Margaux avait effectivement reçu cette lettre alors qu’elle préparait sa propre valise. Elle était fébrile à l’idée de revoir enfin François, cependant elle se demandait comment allait se passer leurs retrouvailles. Allait-il lui sauter au cou ? Allait-il l’embrasser ? Allait-il lui dire qu’elle lui avait manqué comme il l’avait écrit dans ces courriers ? Margaux était terrorisée et encore indécise sur ce qu’elle allait faire. Sa maman et Elise lui avaient suggéré de laisser venir les choses à elle sans les brusquer. Elles lui avaient confirmé que si François était bien le garçon que Margaux leur avait décrit, il saurait ce qu’il avait à faire pour conquérir son cœur qui lui était de toutes les façons déjà acquis. Mais malgré leur optimisme, Margaux avait un feu intérieur qui parfois brûlait tant qu’il lui semblait réel.
Et puis le jour du départ était arrivé. Comme les fois précédentes, ils s’étaient rejoints à la sortie de la gare, néanmoins les animateurs ne leur avaient pas laissé le temps de se retrouver comme elle en avait eu envie. A tour de rôle ils étaient tous venus vers Margaux pour lui demander comment elle allait. Lui expliquant qu’elle était superbe et avait de la chance de ne pas avoir gardé de marque. Bien entendu le directeur avait donné à toute l’équipe les motifs de son absence aux dernières vacances d’été. Dans le bus qui les avait emmenés au centre UCPA, Margaux aurait aimé s’installer aux côtés de François et elle s’était demandé si lui aussi avait eu la même envie. En arrivant au centre, tout le monde avait été réparti dans les dortoirs, et là encore ils n’avaient pas trouvé une minute pour se croiser. En fin de journée, Margaux savait qu’ils se retrouveraient dans la cantine pour organiser tout le séjour. Effectivement juste avant le dîner, directeur, moniteurs et stagiaires étaient présents à la grande réunion où les équipages seraient identifiés. François s’était enfin décidé à rejoindre Margaux. Il lui avait souri à nouveau comme il avait pu le faire à la sortie de la gare et lui avait demandé s’il pouvait compter sur elle comme équipière. Margaux sans lui répondre avait levé les yeux au ciel avec une expression qui exprimait un grand et puissant oui. C’est ainsi qu’ils s’étaient dirigés vers le moniteur qui s’occupait de préparer cette liste.
Durant la réunion, ils avaient écouté tous les conseils qu’ils connaissaient par cœur mais auxquels ils se devaient d’assister ne serait-ce que pour donner l’exemple aux novices. Par ailleurs, ils n’étaient pas du genre à faire l’école buissonnière. A cela avait suivi un pot d’arrivée puis le dîner. Durant toute la fin de la soirée, ils étaient restés ensemble cette année, et ceux qui les connaissaient en avaient été étonnés sans pourtant que personne n’en fasse une quelconque remarque. Toutefois rien de ce que Margaux avait espéré ne s’était produit. Or, elle savait que sans aucun mot, sans aucun geste non plus, ils avaient validé leur complicité et personne parmi les habitués du centre n’avaient été dupes. L’équipe fétiche de l’UCPA de Bénodet était enfin réunie et les régates pouvaient reprendre. Le directeur était à ce titre venu les voir et les avait encouragés à renouveler leurs précédents exploits. Il comptait sur eux pour reprendre le trophée interclubs récupéré en août de l’année précédente et gardé jalousement durant les vacances de la Toussaint par une équipe des Glénan. L’un et l’autre avaient confirmé qu’ils étaient prêts à naviguer comme avant pour prouver à tous les équipages qu’ils étaient de retour. Sur ces paroles, le directeur les avait gratifiés d’un clin d’œil d’encouragement et s’était éloigné. François et Margaux s’étaient enfin retrouvés seuls. Ils s’étaient installés un peu à l’écart et avant de prendre la parole, ils étaient restés quelques minutes silencieux, comme si chacun d’eux attendait que l’autre se lance. Ce fut François qui rompit le silence en tendant à Margaux un petit paquet pas plus grand que la paume de sa main. Elle fut surprise par ce geste.
– Il arrive un peu en retard pour un cadeau de Noël mais étant donné que tu m’en as fait un, Martha a pensé que je devais t’en faire un aussi, était intervenu François très naïvement. Margaux étonnée par sa remarque lui avait rétorqué spontanément :
– Tu remercieras donc Martha de ma part !!! Et elle avait ajouté, Tu l’aimes beaucoup Martha, n’est-ce pas ? En y repensant aujourd’hui, elle trouvait qu’elle avait été drôlement culottée à cet instant. En présence de François, elle se sentait différente, elle avait l’impression de ne plus être tout à fait la gamine timide qu’elle était avec la plupart des gens. Sans toutefois oser pour autant faire un pas vers lui. Margaux avait ouvert délicatement le joli paquet et y avait trouvé un ravissant bracelet.
Celui-là même qui se trouve encore aujourd’hui à son poignet. Elle passe doucement ses doigts sur le fin bijou qui a été le premier cadeau que François lui ait fait, ce 22 février 1984. Bien plus que leur propre date d’anniversaire, celles qui comptaient avant tout étaient : ce jour-là puis la date à laquelle ils s’étaient rencontrés, le 2 août 1980, juste après celle où ils s’étaient embrassés pour la première fois. Margaux porte ses doigts à ses lèvres comme pour accentuer ce souvenir si présent. A chaque fois que les lèvres de François effleuraient les siennes, ils se souvenaient de l’instant fabuleux où le 12 avril 1984, François avait enfin osé, au détour d’un couloir, poser un baiser sur ses lèvres. Margaux avait cru rêver et pour une fois dans sa vie, elle avait été particulièrement téméraire également. Encore sous le choc, elle s’était retournée vers François et avait pris son visage entre ses mains tremblantes par l’émotion de ce premier baisé dont elle avait rêvé depuis si longtemps. Elle s’était mise sur la pointe des pieds et l’avait à son tour embrassé presque par réflexe. Cet instant avait duré à peine quelques secondes. En y repensant, elle s’était toujours demandée comment elle, la si timide et réservée Margaux, avait pu lui rendre ce baiser. Jamais, jusqu’à aujourd’hui encore, elle n’avait regretté ce geste.
Malgré la disparition de François, elle savait qu’ils étaient faits pour être ensemble et rien, ni son absence, ni quoi que ce soit d’autre ne lui avait laissé penser le contraire. Il était environ minuit lorsque Margaux entend la porte d’entrée s’ouvrir. Très rapidement, elle remet toutes enveloppes dans la boite qu’elle glisse sous son lit au moment où Valérie entre dans sa chambre sans prendre la peine de frapper. Margaux n’oserait pas pénétrer ainsi dans la chambre de Valérie, et pourtant elle pourrait le faire puisqu’elle est chez elle. En la voyant assise parterre, Valérie s’inquiète, avant qu’elle ne la rejoigne au pied du lit, Margaux se lève prétextant qu’elle s’est assoupie sans s’en rendre compte. Elle embrasse Valérie et lui dit qu’elle va se mettre au lit. Elle passe une nuit tourmentée et à son réveil elle se sent si lasse qu’elle n’a aucun courage. Cependant il est tard déjà et elle veut partir à la galerie avant que Valérie se réveille. Margaux ne comprend pas pourquoi elle réagit ainsi. Son amie a toujours été là pour la soutenir dans tous les moments difficiles qui sont survenus dans sa vie, qu’a-t-elle à lui reprocher ? Elle ne le sait pas néanmoins aujourd’hui elle étouffe d’être ainsi veiller ou surveiller sans cesse. Comment peut-elle le dire à Valérie sans la froisser ? Et a-t-elle le droit d’être si injuste avec elle qui a été si fidèle toutes ces années. Si présente quoi qu’il arrive, devançant presque les événements. C’est peut-être cette sensation qui gêne Margaux, elle a une impression bizarre ces derniers temps, comme si Valérie arrivait à devancer tout ce qui allait se produire.