modèle pour un dessin, une sculpture ou des photos. Ainsi je pourrais te prouver que je m’intéresse à ton travail. Grâce à toi, je prendrai enfin une part, si minime soit-elle, dans les Arts, moi qui ne suis bon qu’en mathématiques ou physique. Comme je te l’ai déjà dit, on ne peut pas être bon partout, n’est-ce pas ? L’humour n’est pas vraiment mon fort cependant je suis prêt à faire des efforts dans ce sens pour te plaire … Savoir que « tu m’admires pour mon intelligence, et que tu n’as jamais rencontré une personne comme moi » ne peut être qu’une preuve d’un grand humour de ta part, je suppose. Enfin sache que je suis également très fier d’être ton partenaire de régates et ton ami, j’espère. A très vite mon équipière préférée.
François ton équipier préféré ».
Au fil des lettres que François envoyait à Margaux, elles dévoilaient lentement des émotions, des sentiments, que Margaux avait elle-même éprouvés sans croire qu’un jour ils pourraient devenir réalité. Elle se souvient que dès les premiers brouillons raturés, ces phrases restées son secret étaient devenues pour elle un jeu où elle pouvait s’exprimer de façon débridée sans être jugée puisque ses mots n’étaient destinés qu’à elle-seule. Sa mère, sa tante comme Valérie n’avaient à aucun moment eu le loisir de lire ses brouillons.
« Clermont-Ferrand, le 17 décembre 1983
Mon bien-aimé François,
La fin de l’année arrive à grands pas et les vacances de Noël aussi. J’aimerais tellement que nous les passions ensemble. Que feras-tu pour ces vacances ? Les passeras-tu en famille ? En ce qui me concerne, je vais rester chez moi avec ma mère et ma tante, nous allons organiser au restaurant une grande fête destinée aux étudiants. Je sais que je vais m’ennuyer sans toi. Maman adore être en compagnie des jeunes, mais je crois surtout qu’elle aimerait par-dessus tout me voir sortir un peu plus que je ne le fais, ou tout compte fait me voir sortir tout court car en dehors de mes cours au lycée et ceux des Beaux-Arts, je suis très casanière. Bien entendu si nous habitions dans la même ville, j’aimerais sortir avec toi, c’est certain. Je t’emmènerai visiter des musées et tu m’expliquerais la théorie d’Einstein.
J’ai été choisi par mon professeur principal pour représenter ma classe à la prochaine réunion qui aura lieu à l’académie. Je n’arrive toujours à comprendre pourquoi il m’a choisie. Je n’aime pas être mise en avant et par-dessus tout je n’aime pas prendre la parole en public. J’ai bien essayé de l’en dissuader, sans beaucoup de succès. Il m’a dit : « tu es suffisamment bonne artiste pour être représentative de ton groupe des Beaux-Arts et suffisamment bonne élève pour représenter ta classe ». Et alors que je risquais une énième tentative pour m’esquisser suggérant d’autres élèves bien meilleurs que moi dans chaque groupe, il a rajouté : « Toi à la différence des autres, tu es plus raisonnable, réaliste et surtout moins dans la lune que tous tes camarades artistes ». Qu’en penses-tu ? Suis-je si transparente, si insignifiante, si effacée, ou sans intérêt pour lui faire croire que je ne ferai pas de vague puisque je ne vis pas sur une autre planète, que je ne suis pas irréaliste, ou suffisamment dingue pour être comme tous mes camarades artistes, un peu fous. Je crois que je peux faire une croix sur ma future carrière artistique, je ne serai jamais Van Gogh, dont la folie lui a permis d’être un immense artiste. J’aimerais bien avoir ton avis sur ce point. Et pour ce qui est de ta proposition, je ne manquerai pas de te la rappeler quand nous nous reverrons aux prochaines vacances. Toutefois je vais avoir du mal à rendre le dessin aussi parfait que ne l’est déjà ton visage. A très vite mais sans doute pas avant l’année prochaine malgré tout. Je t’embrasse très tendrement au travers de ce courrier en attendant de le faire en vrai.
Margaux ton équipière préférée.