Retour aux sources – Le cri du silence 5

8 mins

1ère partie suite

La réalité

Deux heures passèrent sans aucune nouvelle de Sophie, ses beaux-parents commencèrent à s’inquiéter. Que pouvaient-ils faire ? Prendre leur voiture et aller au parc ? Ils risquaient de se croiser et il était inconcevable d’y aller avec les enfants. Jules de son côté ne se sentait pas la force d’y aller seul. A presque soixante-dix-sept ans, même s’il s’était jusqu’à présent toujours senti en forme, puisqu’il continuait à seconder son fils à l’usine, aujourd’hui ses forces avaient disparues et sa femme, de sept ans sa cadette, n’était guère bien plus gaillarde. L’un et l’autre devait se ménager, leur famille allait avoir besoin de leur aide. Jules prit le combiné et à l’abri des enfants appela le poste de police. Il demanda à parler au commandant Lucien Douve, un ami de son fils, ils avaient fait une partie de leurs études ensemble. Lucien venait d’apprendre l’accident et lui indiqua qu’il s’apprêtait à passer les voir. Jules le remercia, lui indiquant qu’ils avaient besoin de son aide de toute urgence car sa belle-fille terriblement choquée par l’accident avait disparu depuis environ deux heures. Lorsque Jules raccrocha le téléphone, il se retourna vers sa femme et lui dit que Lucien était au courant pour Edouard et qu’il arrivait rapidement. Effectivement quelques instants après, la sonnette retentit, c’était Lucien. Il tomba dans les bras de Jeanne qui se mit à sangloter et pour ne pas effrayer les enfants toujours dans le salon, ils se retirèrent tous les trois dans la cuisine. Jules tenta d’expliquer où avait été sa belle-fille et pourquoi, sans qu’ils n’aient eu ni l’un ni l’autre le temps de réagir. Il ne fallait qu’une vingtaine de minutes pour se rendre au lac de chez eux, et l’aller-retour n’aurait pas dû prendre plus d’une heure en tout. Ils lui dirent que Sophie n’était pas dans un état normal, ce qui était compréhensible toutefois Jules lui expliqua la réaction qu’elle avait eu en quittant Edouard dans la pièce au sous-sol de l’hôpital. Sans doute se faisaient-ils du souci pour rien, cependant ils préféraient ne prendre aucun risque. Ils craignaient qu’elle ne fasse une bêtise sous l’emprise de la douleur. Lucien leur demanda s’ils avaient tenté de la joindre sur son portable. Ils n’y avaient pas pensé tellement les événements les avaient perturbés. Jeanne composa le numéro de portable de Sophie or celui-ci sonna dans la maison. Il était posé sur la console de l’entrée et en arrivant ils trouvèrent Marc avec le téléphone dans les mains cherchant sa mère des yeux. Jeanne essaya de lui expliquer que sa maman allait rentrer bientôt, elle avait simplement oublié son téléphone à la maison… Marc retourna dans le salon gentiment et se remit à regarder la télévision. L’ambiance se tendait à chaque minute un peu plus. Lucien proposa de joindre le portable d’Edouard qui pouvait encore se trouvait dans sa voiture, puisqu’il ne l’avait pas sur lui au moment de l’accident dans la mesure où l’hôpital leur avait remis tous ses effets personnels sans pour autant leur donner son portable. Jeanne voulut faire le numéro de son fils mais elle s’en sentit incapable. Jules auraient voulu le faire mais ses mains tremblaient elles aussi. Lucien voyant combien cette démarche leur coûtait, composa le numéro de son ami à partir de son téléphone. La sonnerie retentit une première fois, une seconde enfin après la troisième sonnerie, le répondeur se mit en route, et Lucien entendit la voix de son ami au bout du fil qui lui proposait de laisser un message et qu’il ne manquerait pas de rappeler dans les meilleurs délais. Sa gorge se noua et ses mains se mirent à trembler, Jeanne et Jules se regardèrent et pris de panique, interrogèrent Lucien des yeux. Il raccrocha le téléphone et leur dit que personne n’avait répondu toutefois s’il était dans la voiture comme il le pensait, il pourrait vraisemblablement faire le nécessaire pour le localiser. Et dans ce cas, il pourrait remonter jusqu’à la voiture et à Sophie. Lucien prit congés et après les avoir embrassés, leur promit de les tenir au courant très rapidement. Le temps passa et leur paru interminable. Il était temps de préparer le repas des enfants. Jeanne sortit deux ou trois choses du frigidaire et se mit à cuisiner. Les gestes qu’elle faisait sans réfléchir, lui occupaient l’esprit et lui évitaient de penser. Le repas fut bientôt prêt, il était presque une heure quand elle appela ses petits-enfants pour qu’ils passent à table. Marc dévora tant il avait faim, le pauvre, elle n’arrivait pas à se souvenir si la veille il avait dîné et ce matin il avait à peine touché à son petit-déjeuner. Quand à Stéphanie, elle grignota à peine et retourna s’installer dans le salon. Depuis son retour, elle n’avait pas dit un mot, c’était sans doute normal après un tel choc. Lorsque Jeanne et Jules se retrouvèrent seuls dans la cuisine, elle posa deux assiettes sur la table et demanda à son mari de se joindre à elle pour manger un quelque chose. Ils n’avaient ni le cœur ou l’envie pour cela néanmoins ils devaient être raisonnables. Ils s’apprêtaient à déjeuner quand le téléphone sonna, il était quatorze heures. Jules décrocha, c’était Lucien il avait retrouvé la voiture d’Edouard grâce à son portable, elle était effectivement toujours au parc du Héron. Il allait s’y rendre et il les rappellerait pour leur donner des nouvelles de Sophie. Il avait renouvelé plusieurs fois ses appels et il leur dit qu’à l’autre bout du téléphone, quelqu’un avait raccroché. C’était plutôt une bonne nouvelle, car il supposait que ses coups de fils répétés avaient dû agacer Sophie et que c’était elle qui lui avait raccroché au nez. Il promit à nouveau de les joindre dès qu’il avait de meilleures nouvelles.

Le retour

Ce n’est que vers dix-huit heures que Lucien et Sophie revinrent à la maison.

Entre-temps ils apprirent par Lucien que rien de grave ne s’était produit, Sophie allait bien ou allait aussi bien que possible. Il la raccompagnerait dès qu’elle le souhaiterait et il rajouta comme pour soulager l’angoisse des parents d’Edouard, qu’il avait fait le nécessaire pour se retrouver sans voiture au parc, ainsi Sophie serait obligée de le ramener, et il tacherait de prendre le volant au retour.

En arrivant chez ses beaux-parents Sophie voulut rentrer chez elle cependant Jeanne lui proposa gentiment de passer la nuit chez eux. Les enfants jouaient dans leur chambre quand ils entendirent leur mère arriver. Tous les deux se ruèrent sur elle. Marc criait et gesticulait dans tous les sens alors que Stéphanie s’accrochait aux jambes de Sophie qui se dégagea et rejoignit sans un mot la chambre d’amis. Lucien assista à la scène et comprit pourquoi, Jules et Jeanne se faisaient tant du souci. Il leur expliqua qu’il était resté plus d’heure en compagnie de Sophie dans la voiture d’Edouard sans dire un mot. Sophie durant ce temps n’avait cessé de caresser le volant et le siège où elle s’était installée. Elle ouvrait et fermait la lunette de la radio, et fouillait dans le vide-poches sortant des babioles, un porte-clés sans clé, une pièce en plastique pour les caddies de supermarché, une carte de fidélité de la station d’essence où Edouard avait l’habitude d’aller s’approvisionner et tout au fond, Sophie trouva une vieille paire de lunettes de soleil d’Edouard. Elle la prit délicatement, ouvrit les branches métalliques et les posa sur son nez. Elles lui allaient beaucoup trop grandes et lui cachaient la moitié du visage.

Sophie était restée là plongée dans ses souvenirs. Edouard était si grand et si fort qu’elle aimait se pelotonner entre ses bras comme lorsqu’elle était enfant et qu’elle faisait un câlin à son père, aujourd’hui disparu lui-aussi bien après sa maman. Sophie avait à peine treize ans quand sa maman était décédée d’une longue maladie et son papa, son idole l’avait couvée comme la septième merveilleuse du monde ; il ne savait rien lui refuser, toutefois Sophie avait toujours été une enfant puis une jeune femme censée, modérée. Pourtant, tous les êtres chers, qu’elle avait aimés, avaient disparu, elle était désormais orpheline. Elle devait porter malheur et pour cette raison, elle devait disparaître afin d’éviter de nouvelles catastrophes.

Lucien était assis à ses côtés et discrètement il l’observait, sans dire un mot ; il voyait couler le long de ses joues quelques larmes et pour ne rien laisser paraître elle serrait ses doigts sur le volant si fort qu’ils avaient pris une couleur blanchâtre. Lucien avait osé poser sa main gauche sur l’une des siennes et ils étaient restés ainsi un long moment. Enfin Sophie s’était tournée vers lui et avait lâché d’un trait : « Je veux qu’Edouard revienne, je veux revoir Edouard, je veux le serrer dans mes bras, je veux lui faire l’amour, je ne veux que lui, et lui seul, je ne peux pas vivre sans lui, et s’il ne me revient pas, j’irai le retrouver où qu’il soit, je le jure sur ce que j’ai de plus précieux, mon Edouard, lui seul comptait, lui seul compte ». Et elle s’était mise à taper sur le volant comme une forcenée en appelant Edouard de toutes ses forces. A cet instant, Lucien compris en voyant le visage de Jules qu’il devait arrêter, cesser de parler de ce qu’il venait de se passer. C’était trop dur à supporter pour Jeanne qui tournait en rond dans sa cuisine comme un lion en cage. Lucien prit congés et leur dit qu’il pouvait compter sur lui, et l’appeler sur son portable à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Il avait l’habitude nuit d’être appelé pour son travail à toutes heures, pour eux, pour son ami, il serait constamment là quoi qu’ils aient besoin et quelle que soit l’heure.

Sophie passa le reste de la soirée dans la chambre d’amis. Jules et Jeanne dînèrent avec leurs petits-enfants, après quoi tous allèrent se coucher. Ils en avaient besoin.

L’enfer

Jules s’était occupé des obsèques et de toutes les formalités ; il avait essayé d’en parler à Sophie cependant elle ne voulait rien entendre. L’enterrement eut lieu. Sophie était à leurs côtés physiquement, cependant son esprit était ailleurs, avec Edouard sans doute. Durant toute la semaine qui suivit, Sophie restait terrée dans la chambre d’amis, elle n’en sortait que lorsque la maison était silencieuse, chacun étant soit endormi ou occupé à des tâches à l’extérieur. C’était Jeanne qui conduisit Stéphanie à la consultation de contrôle avec le pédiatre de l’hôpital. Depuis leur retour de l’hôpital rien ne tournait rond, leur vie s’était détraquée, Marc était surexcité comme une puce, Stéphanie n’avait pas dit un mot depuis son retour de l’hôpital. Jeanne se contentait de veiller sur tout le monde et tâchait de faire reprendre à tous une vie à peu près normale. Le mois de février était fini, et bientôt ce serait l’anniversaire de Marc et Stéphanie. Depuis l’accident, Jeanne parlait énormément avec ses petits-enfants de leur papa. Elle leur avait montré de vieux albums que Jules avait été cherché dans le grenier. Marc semblait avoir retrouvé sa vie d’avant, d’avant l’accident même s’il demandait souvent après son papa et sa maman, qu’il ne voyait pratiquement pas depuis qu’elle avait décidé de rentrer chez eux, sans les enfants avait-elle précisé, comme si elle avait souhaité disparaître avec son mari. Quant à Stéphanie, elle passait des heures à regarder tous les albums de photos où se trouvait son père depuis sa naissance jusqu’à celles de leur dernier Noël en 1994, et elle ne disait toujours pas un mot. Jeanne s’inquiétait, pourtant elle n’osait rien faire sans consulter Sophie qui s’obstinait à faire la sourde oreille. Jeanne était passée voir Sophie vers neuf heures le jour de l’anniversaire des enfants et elle lui avait annoncé qu’elle ne partirait pas sans elle cette fois. Elle avait tapé du poing sur la porte d’entrée pour confirmer sa décision. Du haut de ses un mètre cinquante, elle s’était battue comme une lionne, lui expliquant que son fils unique lui manquait à elle aussi et qu’elle n’avait pas la chance de Sophie, d’avoir d’autres enfants vers lesquels se tourner. Elle lui avait confirmé que Marc allait plutôt bien mais qu’il ne cessait de réclamer ses parents. Son père était mort et il lui faudrait du temps pour vivre sans lui. Toutefois ses enfants avaient la chance d’avoir une mère qui devait désormais se battre à leurs côtés, main dans la main. Elle lui expliqua que Stéphanie lui créait énormément de soucis car depuis l’accident, elle n’avait pas émis un son, pourtant le pédiatre lui ait confirmé qu’il n’y avait aucun motif d’ordre organique pour l’empêcher de parler. Il pensait plutôt que dans l’accident qu’elle avait vécu, il était probable qu’elle ait assisté à la disparition de son père. De nombreuses hypothèses pouvaient émerger. Elle pouvait se sentir coupable de l’avoir laissé partir, de ne pas avoir su le retenir, à l’inverse, elle pouvait lui en vouloir d’être parti, la laissant seule. Jeanne tenta de faire comprendre à sa belle-fille que les événements avaient pu lui créer un choc émotionnel fort, violent qui pouvait l’empêcher de s’exprimer toutefois pas de parler au sens physiologique du terme. Un jour quand elle en éprouverait le besoin, elle reparlerait. Jeanne avait dit à Sophie tout ce qu’elle avait sur le cœur depuis ce terrible jour, et vers treize heures, Sophie émergea enfin. Elle était revenue à la réalité et durant presque une heure elle n’avait cessé de pleurer dans les bras de Jeanne. Elle s’était enfin libérée de toute sa tristesse et de toute la culpabilité qu’elle avait engrangée en elle. Elle expliqua à Jeanne, qu’elle n’aurait jamais dû laisser son mari refaire un troisième tour de piste avec Stéphanie qui menait son père par le bout du nez. Au cours de toutes ses semaines elle s’en voulait à elle-même et elle en avait voulu également à sa fille. Après avoir entendu puis écouté Jeanne parler pendant plus de trois heures, elle s’était livrée à sa belle-mère deux heures durant. Et vers seize heures, Jeanne proposa de rejoindre les enfants qui avaient dû rentrer du cinéma où ils étaient allés voir un dessin animé avec leur grand-père après les avoir certainement emmenés manger un morceau chez Mac Donald. Jules avait beaucoup de compétences toutefois la cuisine ne faisait pas partie de celles-là.

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