Vivre sans lui – 12

5 mins

Il est neuf heures quand son rendez-vous entre dans la galerie. Il s’agit d’un jeune garçon à qui elle ne peut pas donner d’âge, sans doute a-t-il entre vingt et trente ans. Il a fait un effort pour ce rendez-vous, il est propre, plus propre que la fois où Margaux l’a rencontré dans la rue. C’est une bonne chose, Margaux est persuadée que tous ceux qui prennent la peine de lui donner le change lors d’un second contact plus formel, sont prêts à écouter et suivre ses conseils. Ils sont plus réceptifs que d’autres pour agir et collaborer intelligemment. Ils partagent plus volontiers leurs ressentis, ils sont plus confiants. Margaux se souvient des premiers rendez-vous de chaque artiste qu’elle a reçu. Elle sait quasiment instantanément comment se terminera leurs relations et malgré cela, elle ne cesse de faire confiance aux gens, espérant sans doute qu’elle pourrait se tromper. Là encore, elle sait que Prana deviendra son protégé et qu’il saura l’écouter. Elle le dirige vers son bureau où il lui fait découvrir tout son travail, consciencieusement rangé dans un grand étui. Il la laisse feuilleter ses esquisses en restant en retrait. Margaux sait qu’il aimerait prendre la parole pour lui donner quelques explications, cependant il se retient et patiente sans cesser de remuer ses doigts, les croisant et décroisant, tantôt joignant ses mains prêtes à prier, tantôt les cachant derrière son dos. Margaux sursoit à son supplice en lançant un « J’aime, j’aime beaucoup même ». Immédiatement son jeune protégé se détend, sourit et n’attend qu’un mot de sa part pour se lancer dans de longs discours. Il en est presque attendrissant tant il parait fragile pourtant ses œuvres sont fortes, puissantes. Margaux le regarde puis lui demande :

– Tu signes tes dessins « Prana », est-ce ton nom ou ton pseudonyme ?

– « Prana » est un terme qui fait référence au souffle en sanskrit, souffle vital respirant et notamment en yoga il désigne l’ensemble des cinq souffles vitaux. Un souffle, c’est ainsi que je me sens lorsque je dessine, il s’interrompt quelques secondes puis poursuit, sans ce souffle nous n’existerions pas.

– C’est à ce nom que je dois faire établir ton contrat ?

– Vous voulez vraiment me faire signer un contrat ? dit-il sans vraiment y croire.

– Oui, si les termes de celui-ci te conviennent, nous pourrions faire un essai.

– Je m’appelle Luc Tobias.

Puis Margaux et Luc parlent longuement de leur future collaboration, de ce qu’elle peut lui apporter et de ce qu’il devra lui fournir. Après ce rendez-vous qui dure plus d’une heure, le jeune homme rejoint Marie-Thérèse pour remplir tous les documents administratifs indispensables à son intégration aux groupes des artistes pris en charge par la galerie.

Margaux comme toujours lorsqu’elle accueille un nouvel artiste est enthousiaste. Elle rejoint Priscilla, sa collaboratrice de permanence ce matin pour tenter de connaitre son sentiment si elle devait s’absenter plus longuement que d’habitude. Elles travaillent ensemble depuis dix ans déjà, elle peut lui faire confiance toutefois elle doit avoir confirmation de sa disponibilité et de son soutien. Priscilla l’a déjà fait lors d’un de ses déplacements à New-York il y a cinq ans. La galerie était bien moins importante qu’aujourd’hui, c’est aussi la raison pour laquelle, le personnel a doublé depuis cette époque. Priscilla avait tout pu gérer seule durant approximativement trois semaines. Désormais ce n’est plus possible, elle devra aussi compter sur Muriel, sa seconde collaboratrice, embauchée il y a quatre ans de cela. L’ensemble des expositions durant les six prochains mois sont organisées, il ne reste qu’à finaliser les vernissages. Sauront-elles se partager les tâches et se rendre suffisamment disponibles durant cette période. Margaux sait qu’elles font du bon travail, avec elle aux commandes, néanmoins pourra-t-elle se reposer totalement sur ces collaboratrices et leur confier les commandes ? Il le faudra car Margaux a besoin de prendre du recul après tout ce qu’il vient de lui arriver. Elle doit partir pour réfléchir, faire le point, prendre des décisions. Quelques jours de vacances lui feront le plus grand bien et revoir tante Lise aussi. Elle s’en veut de ne pas lui avoir donné plus souvent des nouvelles, elle sait combien depuis la mort de sa mère, elle est seule, toute seule.

Il est quasiment treize heures quand Margaux arrive chez elle. Elle doit parler à Valérie et préparer son départ. Tandis qu’elle ramasse quelques affaires Valérie rentre également. En rejoignant son amie dans sa chambre, Valérie s’étonne de voir Margaux préparer sur son lit ses affaires comme si elle partait en voyage.

– Tu t’absentes ?

– Oui, cela fait longtemps que je n’ai pas été voir Tante Lise, je lui ai promis de passer quelques jours avec elle.

– Tu pars pour combien de temps ?

– Je ne sais pas encore.

– Veux-tu que je t’accompagne ?

– Non, ne t’inquiète pas, je vais bien.

– Tu en es sûre parce que je peux prendre quelques jours si tu as besoin. Et comment vas-tu faire avec la galerie ?

– J’ai prévenue Priscilla qui est d’accord pour s’occuper de tout avec Muriel.

– Si j’ai bien compris, tu as tout organisé, tu aurais pu m’en parler tout de même, bredouille Valérie d’un ton contrarié.

– En fait, je me suis décidée ce matin seulement, mais ne t’inquiète pas, tu feras comme chez toi, d’ailleurs tu es chez toi, non ???

– Tu pars quand exactement et comment ?

– Quand je suis prête, je ne suis pas pressée, je pars en voiture.

– Ce n’est pas très prudent de prendre la route maintenant, les jours ont énormément raccourci. Je peux venir avec toi au moins pour le voyage, je reprendrai le train pour rentrer, je t’assure que ça ne me gêne pas, ça me ferait même plaisir, tu sais. Ajoute Valérie certaine que son amie ne lui refusera. Cependant Margaux refuse gentiment certes, mais fermement. Tant et si bien que Valérie parait un peu fâchée et sse retranche dans sa chambre. Une bonne chose de faite, pense Margaux. Après le départ de Valérie, elle pousse un profond soupir, elle avait craint que cette nouvelle provoque une réaction plus excessive de la part de son amie. Elle s’attendait qu’elle soit plus insistante pour venir avec elle. Cela avait été plus facile que prévu. Margaux termine sa petite valise et se dirige vers la cuisine pour préparer quelque chose à déjeuner. Elle ne veut pas partir en sachant son amie contrariée. Elle sait qu’elle lui doit beaucoup même si ses derniers temps elle est un peu trop étouffante, Margaux lui est très reconnaissante d’avoir été ces longs mois à ses côtés sans rien dire, juste pour l’épauler. En sortant de sa chambre, elle passe devant la chambre de Valérie et la trouve face à sa fenêtre visiblement absorbée par ses pensées. Margaux s’approche d’elle et la serre dans ses bras en l’embrassant sur la joue. C’est sa façon à elle de dire pardon sans prononcer un mot. D’ailleurs Margaux ne comprend pas pourquoi Valérie semble fâchée, néanmoins s’en chercher à analyser sa réaction, elle fait tout pour lui rendre le sourire. Trois minutes après, elles sont toutes les deux dans la cuisine à rire en préparant une omelette. Deux heures plus tard, Valérie fait promettre à Margaux d’être très prudente, de l’appeler dès qu’elle arrive et de revenir bien vite. La promesse est faite en se séparant.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx