Marie était encore sous le charme de cette journée lorsque le téléphone sonna. C’était Maïlis au bout du fil, elle avait tenté de la joindre tout le week-end sans succès et elle commençait à se faire du souci. Marie la rassura et lui promit de passer la voir le lundi suivant pour lui raconter son week-end. Et c’est ainsi que se termina sa journée.
Lundi matin, comme promis, Marie se préparait à passer prendre un petit café chez Maïlis. Le matin son restaurant était fermé jusqu’à onze heures, mais elle devait être malgré tout sur place pour faire ses comptes comme d’habitude. Il était huit heures lorsqu’elle se gara. Maïlis était attablée, ses livres de comptes devant elle, mais elle ne semblait pas très concentrée quand elle aperçut le bout du nez de son amie à travers l’embrasure de la porte, elle sourit :
– Je pensais justement à toi à l’instant, dit-elle avec un petit sourire en coin qui en disait long.
– Normal, les grands esprits se rencontrent toujours, d’autant que je t’avais promis que je passerais ce matin.
Elles éclatèrent de rire et s’enlacèrent en s’embrassant affectueusement. Toutes jeunes, elles étaient très proches l’une de l’autre et la vie en avait décidé autrement en les séparant durant presque vingt-cinq ans mais au retour de Marie, elles avaient repris leur vie là où elle en était restée. Quand elles se voyaient, elles avaient l’impression que le temps avait été suspendu, comme le soir où elles s’étaient remémorées « les soirées confessions intimes », elles avaient réagi comme à l’époque, avec l’alcool en plus, mais elles étaient désormais des adultes et ceci leur était autorisé !!! Hormis toutes ses bouffées de souvenirs revenant par vagues qu’elles avaient évoqué, elles avaient refait le monde et mangé des friandises. Avec l’expérience, qu’elles n’avaient pas gamine, elles analysaient avec plus de perspicacité les événements qui s’étaient produits ou se produisaient dans leur vie respective. La vie les avait rendues plus prudentes, cependant elle n’avait pas altéré leurs critiques incisives sur les faits ou les gens de leur entourage. Tandis que Maïlis leur préparait un petit café, Marie s’installa au bar. Elle avait mille choses à dire à son amie mais elle ne voulait pas lui gâcher son intervention. Elle la connaissait et savait qu’elle ne pourrait pas résister très longtemps à la submerger de questions. Marie ne dut pas attendre très longtemps, le café fut à peine servi, que Maïlis commença son interrogatoire policier :
– Alors raconte-moi tout du début, et n’oublie rien en route, j’espère que tu te rappelles les moindres détails. De toutes les façons, j’ai déjà préparé des questions qui t’aideront à ne rien oublier.
Et les voilà saisies d’un énorme fou rire. Néanmoins Marie savait que son amie serait comme à son habitude très attentive, organisée, méthodique et qu’elle pourrait l’aider à y voir clair. Elle avait toujours apprécié ses conseils et même si elle ne les suivait pas tous, elle savait que son amie avait la plupart du temps une très bonne analyse des événements. Par son métier, elle avait appris à écouter et à comprendre comment ou pourquoi certains d’entre nous réagissaient différemment face à une même situation. Marie lui disait toujours que si elle devait cesser son activité de restaurateur, elle pourrait toujours se reconvertir dans la psychologie.
– Je voulais juste te dire que tu ne devais plus te faire de souci pour moi en m’organisant des rencontres avec des bellâtres en mal d’amour. J’ai su aller vers les autres ces dernières semaines, je me suis mise à sortir comme tu me l’avais conseillé, et je dois t’avouer que j’ai aimé ce que j’ai vécu. Je vais donc poursuivre dans ce sens pour tâcher d’être une amie plus agréable en société et pour ne pas être le trublion des soirées en couple où je viens seule, ou de celle où je refuse de venir sous ce prétexte. Marie avait lancé d’une traite ce qu’elle avait à dire mais à l’évidence ce n’était pas ce que Maïlis voulait entendre même si cela la réjouissait intérieurement.
– Je suis ravie de ta décision qui me remplit de joie mais ce n’est pas pour cette raison que tu devais venir me voir aujourd’hui, te rappelles-tu que tu devais me raconter ton week-end ou devrais-je dire tes week-ends des semaines passées ….
Marie savait qu’elle rusait pour exciter sa curiosité. Elle se décida à lui raconter ce qu’il s’était passé en commençant par sa première rencontre à l’origine du chamboulement de sa vie – Max –. Marie avait décidé d’être très franche avec son amie, elle lui avait demandé de prendre un peu de recul vis-à-vis de tout ce qu’elle allait lui raconter car certains événements lui paraîtraient sans doute étonnants pour ne pas dire surréalistes. Marie voulait la prévenir que si une personne extérieure apprenait ce qu’elle allait lui dire, elle pourrait demander son internement dans un hôpital psychiatrique. Mais elle n’était pas folle et si elle ne s’expliquait pas certains phénomènes, elle était persuadée qu’ils étaient à l’origine de tout ce qu’elle vivait en ce moment. Le visage de Maïlis avait changé, elle regardait son amie d’un air éberlué, presque inquiet. Elle aurait aimé parler, aucun mot n’arrivait à sortir de sa bouche tant l’attitude et le sérieux de Marie l’avait décontenancée. Marie en était consciente, c’est la raison pour laquelle, elle commença à expliquer les circonstances où Max et Sophie lui étaient – apparus – la première fois sans réellement s’éterniser sur l’interprétation de cette situation. Elle vint plus précisément aux faits qui allaient captiver son amie, occultant par la même occasion la partie fantasque de son récit. Elle lui raconta sa soirée avec Max dans un restaurant – qu’elle n’arrivait pas à retrouver – dans lequel elle avait passé une soirée extraordinaire en compagnie d’un homme d’une grande élégance qui n’avait pas souhaité qu’elle prenne le volant pour le chemin du retour, la soirée ayant été dignement arrosée. Elle lui relata comment elle s’était endormie dans la voiture et combien elle s’était maudite en arrivant devant chez elle. Elle lui précisa que depuis ce jour-là, elle n’avait plus eu de nouvelle de Max, même s’il l’avait prévenu qu’il serait certainement absent quelques semaines. Elle lui expliqua qu’elle ne connaissait rien sur cet homme et à y repenser, elle ne se rappelait même pas qu’il lui ait donné son nom de famille. En avait-il un ?? Existait-il vraiment ou l’avait-elle imaginé ? Marie avait posé telles quelles ces questions un peu naïvement, espérant que son amie pourrait lui venir en aide ou la raisonner. Toutefois, elle lui confirma qu’à dater de cette fameuse soirée, tout lui avait souri.
Ce qui lui permis de rebondir sur ce qu’il s’était produit quelques jours plus tard, lorsqu’elle tombait nez à nez avec Jean-Marc Duchemin plongé consciencieusement dans la lecture des annonces placées dans la vitrine de son agence. Il cherchait un appartement pour quelques mois. Mais quoi de plus normal de le croiser là, Marie n’avait-elle pas une agence immobilière et n’avait-elle pas non plus pour tâche de trouver à certaines personnes des biens à acheter ou à louer. Jusqu’ici rien d’extraordinaire et Maïlis ne manqua pas de le lui faire remarquer, tout en espérant la suite de l’histoire. Ce charmant individu, l’avait lui aussi invité au restaurant et s’était ensuite volatilisé comme le précédent, prétextant un voyage d’affaires également. Au fur et à mesure que Marie racontait son histoire, elle avait l’impression qu’elle avait amplifié les événements. Ce qui pouvait lui paraître étonnant, ne paraissait que cohérent à Maïlis, l’informant qu’elle avait subi un choc après le décès de son époux et s’était tant renfermée, que quelques rencontres inattendues lui paraissaient bizarres alors qu’elles n’étaient que la suite logique de la vie d’une belle jeune femme, peut-être en mal d’amour … Marie n’en démordait pas, quelque chose ne tournait pas rond dans sa vie. Elle fit enfin référence à son ultime rencontre au bord de mer avec Christophe Lacroix qui l’avait sauvée des griffes d’un voleur de sac puis invité lui aussi au restaurant.
Maïlis ne voyait dans le récit de son amie aucune sorte de folie pour laquelle on voudrait l’interner ou la faire passer pour une folle. Ces situations étaient courantes pour toutes les femmes de son âge, voire même pour toutes les femmes en générale. Rien d’extraordinaire dans toutes ces rencontres, si ce n’était qu’elle avait eu plus de chance que d’autres. Et puis, Maïlis lui fit remarquer qu’elle était également sortie avec Alexandre, son ami manager dont elle n’avait rien dit dans son récit. Marie restait sceptique et considérait que pour Alexandre, ce n’était pas la même chose. C’était Maïlis qui lui avait présenté, elle avait donc forcé les choses. Elle lui indiqua tout de même que c’était un homme tout à fait charmant, mais elle lui précisa qu’elle aurait dû s’apercevoir avant de lui présentait, qu’il recherchait avant tout une mère pour ses enfants plutôt qu’une épouse ou une maîtresse. En voyant les yeux étonnés de son amie, elle se décida à aborder le sujet de ces soi-disant amis qu’elle lui avait présentés ces derniers mois … Regardant son amie d’un air perplexe mais néanmoins attendrissant, elle l’interrogea sur tous ses amis « hommes » auprès desquels elle l’avait présentée. Elle s’étonnait notamment qu’elle ait pu oublier où Alexandre avait passé son enfance, puisqu’ils étaient censés se connaitre depuis longtemps… Leur regard se croisèrent et alors que Maïlis baissait les yeux espérant sa clémence, Marie les points sur les hanches regardait son amie avec un œil sévère. Son sourire vint rapidement dissiper sa tentative de colère, elle savait que tout ce que son amie faisait, n’avait qu’un but – lui changer les idées–. Elle n’avait aucune mauvaise intention, au contraire. C’est la raison pour laquelle Marie surfa sur la réponse à sa question et, en profita pour la remercier de lui avoir présenté Alexandre. Grâce à elle, elle avait passé en Italie avec ce bel Apollon un magnifique week-end, lui avouant sur un air canaille qu’il avait été un parfait amant. Les années étaient passées mais rien n’avait changé, elles continuaient à se confier leurs plus intimes secrets comme lorsqu’elles avaient quinze ans. C’est ainsi qu’elles regardèrent avec insistance et déclamèrent en cœur :
– Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer, si je dis un mot, je me transforme en sumo, c’était le code d’honneur des filles lors des –soirées confessions intimes –.
Cependant Maïlis ne comptait pas laisser son amie s’en tirer à si bon compte, et poursuivit un interrogatoire qui ne laissa aucune marge de manœuvre à Marie. Elle voulut avoir plus de détails sur ces trois hommes qui avaient partagé sa vie ces dernières semaines. Après une longue conversation, sa conclusion fut sans appel, son amie était sur la bonne voie pour se réinsérer dans la vraie vie et ne plus répondre négativement aux invitations de tous ceux qui voulaient la faire sortir. Maïlis se mit à danser dans son restaurant comme un sioux autour du feu pour conjurer le mauvais sort qui l’avait si longtemps empêchée de prendre part à toutes les belles choses qui existaient malgré certains événements plus tristes auxquels tout un chacun était confronté. Maïlis en profita pour proposer une nouvelle invitation, le week-end suivant, elle organisait chez elle un grand barbecue avec quelques amis presque tous connus de Marie. Elle comptait sur elle, et souhaitait qu’elle vienne accompagnée de l’un de ses nombreux prétendants sauf si elle préférait qu’elle invite un autre de ses amis célibataires. A quoi, Marie rétorqua qu’elle lui donnerait une réponse le vendredi midi suivant pour lui annoncer si elle venait accompagnée ou seule, rajoutant qu’elle lui promettait cette fois de venir quoi qu’il en soit. Il était presque neuf heures trente quand elles se séparèrent. L’une comme l’autre avait un emploi du temps chargé pour le reste de la journée.