Hors du temps – 1ère partie – 5 – Premières vacances

5 mins

Premières vacances – année 1985

C’était la première fois que je partais de Lyon. Jamais je n’étais allée nulle part, ma mère n’avait pas eu les moyens de m’envoyer en colonies.

Les parents de Margaux avaient une maison dans le midi qu’ils tenaient de leurs parents, ses grands-parents paternels. La maison était superbe, elle datait des années vingt et se trouvait sur le Cap Martin. Elle était immense, il y avait au moins huit chambres, plusieurs salons et bureaux, incroyable !!! Elle donnait sur la mer et était entourée d’un grand parc avec des arbres gigantesques, des pins, m’avait précisé son père. Je n’en n’avais jamais vu auparavant. En bord de mer, ces arbres étonnants poussaient presque à l’horizontal, c’était bizarre. J’avais appris que c’était le vent qui leur donnait cette allure couchée. Ce jour-là, j’avais beaucoup fait rire tout le monde à table en leur disant que Jean de la Fontaine ne devait pas connaitre ces arbres pour avoir écrit la fable du « Chêne et du Roseau ».

Je crois que c’étaient les plus extraordinaires vacances de toute ma vie. Ils avaient une cuisinière et un gardien qui vivaient là-bas tout le reste de l’année. J’aurais volontiers été gardienne d’une telle maison, pour rien, juste pour profiter de la vie, de la mer et du parc. Ses parents venaient chaque vacance ou presque et depuis cette année-là, je les avais toujours accompagnés.

Et l’année de notre bac où Margaux l’avait réussi avec mention très bien et moi avec la mention passable, ce qui était un exploit quand on regardait d’où je venais et le chemin qu’il m’avait fallu parcourir pour en arriver là, ses parents nous avaient emmenées en Espagne à Torre Molinos dans un hôtel club. Avant de partir, j’avais fait une recherche sur internet pour situer où nous devions aller. N’étant presque jamais sortie de Lyon, j’étais encore moins partie à l’étranger et tous ces préparatifs me surexcitaient. Cela faisait beaucoup rire Margaux.

J’avais vu sur le web que c’était vers les années 50 que la Costa del Sol avait commencé à acquérir une renommée internationale, à cette époque des personnalités telles que Grace Kelly, Ava Garner, Marlon Brando, Orson Wells ou Frank Sinatra étaient venues à Torre Molinos. Et l’Hôtel Pez Espada, où nous devions être logés, avait été le premier hôtel de luxe de la côte à être inauguré en 1959. C’était grâce à toutes ces personnes que la côte était devenue très touristique, un peu comme Saint-Tropez en France, là-bas non plus, je n’y avais pas été. Margaux qui connaissait, m’avait promis qu’un jour nous irions ensemble. Maintenant tout autour de cet hôtel, il y en avait de nombreux autres toutefois celui-ci était réellement l’un des plus beaux.

Nous étions partis de Lyon à la fin de la première semaine de juillet vers 8 heures du matin, avec la voiture du père de Margaux, il avait une Jaguar bordeaux, c’était la première fois que je montais dedans car il venait juste de l’acheter. Ça sentait bon le cuir et on y était à l’aise. Si ma mère avait pu me voir ce jour-là, elle n’en aurait pas cru ses yeux. Nous n’avions pas eu de voiture, cela n’aurait servi à rien puisque nous n’étions à aucun moment parties nulle part. Son père nous avait prévenues que nous ferions le voyage en deux étapes, nous devions nous arrêter quelques jours à Barcelone, qu’ils visitaient chaque année depuis la naissance de Margaux, c’est-à-dire 17 ans, son père disait qu’il découvrait toujours des endroits qui lui étaient inconnus.

J’imaginais que cette ville devait être immense et merveilleuse pour qu’ils y reviennent tous les ans. Sa maman m’avait expliqué l’histoire de Barcelone depuis la seconde guerre mondiale, elle était un véritable puits de science lorsqu’elle nous parlait ainsi et je l’aurais écoutée encore longtemps. Ce fut Margaux qui l’avait interrompue vers midi trente pour lui demander si nous allions nous arrêter pour déjeuner à Collioure. Il faisait très beau et son père préférait nous emmener déjeuner à Perpignan. Margaux n’avait pas eu besoin de beaucoup insister pour faire changer d’avis son père. Moi tout m’émerveillait alors Perpignan ou une autre ville cela m’était égal.

Néanmoins à notre arrivée à Collioure, j’avais changé d’opinion ; Margaux avait passé quelques coups de fil pour retrouver des amis qui étaient déjà sur place. Bien que ce village en bord de mer fût ravissant, j’étais un peu déçue car j’aurais préféré que l’on reste toutes les deux avec ses parents, mais cela lui faisait tellement plaisir que j’avais fait comme si cela n’avait pas d’importance. Pendant que ses parents allaient déjeuner au restaurant, Margaux avait décidé que nous déjeunerions d’un sandwich sur la plage avec ses amis. On avait pris nos maillots de bains et on était allées sur une petite plage où effectivement se trouvait un groupe de huit ou dix jeunes de notre âge. Ils étaient comme nous en vacances et j’appris qu’ils étaient des amis d’enfance mais que la plupart d’entre eux avaient quitté Lyon depuis quelques années, voilà pourquoi dès qu’ils le pouvaient, ils se donnaient rendez-vous ici pour se retrouver.

Margaux avait contacté son père pour lui demander si nous pouvions rester au moins une nuit à Collioure et comme le restaurant où ils déjeunaient faisait hôtel et qu’il y avait de la place, il avait approuvé son idée. Je me sentais un peu étrangère à son groupe d’amis qui à l’inverse de Margaux était plutôt des jeunes snobs. Pendant qu’ils se remémoraient des souvenirs, j’avais décidé d’aller prendre un bain pour m’éloigner un peu. L’eau était délicieuse et tellement claire qu’on pouvait voir le fond, les rochers, les poissons. Et en nageant, j’avais pensé à ma mère qui n’avait jamais eu la chance de se baigner ou de voir la mer. Depuis quelques temps, je pensais souvent à elle, sans doute parce que Margaux avait des parents tellement géniaux. J’aurais aimé avoir une famille ou du moins un père et une mère pour lesquels je compte, qui m’aiment et tiennent compte de ce j’aurais pu dire, faire ou désirer.

Parfois j’avais peur d’être un peu jalouse de Margaux, c’était ma meilleure amie cependant il m’était très pénible de la voir comme ce jour-là avec ses amis d’avant, je me sentais à l’écart, alors je me mettais volontairement à l’écart. J’avais l’impression de ne pas vivre sur la même planète que tous ces jeunes qui aimaient les marques et avaient un langage châtié !! J’avais fait beaucoup de progrès depuis que je fréquentais Margaux et sa famille, or il était évident que je n’avais pas bénéficié d’une éducation semblable à tous ces jeunes. Je me détestais parfois d’avoir renié si vite toutes mes convictions de l’époque, tout en sachant qu’elles n’étaient pas forcément très bonnes, pourtant dans la foulée, j’avais également éliminé tous mes « potes ». La plupart d’entre eux n’était pas vraiment fréquentables cependant ils avaient été ma famille un temps.

Dès l’âge de 8 ans, ils me protégeaient. Je me souvenais d’une personne en particulier qui m’avait beaucoup aidée surtout quand j’avais peur de rentrer chez moi et puis plus tard à la mort de ma mère. C’était Karim, maintenant il devait avoir vingt-sept ans, je me demandais ce qu’il était devenu, sans doute était-il toujours bibliothécaire ou peut-être avait-il passé d’autres concours internes. Il avait certainement dû évolué, il était possible qu’il soit devenu directeur d’une plus grande bibliothèque, il était très doué d’après l’ancien directeur. Pourquoi pensais-je à lui à ce moment précis ? Lorsque je me retrouvais seule, des vagues de souvenirs me revenaient en mémoire comme pour ne pas les oublier ou me rappeler d’où je venais et qui j’étais en réalité.

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