Vivre sans lui – 13

4 mins

Tante Lise est si heureuse en voyant Margaux arriver. Elles ne se sont pas vues depuis huit ans, une éternité. Cependant ici rien n’a changé, tout est resté comme dans son souvenir, des souvenirs à la fois heureux et tristes. Heureux durant toutes ces années où Tante Lise, Margaux et sa maman riaient d’un rien, et travaillaient sans compter leur temps. Tristes après la mort tragique de sa maman, durant les jours qui avaient succédé ce terrible accident elle avait refusée de revenir dans cet appartement. En entrant dans le restaurant se mélangent joie et peine, ravivant une douleur qu’elle croyait atténuée, la perte d’un être aimé. Cette fois pourtant, c’est à François qu’elle pense en passant la porte du petit appartement de tante Lise. Sans qu’elle puisse les retenir de grosses larmes coulent le long de ses joues et pourtant elle sourit en songeant à tout ce qu’elle a vécu ici dans ce lieu où elles s’étaient installées avec sa mère. Seize années extraordinaires remplies d’une joie immense et d’un bonheur à toute épreuve malgré des moments difficiles parfois. Tante Lise ne cesse de regarder sa nièce d’adoption avec admiration. Elle revoit cette gamine à peine sortie de l’adolescence qui avait dû faire face à la plus effroyable des épreuves, s’affranchir d’une famille qui lui était indifférente pour partir à l’autre bout de la France, rejoindre celui qui deviendrait son époux. A cette époque, Elise n’était pas intervenue dans le choix de sa nièce même si elle en avait souffert énormément. Elle retrouve désormais une femme très belle et très intelligente qui a su suivre son instinct pour devenir ce qu’elle est à ce jour. Là encore le chagrin et la peine ne l’ont pas épargnée.

– Tu as eu raison de revenir ici, je vais m’occuper de toi pour te refaire une santé, dit tante Lise à sa protégée d’un ton sincère et bienveillant, puis elle renchérit : « Nous allons t’organiser une belle fête d’anniversaire ».

Soudain Margaux s’effondre dans ses bras et pleure comme une enfant. Depuis la disparation de François, elle n’a pas pris le temps de s’apitoyer sur son sort, Valérie était toujours derrière elle pour la pousser à reprendre le dessus. Elle a l’impression à cet instant précis de réaliser enfin ce qu’il lui est arrivé. Jusqu’à présent elle vivait en apesanteur comme hors de son propre temps. Au contact de sa tante, sa peine peut enfin s’exprimer. Elle prend conscience du vide qui l’entoure, un vide causé par la perte de sa maman, la mort de son enfant et la disparation de son mari, les êtres qu’elle aimait le plus au monde. Ce retour à la réalité fait exploser son chagrin. Ses larmes se transforment peu à peu en lourds sanglots où se mélangent douleur, colère et peur. Douleur de se sentir désormais orpheline de mère et de mari, colère pour ne pas avoir su anticiper ce qui est advenu et peur de ne plus avoir le courage de vivre ainsi. Tante Lise essaie de calmer Margaux en la câlinant et l’écoutant raconter ce qu’elle a sur le cœur. Elle voudrait lui offrir plus de réconfort mais elle est consciente que rien ni personne ne pourra faire disparaître la douleur que sa nièce ressent. Margaux aimerait rester aux côtés de sa tante à se laisser bercer mais il est bientôt minuit et elle sait que sa tante Lise n’est plus une jeune femme. Elle doit la laisser se reposer. Il sera temps demain de reprendre les câlins et les longues discussions.

 A son réveil, elle est étonnée de constater l’heure qu’il est, midi, elle a dormi comme un bébé ce qui ne lui était pas arrivée depuis très longtemps. En tendant l’oreille, elle entend tante Lise fredonner un de ses airs qui la replonge immédiatement dans le passé. Au restaurant, sa tante chantonnait ou sifflotait toujours un air. Sa mère l’avait surnommé – mon rossignol -. Elle a toujours aimé chanter, régulièrement elle organisait des soirées karaoké où immanquablement tante Lise était sollicitée par son public. Margaux et sa maman avaient une grande admiration pour cette femme souriante, débordant d’une énergie rarement rassasiée et toujours prête à donner la main à celui ou celle qui en avait besoin. Elle n’oubliait pas les déshérités, les laissés pour compte, les sans-abris qui passaient devant son restaurant. Une assiette de soupe chaude ou un vin cuit les y attendait les soirs de rudes hivers. Margaux l’aimait également pour cette générosité, celle-là même qui avait conduit sa mère à être accueillie et aimée par elle sans contrepartie, sans réserve. Aujourd’hui elle reste sa seule et unique famille, sa véritable famille. Pour cette raison et pour bien d’autres Margaux doit être présente aux côtés de sa tante, qui l’a aimée comme personne, qui l’aime encore. C’est sur ces magnifiques images que Margaux se rendort, détendue, heureuse de s’être enfin décidée à rentrer chez elle.

C’est la sonnerie du téléphone qui la fait émerger à nouveau, il est quatorze heures, et Margaux est stupéfaite et surtout reposée par ce sommeil qui lui faisait défaut ces derniers mois. Au travers de la porte de sa chambre, elle entend tante Lise répondre à son correspond et elle comprend qu’elle doit avoir Valérie au bout du fil. Elle a complètement oublié de l’appeler hier en arrivant. Dans le même temps en allumant son portable, une sonnerie à répétition lui indique que des correspondants on tentait de la joindre et lui ont laissé des messages. Là encore, elle n’a aucun doute sur la personne qui a pu les déposer, toutefois elle n’a aucune envie de les écouter. Elle veut continuer à faire le vide, à ne plus penser au passé. Elle refermerait bien à nouveau les yeux pour retrouver ce sommeil si réparateur qui efface tout et tout le monde. Néanmoins il faudra bien qu’elle se décide à émerger un jour. L’air entonné par tante Lise la fait sourire et intérieurement elle aussi se met à fredonner les paroles :

Le travail c’est la santé

Rien faire c’est la conserver

Les prisonniers du boulot

N’font pas de vieux os.

Ces gens qui cour’nt au grand galop

En auto, métro ou vélo

Vont-ils voir un film rigolo ?

Mais non, ils vont à leur boulot…

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