Marie était heureuse et pourtant elle ressentait un grand vide au fond de son cœur ; vide causé à l’évidence par le décès de son mari ou par l’éloignement progressif de ses enfants mais ce n’était pas la seule raison. Il était vrai que depuis un certain temps, elle avait été si occupée que ne rien faire lui paraissait étonnant, presque un peu ennuyeux !! Enfin pas vraiment… Mais de quoi se plaignait-elle ? Bien entendu avant elle adorait sortir ou inviter ses amis. Jamais le week-end, ils ne restaient sans rien faire, parfois une ballade, un resto, un ciné, la visite d’un musée et même s’ils leur arrivaient de rester à traîner tous les deux à la maison à – ne rien faire -, elle n’avait pas l’impression de ne rien faire ou du moins de ne rien faire toute seule. Ils le faisaient à deux et ils étaient si bons ces moments-là. Maïlis avait peut-être raison, la solitude devait lui peser sans qu’elle en soit vraiment consciente. Or ces derniers mois avaient changé sa vision des choses. Sa rencontre avec Max puis Jean-Marc enfin son week-end avec Alexandre l’avait rendue un peu plus nostalgique que d’habitude au lieu de la réjouir.
Au cours des années qui suivirent le décès de son époux, elle n’avait pas souhaiter rencontrer qui que se soit et les quelques amis croisés aux hasards de soirées ne lui avaient pas donner envie d’envisager un quelconque avenir. Hormis ses enfants et ses amis proches, elle ne voyait personne en particulier et puis à quelques semaines d’intervalle, elle avait redécouvert le plaisir d’être courtisée, invitée, câlinée. Elle se rendait compte aujourd’hui qu’elle n’avait pas pris le temps de se poser les bonnes questions, elle avait tout simplement réagi avec rationalité en traitant les urgences les unes après les autres par ordre d’importance, pour ses enfants avant tout, sans se soucier une minute de ce qui lui serait agréable ou pas, de ce qui aurait pu lui manquer ou pas. Et pourtant aujourd’hui où elle commençait à prendre conscience de cette nécessité, elle se sentait presque coupable d’avoir ce genre de pensées futiles et notamment vis-à-vis de ses enfants, même si en y repensant, c’était les premiers à la pousser à partir en vacances, à sortir et à rencontrer du monde. Peut-être est-elle trop sur leur dos et avaient-ils réagi ainsi afin qu’elle mette un peu de distance entre eux. Marie se racontait des histoires, elle savait que ses enfants n’étaient ainsi. Elle leur avait enseigné qu’il valait mieux s’expliquer et dire franchement les choses. Elle avait beaucoup de chance car en fait c’était ses enfants qui veillaient sur elle, et non l’inverse, surtout en ce moment. Chaque jour, l’un d’entre eux l’appelait comme s’ils s’étaient passé le mot. Alors qu’elle s’assoupissait à nouveau, une voix semblait interpeller.
– Madame, Madame, Madame, … avait crié un inconnu juste au-dessus d’elle.
Marie entrouvrit les yeux et vit pencher sur elle un jeune homme d’une beauté étonnante ; on aurait dit un ange blond, les yeux très clairs et la peau couleur satin. Elle devait être en plein rêve. Mais il l’appela à nouveau.
– Madame, Madame, Madame, … répéta-t-il.
Cette fois-ci Marie émergea totalement et ouvrit les yeux. Elle ne rêvait pas, son ange gardien était devant elle, tenant du bout des doigts son sac à main.
– Bonjour Madame, je vous rapporte votre sac à main, un jeune a essayé de vous le voler alors que vous étiez assoupi, mais c’était sans imaginer que Zoro était là et veillé !!! Lui avait précisé ce bel inconnu.
– Oh merci, vraiment vous avez un sacré réflexe, j’ai ma vie dans ce sac. Je ne sais comment vous remercier, avait répondu Marie.
– Vous pourriez, par exemple, m’offrir un café, à l’occasion, rien ne presse. Profitez de la plage, il fait si bon. Je ne pense pas que votre voleur reviendra de sitôt. Et puis de toutes les façons, Zoro veuille aux grains pour vous, je me suis installé un peu plus haut sur la dune, avait-il précisé sur un ton à la fois ironique et sérieux.
Marie essaya de changer de position car le soleil l’empêchait de voir clairement le visage de son sauveur. Le jeune homme qui lui était apparu tout à l’heure lui sembla quelque peu juvénile pour avoir une telle répartie. Elle s’apprêtait à se lever quand son bienfaiteur lui tendit la main pour l’aider dans sa remontée. Cette poignée de main était ferme et délicat à la fois, les doigts étaient fins et parfaitement soignés, la peau était plutôt douce. En se relevant, Marie passa à quelques centimètres de son protecteur, il sentait bon le musc et le tabac, et sa remontée lui sembla sans fin. Notre homme était grand voire très grand et lorsque Marie se trouva enfin face à lui, dos au soleil, elle découvrit un homme d’une quarantaine d’années environ, d’une allure élancée, la peau légèrement bronzée. Son visage était encadré par une chevelure blonde cendrée qui retombait délicatement le long de son cou. Et du début de sa hanche jusqu’à la naissance de son aisselle apparaissait un tatouage représentant un dragon stylisé, dessiné avec beaucoup de délicatesse. Cet animal plutôt effrayant en temps normal, laissait transparaître au travers de ce dessin, une douceur étonnante. La finesse du trait et la dextérité avec lesquelles l’artiste s’était exprimé, révélait un sacré talent. Ce tatouage était à la fois imposant et discret sur ce long buste. Marie tomba immédiatement sous le charme de cet homme qui lui semblait être d’une bonne éducation.
– Merci infiniment, vous êtes décidément plein d’attentions. Êtes-vous toujours ainsi avec les étrangères rencontrées sur la plage ?
– Non, seulement avec les jeunes femmes en détresse…
– Je me présente Marie Dumas, et vous, dois-je vous appelez Zoro ?
– Seules les femmes en danger que je sauve m’appellent ainsi. Mais pour mes amis, je suis Christophe, Christophe Lacroix.
– Enchantée, j’avais prévu de rejoindre Carnon pour grignoter quelque chose, nous pourrions nous retrouver là-bas pour un café ou un apéritif, si cela vous convient. C’est la moindre des choses que je puisse faire pour celui qui m’a évité le pire.
– A votre convenance. On se retrouve avant déjeuner ou après déjeuner ? Voulez-vous y aller seule ou voulez-vous que nous y allions ensemble ?
– Comme vous le souhaitez, ma voiture est garée juste devant.
– A cette heure-ci, je ne sais pas si vous allez trouver une place. Si une balade en moto ne vous fait pas peur, je peux vous emmener avec moi…
Christophe attendait-il vraiment une réponse de la part de Marie, ce n’était pas certain car avant même qu’elle accepte ou refuse sous un prétexte quelconque, il avait poursuivi sur un ton un peu humoristique.
– Vous pourriez me dire que vous n’avez pas de casques, pas de problème, j’en ai toujours un second dans mon top caisse, ou peut-être auriez-vous peur de monter sur une moto ?
Même si Marie allait refuser sa proposition, elle se ravisa car Christophe l’avait piqué au vif en pensant qu’une petite balade en moto pourrait susciter une quelconque peur de sa part. Christophe poursuivit ses questions-réponses et ne laissa pas à Marie l’occasion de décliner son offre. Elle n’avait pas d’autres choix que de se changer et de le suivre. Pendant que Christophe Lacroix regagnait sa serviette, Marie s’habilla et ramassa ses affaires puis chacun se dirigea vers son véhicule. Marie déposa sa serviette et son livre dans sa voiture lorsqu’elle aperçut à côté d’elle, un vrai monstre. Elle n’avait jamais vu une moto si imposante. Elle était presque aussi large que sa propre voiture… Tandis que Christophe lui tendait un casque, Marie se demanda comment elle allait pouvoir enfourcher cette moto sans se retrouver à demi nue. Sa jupe étroite risquait de remonter jusqu’à son nombril. Christophe voyant son embarras, lui proposa de lui prêter en plus casque, un bas de survêtement.
– J’ai toujours un pantalon de survêtement au cas où j’invite une belle inconnue en mini-jupe à enfourcher mon engin… Je plaisante, il m’est arrivé d’être obligé de faire de la mécanique alors que j’étais en costume. Je préfère être à l’aise et surtout éviter de ne plus être présentable à un rendez-vous professionnel juste après. Être motard, c’est également être prévoyant !!!
Marie enfila le pantalon qui lui allait dix fois trop grand et s’apprêta à mettre le casque sur sa tête, quand deux mains généreuses lui vinrent en aide. Christophe s’empara du casque et le posa avec beaucoup de délicatesse sur la tête de Marie. Il accrocha la sangle puis la serra doucement.
– Je n’ai pas trop serré la sangle ? Je ne voudrais pas vous récupérer à moitié asphyxiée en arrivant au restaurant ?
– C’est très bien merci, je préfère être un peu engoncée plutôt que de risquer de me fracasser le crâne.
– Ne vous inquiétez pas, je suis un motard extrêmement prudent. Je ne prendrai aucun risque durant les cinq prochaines minutes, temps qu’il nous faudra sans doute pour arriver à Carnon. Je ne voudrais pas risquer de vous effrayer à notre première sortie, n’est-ce pas ?
Et le voilà parti dans un énorme éclat de rire, si spontané qu’il était communicatif. Marie, troublée et amusée, éclata de rire à son tour en notant que son cavalier lui laissait entendre qu’ils avaient un premier rendez-vous…
Il l’aida à prendre place derrière lui. C’est là que Marie pris conscience qu’elle était un peu imprudente de faire confiance à cet homme qu’elle ne connaissait pas. Le voleur était peut-être un complice et tout ceci n’était qu’une supercherie pour l’entraîner à accepter cette invitation. Une fois installée sur cet engin que pourrait-elle faire s’il n’allait pas vers Carnon mais décidait de la conduire ailleurs, pour l’enlever, la violer, ou pire encore, la tuer. Mais c’était trop tard pour réagir, si seulement son époux était là, rien de tout ça ne lui serait arrivé. Qu’allaient devenir ses enfants ? Qu’allaient-ils penser de leur mère si inconsciente ? Marie fut prise d’un petit tremblement que son chauffeur avait dû ressentir comme de la peur puisqu’il mit sa main sur celle de Marie comme pour la calmer et l’enroula autour de sa taille tandis que la seconde main de Marie vint rejoindre la première. Le trajet ne dura que quelques minutes mais il lui parut une éternité. La moto s’arrêta enfin. En quelques secondes, son chauffeur trouva une place. Effectivement il était plus facile de se garer avec une moto, si grosse soit-elle, qu’avec une voiture, si petite soit-elle …