Vivre sans lui – 11

4 mins

Margaux accueillait ses propositions avec entrain. A aucun moment, il ne lui avait proposé une activité qui la contrarie ou la mette mal à l’aise. En y songeant, sa vie avait été un vrai bonheur en compagnie de l’homme qu’elle avait aimé, qu’elle aimait toujours malgré les quelques événements qui avaient assombri sa vie ces dernières années. Margaux ouvre une nouvelle enveloppe afin d’éviter de sombrer dans un état qu’elle connait trop bien depuis la disparition de François. Il ne lui faudrait pas grand-chose pour replonger. La seule personne qui l’incite encore à se battre est Valérie. C’est une des raisons pour laquelle elle avait accepté son soutien, enfin ce n’était pas vraiment un soutien mais un sauvetage qu’elle a fait. Il lui avait fallu quasiment un an pour tenter de faire accepter à Margaux de revenir à la réalité. A l’époque plus rien ne la retenait ici-bas, elle aurait préféré mourir que vivre sans lui. Margaux doit reconnaître que son amie avait vraiment été parfaite tout au long de ces derniers mois. Elle regrette simplement qu’elle soit devenue si oppressante. Valérie est si envahissante ces derniers temps qu’elle n’arrive plus à rester seule. Elle prétend qu’elle a le devoir de veiller sur elle. Lors de la disparition de François, Valérie avait bouleversé sa vie en venant s’installer à Nancy chez son amie. Elle avait tout quitté à Clermont-Ferrand, son appartement, son travail, ses amis,… Seule une vraie amie pouvait faire cela. Alors pourquoi lui en tenait-elle rigueur ? Parfois, Margaux se demande si elle n’est pas un peu injuste vis-à-vis de son amie. Et c’est les larmes aux yeux qu’elle déplie la lettre suivante :

« Nancy, le 30 juin 1984

Ma douce Margaux,

J’aimerais pouvoir t’apporter un peu mon aide quotidiennement au restaurant. Je ne pense pas être très doué pour ce genre de chose mais je suis certain que tu saurais m’apprendre ce que tu fais avec tant d’aisance, semble-t-il, au vu de ce que tu me racontes. Comment arrives-tu à faire toutes ces activités dans une même journée, le lycée, les Beaux-Arts, les devoirs, le restaurant ? Je suis admiratif. Au mois de juillet mes parents m’ont proposé de faire un séjour aux Etats-Unis pour améliorer mon anglais mais je ne me suis pas encore décidé. Tu dois être contente d’aller avec ta mère et ta tante voir l’océan. Feras-tu de la voile ???

Au fait bravo pour ton année de seconde. La mienne se termine pas mal aussi et comme toi je passe dans une première scientifique. Ce serait drôle que nous nous retrouvions après notre bac dans la même école !!! Mais je sais que ce n’est pas possible puisque tu veux entrer aux Beaux-Arts où tu feras des étincelles pour devenir un jour une artiste reconnue dans le monde entier.

Margaux se souvient parfaitement de cette lettre. François n’a jamais douté de son talent, il n’a cessé de l’encourager et de croire en elle parfois bien plus qu’elle-même qui doute toujours.

«… A très vite, plus qu’un mois et nous reprendrons nos régates.

François, ton équipier préféré et ton ami aussi ».


Il est approximativement minuit, quand Margaux range toutes les lettres qu’elle vient de parcourir dans le carton puis le glisse à nouveau sous son lit. Elle veut se coucher avant que Valérie ne rentre. Elle n’a pas envie de discuter. Elle préfère s’endormir la tête pleine de rêves des merveilleux moments qu’elle a passés avec François. Si Valérie savait qu’elle pense encore à lui, elle la sermonnerait jusqu’à ce qu’elle concède qu’il n’était pas digne d’elle et qu’il a mérité ce qu’il a eu. Toutes leurs discussions à son propos se terminent immanquablement de cette façon : « Il mérite de ce qu’il a eu ». Mais qu’a-t-il eu exactement ? Margaux aimerait tant savoir où est François, avoir de ses nouvelles et pouvoir lui expliquer qu’elle lui pardonne de s’être enfui ainsi. Elle l’aime tant qu’elle est prête à écouter ce qu’il a à dire.

Margaux passe rapidement sous une douche et se glisse dans son lit. Quelques minutes après avoir éteint sa chambre, elle entend Valérie rentrer, passer devant sa chambre, s’arrêter, repartir, puis revenir sur ses pas pour doucement entrouvrir sa porte pour s’assurer que son amie dort bien. Margaux respire doucement, régulièrement, comme quelqu’un qui dort profondément ; elle en a même un peu honte. Valérie referme la porte pour rejoindre sa chambre. Margaux se promet de parler à son amie dès le lendemain.

A son réveil, Valérie dort encore. Elle se prépare, boit son petit-déjeuner sans faire de bruit. Puis elle sort pour rejoindre la galerie où elle a rendez-vous avec un jeune artiste plein de talent mais totalement paumé et qui n’a de surcroît aucun soutien dans le milieu artistique comme financier. Margaux aime prendre sous son aile ce genre de personnage sans compter son temps. Parfois certains suivent ses conseils et lui restent reconnaissants souvent redevables, d’autres cependant, soutirent d’elle tout ce qu’ils peuvent et s’échappent dès qu’ils se sentent plus surs d’eux, laissant à la galerie une ardoise plus ou moins importante. Néanmoins elle reste optimiste et confiante, elle est persuadée que c’est son devoir, sa vocation. Ces projets lui coûtent parfois de l’argent mais elle connait les limites à ne pas dépasser pour ne pas mettre en péril sa galerie et son personnel. A ce jour Margaux emploie cinq personnes à plein temps ou temps partiel : deux assistantes présentes à tour de rôle dans la galerie accueillent les artistes et les clients potentiels, une secrétaire prend en charge tout l’administratif et une partie de la comptabilité, une chargée de communication et un homme à tout faire qui gère l’aspect technique et notamment le transport des œuvres, la réception, la livraison et autres tâches manuelles liées à l’entretien de la galerie. C’est une grosse galerie pour la région, à ce titre elle est souvent sollicitée pour la décoration de lieux où sont organisés des manifestations diverses. Des espaces sont mis gracieusement à sa disposition pour accueillir les œuvres de ses artistes. Ces collaborations lui permettent d’une part de mettre en valeur les œuvres dont elle dispose et d’autre part d’avoir des retours bénéfiques pour sa galerie. C’est un lourd travail que Maurice, l’homme à tout faire sait parfaitement gérer. Elle connait Maurice depuis qu’elle est à Nancy. François était un des rares amis de son fils, qui s’est tué dans un accident de voiture, il y a plusieurs années. A la suite de cette tragédie, Maurice s’est noyé dans l’alcool, il a perdu son travail et sa femme l’a quitté. Un an après, il s’est repris et sachant que Margaux avait besoin d’une personne solide pour l’épauler dans des tâches manuelles, il est venu la voir, elle a voulu lui faire confiance. François a tenté de la mettre en garde craignant qu’il ne récidive. Aujourd’hui elle sait qu’elle a eu raison d’écouter sa conscience. Cependant Margaux s’inquiète de son sort, que va-t-il devenir si elle vend sa galerie et si le repreneur ne veut pas de lui. Il est désormais trop âgé pour retrouver un autre travail. Elle sait qu’elle devra s’occuper de lui retrouver une autre activité.

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