Vivre sans lui – 6

5 mins

 C’est ainsi qu’elle sort d’une enveloppe une nouvelle lettre de François.

« Nancy, le 2 janvier 1984 

Margaux,

Ça y est nous sommes dans une nouvelle année, je souhaite qu’elle soit excellente pour toi. Merci beaucoup pour ton magnifique cadeau. Je l’ai montré à Martha et elle l’a trouvé très ressemblant, délicat dans le trait. Elle a ajouté que seule une jeune fille très sensible pouvait avoir un coup de crayon aussi précis et fin. Elle m’a dit ne pas s’y connaitre en Arts cependant, je trouve qu’elle a un excellent jugement sur ton travail. Tu peux donc désormais compter sur une nouvelle admiratrice de ton talent. D’ailleurs elle aimerait vraiment qu’un jour tu fasses un portrait de sa fille. Comme je te l’ai dit dans une précédente lettre, je n’ai rien fait de particulier pour ce début de vacances. Mes parents n’étaient pas là le soir de Noël. J’ai tout de même eu droit à plein de cadeaux – en compensation – le lendemain matin avant qu’ils ne repartent très vite après le déjeuner de midi. Le plus beau parmi tous a été sans aucun doute le tien. Je regrette juste de ne pas avoir pensé à t’en offrir un également. J’espère que la soirée du jour de l’an que ta maman a organisé pour des étudiants s’est bien déroulée. A-t-elle été contente de te voir t’amuser ? T’es-tu d’ailleurs beaucoup amusée ? As-tu rencontré des gens sympas ? Il me tarde d’être en février prochain pour te voir et reprendre nos régates mais pas seulement. Je serai heureux de te revoir car cela fait bien longtemps que nous ne nous sommes vus. Depuis que nous nous connaissons, c’est-à-dire depuis le mois d’août 1980, nous ne sommes pas restés aussi longtemps sans nous voir me semble-t-il ? A très vite. François ton équipier préféré ».



Margaux déplie la réponse qu’elle lui avait faite et la parcourt :

« Clermont-Ferrand, le 17 janvier 1984

Mon très cher François

Bonne année à toi aussi, j’espère qu’elle t’apportera plein de bonnes choses ainsi que des événements inattendus, comme moi par exemple. Je suis heureuse d’apprendre que mon petit cadeau t’a plu et de constater que Martha, à qui tu sembles beaucoup tenir, ait eu de si gentilles pensées à mon égard. Je la remercie également pour son soutien. Il y a au moins quatre personnes dans le monde qui croit en moi : maman, tante Lise, toi et maintenant Martha, et je vous en remercie tous. Dis-lui que je serai très contente de pouvoir faire un portrait de sa fille qu’elle te donne une photo, si elle veut, afin que tu me l’envoies. Je suis très triste pour toi que tu n’aies pas passé Noël avec tes parents. J’aurais vraiment aimé être avec toi à cette période. Pour mon cadeau, ne t’inquiète pas à chaque fois que je reçois une lettre de toi, c’est pour moi un petit cadeau. Même si j’aurais tellement aimé en avoir un pourtant. En ce qui me concerne, j’ai passé les fêtes de Noël avec maman et tante Lise, elles m’ont bien gâtée comme toujours et au jour de l’an la soirée organisée par maman s’est très bien passée. Il y avait énormément de monde, mais sache que tu m’as manqué. Il me tarde à moi aussi d’être aux vacances de février, notamment pour me retrouver à tes côtés. Tu as raison, depuis que nous nous connaissons, c’est la première fois que nous restons aussi longtemps sans nous voir.

A très vite, Margaux, ton équipière préférée ».



Margaux s’étonne de la régularité avec laquelle ils s’étaient écrit avec François. Pas un mois n’avait été sans correspondance. Elle se souvient combien elle était heureuse à la lecture de chacune de ses lettres et elle se demandait à chaque fois si François avait éprouvé les mêmes sentiments qu’elle-même au moment où il les avait écrites puis lues les siennes. Au fils de leur courrier, ils se sentaient de plus en plus proches pourtant à aucun moment ils n’avaient dévoilé à l’autre plus que nécessaire. Ils restaient discrets, cependant entre les lignes, on pouvait constater qu’ils étaient très attachés l’un à l’autre. Invariablement quand l’un envoyait une lettre, le second lui répondait, c’était devenu comme un jeu entre eux. C’était à celui qui écrirait la dernière correspondance avant le début de chaque vacance. La plupart du temps, c’était François.

« Nancy, le 29 janvier 1984

Margaux,

Le temps file très vite et très lentement à la fois. Vite car je ne vois pas passer les semaines de cours et pourtant bien lentement quand je pense au temps qu’il me faut attendre pour avoir une réponse de ta part à mes lettres. Je ne veux pas dire par là que tu attends trop longtemps avant de me répondre. Je sais que nos réponses respectives partent de chez nous presque le jour où nous recevons nos lettres mais cela me parait tout de même bien long d’attendre … J’espère que tu ne m’en veux pas de te dire ça. Tu es la seule personne avec laquelle j’entretiens une telle correspondance et je dois t’avouer que tu es aussi l’une des seules à qui j’ose me confier. Même si j’ai quelques copains en classe, ce n’est pas la même chose. Je sais que tu me comprends. J’aime quand tu me parles de toi, de ta famille et des relations qui vous unissent. Je t’envie tellement pour tout cela. D’un autre côté grâce à notre correspondance, j’ai la chance d’avoir avec toi une relation unique qui est bien plus forte que tout. Tu représentes à toi seule bien plus que ma propre famille. Et au travers de toi, j’ai l’impression d’avoir une grande famille d’adoption même si je ne connais pas encore ta maman et ta tante Lise, j’ai le sentiment de les connaitre un peu tout de même. A très vite, François, ton équipier préféré.»



Margaux se souvient de cette lettre, elle l’avait lue à sa mère et sa tante Lise tant les mots de François l’avait émue, troublée et attristée. Elle avait eu de la peine pour lui qui devait se sentir si seul sans le soutien de ses parents. Cela l’avait révoltée également, Margaux qui n’avait pas connu son père ne comprenait pas comment un père pouvait avoir une telle attitude vis-à-vis de son fils. Quant à sa mère, elle avait eu énormément de mal à imaginer que des relations filiales si proches puissent ne pas s’exprimer. Margaux se souvient de ce que lui avait dit sa tante : « Ce ne sont pas les liens filiaux qui font que des personnes se sentent proches d’autres personnes. Ce sont les personnes elles-mêmes qui font ce qu’elles sont et ce qu’elles offrent aux autres… ». C’était vrai, elle le savait. Sa tante en était une pure démonstration. Après la lecture de sa lettre, sa mère avait ajouté qu’elle trouvait ce garçon bien sage pour un adolescent et bien mûr également. Elle avait précisé qu’elle serait très heureuse un jour de faire sa connaissance. Margaux avait été à l’époque ravie de sa remarque. Tout ce qui touchait de près ou de loin à François la rendait fébrile. Et cela n’avait échappé à personne qu’elle était follement éprise de ce garçon depuis le jour où elle l’avait rencontré et d’année en année ce lien s’était renforcé. Parfois Elise et Emilie s’étonnaient que ni l’un ni l’autre ne dévoile leurs sentiments tant ils étaient évidents, néanmoins l’une et l’autre respectaient les choix de leur fille et nièce. Avec le recul Margaux se rend compte de la chance qu’elle avait eue tout au long de ces années d’enfance et d’adolescence. Certes la vie par la suite ne l’avait pas épargnée, néanmoins à la différence de François, elle avait bénéficié de beaucoup d’amour des personnes dont elle avait été entourée. Et même si parfois, elle aurait aimé connaitre son père, elle se consolait en se disant qu’il était préférable de vivre sans son père plutôt que de vivre aux côtés d’un père indifférent. 

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